Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020): 174-226 Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa face aux milieux cléricaux islamiques et miaphysites (ier–iie/viie–viiie siècles)* Simon Pierre Sorbonne Université (sim.pierre85@gmail.com) Abstract Stylites (esṭūnōrē) represented a major form of eremitism in late antique and early Islamic Syria and Mesopotamia. As archetypes of the Holy Man described by Peter Brown, they were in close contact with rural populations (pagani) and therefore promoted the Christianization of such marginal, non-civic spaces. In doing so, they quickly became authorities competing with urban bishoprics. Many Syriac sources (such as synodical canons) attest to preaching, teaching, arbitration, judgments, and even administrative sentences carried out by these ascetics on columns for faithful crowds (ʿamē) in villages. Consequently, the churches, and especially the Syrian Orthodox Church, tried to use them for local anchorage during the seventh and eighth centuries while, at the same time, seeking to integrate them into stable and enclosed monastic structures. These solitary monks also fascinated Arab populations since St. Simeon both invented this asceticism and converted local Bedouins. Indeed, the Muslim tradition contains important evidence of the influence exerted by the so-called ahl al- ṣawāmiʿ on Muslims. In this article I demonstrate that during the first two centuries of the hijra, the concept of ṣawmaʿ(a) exactly matches the Syriac understanding of esṭūnō as a retreat on top of a high construction, whether a square tower or a proper column. I rely on poetry, early lexicography, bilingual hagiography and historiography, and especially the Syriac and Arabic versions of Abū Bakr’s waṣiyya, which expressly refers to these monks. I then show how the developing Islamic authorities tried to divert Arab Muslims from these initially privileged and valued figures. To this end, they used the same kinds of arguments as did the canonical anathemas against stylites, who were also often seen as competitors and threats by the official ecclesiastical authorities. Scholars of ḥadīṯ, fiqh, and tafsīr developed their own rhetoric, distinguishing, for instance, between good stylites and bad “tonsured” ones, while jurists gradually restricted their initial tax privileges. Finally, the latter, at the end of the second/eighth century, they required Muslims to completely avoid them, completing the process of excommunicating both Christianity and its most revered figure. * Je remercie vivement l’équipe éditoriale d’al-ʿUsūr al-Wusṭā pour leur assidu travail de relecture. Sans leur exceptionnelle acuité, jamais cet article n’aurait pu voir le jour. Je remercie également mes évaluateurs anonymes pour leurs corrections et conseils, et pour ces inestimables références dont j’ignorais l’existence et sans lesquels cet article ne serait que l’ombre de ce qu’il est devenu. © 2020 Simon Pierre. This is an open access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivatives License, which allows users to copy and distribute the material in any medium or format in unadapted form only, for noncommercial purposes only, and only so long as attribution is given to the original authors and source. mailto:sim.pierre85%40gmail.com?subject= 175 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 176 1. Introduction : saints hommes syro-orthodoxes et communautés rurales et pastorales L’hagiographie syriaque conserve le souvenir d’une forme de voisinage et de coexistence entre les tentes des Arabes et les « cahutes des solitaires » (kūrḥē d-iḥīdāyē). C’est ce dont témoigne par exemple l’Histoire de Bēt Qōqā en Adiabène1 à l’époque des abbés Jean (r. 55–72/675–92) et Šūbḥ al-Māran (r. 72–111/693–729)2. Les relations entre ce type de religieux chrétiens et les populations arabo-musulmanes ne furent pas rares et favorisèrent sans doute un prolongement, voire une consolidation du processus de christianisation après la conquête médinoise. Les contacts que nouèrent, au milieu du vie siècle, les phylarques jafnides de Palaestina III, d’Arabia et de Phoenicia II et les missionnaires et partisans de Sévère d’Antioche (r. 512–18) ont été bien étudiés ces dernières années3. Pourtant, ce ne fut pas avant l’époque islamique que l’Église miaphysite syriaque accorda des évêchés spécifiques à des populations que nous définirions comme des Arabes (ʿAmmē ou Ṭayyōyē), parfois même circonscrits à une expression tribale (Namirōye, Tanūkōyē, Taglibōyē, Maʿaddōyē)4. Ces éléments suggèrent que les populations pastorales et bédouines continuèrent d’entretenir, après l’hégire, des liens très étroits avec certaines institutions chrétiennes, notamment auprès des miaphysites du jund de Qinnasrīn-Jazīra. John Trimingham, dans 1. Province ecclésiastique (Ḥadyab en syriaque, Ḥazzā en arabe) qui correspond au Nōd-Ardashiragan sassanide, centré autour de la métropole d’Arbelā (Erbil), entre la rive gauche du Tigre au niveau de Mossoul et la crête du Zagros. 2. « Histoire du monastère de Bēth Qōqā », dans Sources Syriaques 1, éd. A. Mingana (Leipzig : O. Harrassowitz, 1908), 171‒220, ici 199‒202. À plusieurs reprises, ces moines parviennent à inspirer le respect à ces voisins imprévus. 3. À ce sujet, on se reportera utilement à H. Lammens, « Le chantre des Omiades. Notes bibliographiques et littéraires sur le poète arabe chrétien Akhṭal », Journal asiatique, 9e sér., 4 (1894) : 94‒242 et 381‒459, ici 121 ; J. Segal, « Arabs in Syriac Literature before the Rise of Islam », Jerusalem Studies in Arabic and Islam 4 (1984) : 89‒124, ici 121 ; I. Shahid, Byzantium and the Arabs in the Sixth Century (Washington, DC : Dumbarton Oaks, 1995) et G. Fisher et P. Wood, “Arabs and Christianity,” dans Arabs and Empires before Islam, éd. G. Fisher, 276‒372 (Oxford : Oxford University Press, 2015) ; et les longues descriptions des auteurs médiévaux Michel le Syrien, Chronique de Michel le Syrien, patriarche jacobite d’Antioche, 1166–1199, éd. J.-B. Chabot (Paris : Pierre Leroux, 1910), 374 et Chronicon anonymum ad annum Christi 1234 pertinens, éd. J.-B. Chabot (Paris : CSCO 14, 1916), 213. 4. À propos des ʿammē et de leurs composantes ethniques, qui occupaient un échelon différent de la nomenclature ecclésiastique, que de celui des « cités, couvents, villages » (etc.) on se reportera à S. Pierre, « Les ʿAmmē en “Ǧazīra et en Occident”. Genèse et fixation d’un ethnonyme standardisé pour les tribus arabes chrétiennes. Les Tanukōyē, Ṭūʿōyē, ʿAqūlōyē à l’âge marwānide », Annales islamologiques 52 (2018) : 11–44, ici 16 and 18–31. Sur les Taglibōyē voir mon article à paraître : S. Pierre, « The Subjugation and Taxation of the Banū Taghlib in Jazīra and Mosul (ca. 153–193 H/770–809 CE) », dans The Reach of Empire, éd. S. Heidemann et K. Mewes (Berlin : De Gruyter, 2021). Aucune source syro-orthodoxe ne fait allusion à de tels évêchés associés à une unité tribale comme les Banū Taġlib, ou à un ensemble lignager comme Maʿadd avant la liste d’ordinations en annexe de Michel le Syrien, Chronique, 753, 754, 755, 756, 758 et 759 qui débute en 793. Antérieurement, il existe une mention, dans la lettre d’Athanase, d’un évêque « de Pērōz Šāpūr inférieure et le peuple des Ṭayyōyē Namirōyē (al-Namir) » en 8/629, préservée dans la même chronique, sans pouvoir être reliée à aucune attestation postérieure (ibid., 413). Il existe une mention d’un Joseph des Taglibōyē, sous Julien II le Romain (r. 66‒88/687‒708), mais dans un récit très remanié par le même Michel le Syrien ou sa source où Joseph est aussi appelé d-Ṭayyōyē de manière plus vague (ibid., 448). Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 176 sa synthèse sur le christianisme arabe, a suggéré qu’une « forme spécifique d’ascétisme syrien qui attira les Arabes bédouins était le stylitisme5 ». Il fut particulièrement influencé par le concept de « l’homme saint » (holy man) défini par Peter Brown en 19716. Ce dernier considérait que l’oikouménè civique était, dans l’environnement climatique syrien et dans l’implantation anthropique qui en découlait, constamment entremêlé avec l’érèmos rural, steppique et désertique7. Selon lui, « l’homme saint » serait devenu le principal évangélisateur des communautés rurales qui subsistaient à la marge de la civilité chrétienne tardo-antique. Hors de la hiérarchie officielle, les holy men formèrent aux yeux des populations rurales superficiellement christianisées, les pagani, des référents et des arbitres alternatifs, à la fois proches et charismatiques. Selon Brown, ils répondirent à une « crise de la liberté » qui aurait caractérisé un monde tardo-antique où les institutions étaient remplacées par des relations interpersonnelles8. Brown a essentiellement fondé son modèle sur des récits hagiographiques grecs et syriaques des ve et vie siècle où les « hommes saints » adoptaient fréquemment un mode paradoxal de retraite au milieu du monde qui avait été inventé par Siméon le Stylite (m. 459)9. De fait il s’est appuyé sur les Vies de ce saint et sur celles de plusieurs des reclus de la période antéislamique qui s'inspirèrent de son ascèse spectaculaire et sa stature d’arbitre des communautés. Cet article a pour objectif d’aborder la figure du stylite dans les littératures arabo- musulmanes et syriaques d’époque hégirienne. Nous nous interrogerons sur son impact à l’égard des communautés chrétiennes après la conquête et sur les contestations qu’ils provoquèrent. Nous envisagerons également la perception de ces anachorètes aux colonnes chez les auteurs arabo-musulmans et le développement progressif d’une forme parallèle d’opposition à ces pratiques, alors que l’islam se consolidait en tant que religion. Nous montrerons que la figure du stylite constitue un point de fixation central de la civilisation 5. J. Trimingham, Christianity among the Arabs in Pre-Islamic Times (Londres : Longman, 1979), 233 : « A peculiar form of Syrian asceticism that attracted bedouin Arabs was Stylitism. » 6. P. Brown, « The Rise and Function of the Holy Man in Late Antiquity », Journal of Roman Studies 61 (1971) : 80‒101. Le présent travail s’inscrit dans le prolongement d’une communication pour la journée d’étude doctorale de l’École Doctorale 1 (ED 22) de Sorbonne Université le 15/12/2018 : « Confusions et délimitations confessionnelles au premier siècle de l’hégire. Les Arabes face au christianisme. » Nous y avons pris pour point de départ l’intuition de Peter Brown et de John Trimingham. La mise au contact des Arabes avec le phénomène du stylitisme syro-mésopotamien, en particulier miaphysite, depuis l’époque de Saint Siméon jusqu’au début de l’époque hégirienne, et la réalité sous-tendue par ce topos littéraire et historiographique est partiellement abordé dans un article séparé : S. Pierre, « Le développement du stylitisme et l’enjeu de la christianisation des Arabes en Syrie-Mésopotamie tardo-antique (ve–viiie siècles) », Camenulae, à paraître. 7. Brown, « Holy Man », 87‒93. 8. Ibid., 99. Sur la question du développement de l’ascétisme, la référence incontournable reste A. Vööbus, History of Asceticism in the Syrian Orient. A Contribution to the History of Culture in the Near East (Louvain : CSCO, 1958). 9. Brown, « Holy Man », 83, 88, 90, 92 et 96. À propos du culte chalcédonien de Siméon le Stylite en Syrie du nord, on se reportera à J. Nasrallah, « Le couvent de Saint Siméon l’Alépin. Témoignages littéraires et jalons sur l’histoire », Parole de l’Orient 1 (1970) : 327–56 et J. Nasrallah, « Couvents de la Syrie du nord portant le nom de Siméon », Syria 49, no 1/2 (1972) : 127–59 ; il utilise beaucoup la vie de Daniel le Stylite (m. 493) qui officia ensuite surtout à Constantinople. https://www.academia.edu/41110071/Le_d%C3%A9veloppement_du_stylitisme_et_lenjeu_de_la_christianisation_des_Arabes_en_Syrie-M%C3%A9sopotamie_tardo-antique_Ve-VIII_e_si%C3%A8cles_ https://www.academia.edu/41110071/Le_d%C3%A9veloppement_du_stylitisme_et_lenjeu_de_la_christianisation_des_Arabes_en_Syrie-M%C3%A9sopotamie_tardo-antique_Ve-VIII_e_si%C3%A8cles_ 177 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 178 tardo-antique des débuts de l’Islam. Elle semble avoir constitué, autant pour les autorités arabo-musulmanes que syro-orthodoxes, un modèle de piété et une figure à respecter, et en même temps, un rival et un danger pour le bon ordre du troupeau. Cette position médiane laisse supposer que leur influence de holy man auprès des communautés rurales n’est pas qu’un topos, ou un simple motif canonique répétitif, mais qu’ils constituèrent bel et bien des agents essentiels de la christianisation des agriculteurs (pagani) et des pasteurs (aʿrāb). Les dirigeants de ces communautés exercèrent diverses pressions afin de sauvegarder leur autorité politique et religieuse. Plus largement, nous mettrons en évidence un exemple d’échanges interculturels entre les littératures chrétiennes et musulmanes à l’égard d’une figure commune. Avant Trimingham, Brown avait aussi eu l’intuition, sans vraiment l’approfondir, que « les bédouins furent parmi [les] premiers clients10 » de ces hommes saints. Les récits hagiographiques qui leurs sont consacrés accordent en effet une place non négligeable aux arabophones pastoraux (sarakènoi en grec et ṭayyāyē en syriaque), et même, dans une certaine mesure, à l’aristocratie arabe. La question de l’influence des stylites dans ce processus a été abordée successivement par Henri Lammens11 et François Nau12, puis John Trimingham13 et Juda Segal14 et plus récemment par Elizabeth Fowden15, Theresia Hainthaler16 et Greg Fisher17. Cependant, ils ont pour l’essentiel évité les sources arabo- musulmanes et syro-orthodoxes traitant du phénomène à l’époque hégirienne18. Siméon et Daniel les Anciens, ainsi que leurs disciples homonymes de la fin du vie siècle, semblent avoir été des partisans du concile de Chalcédoine qui, en 451, avait établi le dyophysisme officiel romain19. Pourtant, leur patronage fut tout autant revendiqué 10. Brown, « Holy Man », 83. 11. H. Lammens, « Un poète royal à la cour des Omeyyades », Revue de l’Orient chrétien 8 (1903) : 325‒87 et 9 (1904) : 32–64, ici 34 and 36‒37. Il a mis l’accent sur la symbolique de la lampe et eu l’intuition que la ṣawmaʿa y avait quelque chose en rapport, voir infra. 12. F. Nau, Les Arabes chrétiens de Mésopotamie et de Syrie du viie au viiie siècle (Paris : Cahiers de la Société asiatique, 1933), 37‒38 et 104. 13. Trimingham, Christianity among the Arabs, 143, 158, 189 et 229. 14. Segal, « Arabs in Syriac Literature », 104‒5 et 116‒17 ; sur la particularité syrienne du stylitisme, voir F. Trombley, Hellenic Religion and Christianization, c. 370–529 (Leyde : Brill, 1993) et D. T. M. Frankfurter, « Stylites and Phallobates. Pillar Religions in Late Antique Syria », Vigiliae Christianae 44, no 2 (1990) : 168–98. 15. E. K. Fowden, The Barbarian Plain. Saint Sergius between Rome and Iran (Berkeley : University of California Press, 1999), 40 ; E. K. Fowden, « Des églises pour les arabes, pour les nomades ? », dans Les églises en monde syriaque, éd. F. Briquel-Chatonnet, 391‒412 (Paris : Geuthner, 2013), 401. 16. T. Hainthaler, « Christian Arabs before Islam. A Short Overview », dans People from the Desert. Pre-Islamic Arabs in History and Culture. Selected Essays, éd. N. Al-Jallad, 29–44 (Wiesbaden : Reichert, 2012), 40. 17. G. Fisher, Between Empires. Arabs, Romans, and Sasanians in Late Antiquity (Oxford : Oxford University Press, 2011), 36‒37 et 44. 18. Voir le bilan historiographique de la question dans Pierre, « Stylitisme et christianisation des Arabes ». 19. Sur cet enjeu, voir l’approche de P. Peeters, Le tréfonds oriental de l’hagiographie byzantine (Bruxelles : Société des Bollandistes, 1950), 93‒136, ici 97‒101 il considère que le saint homme était bel et bien dyophysite et 134‒36 que ce ne fut que tardivement que son sanctuaire passa aux mains des miaphysites. Nous retrouvons dans J. Nasrallah, « L’orthodoxie de Siméon Stylite l’Alépin et sa survie dans l’Église Melchite », Parole de l’Orient 2, Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 178 par les miaphysites. Emmanuel Soler propose que les adeptes de cette ascèse se fussent refusés à prendre une position christologique tranchée20, et que cet exercice aurait été plus tard représentatif d’une position médiane. Selon lui, aucun point de vue, miaphysite ou chalcédonien n’est réellement plus « authentique » que l’autre21. En outre, le complexe architectural de Qalʿat Simʿān ne peut être spécifié comme typiquement chalcédonien sur des fondements architecturaux22 et, à l’inverse, il serait erroné ou excessif de considérer qu’il aurait été complètement privatisé par les anti-chalcédoniens à la fin du vie siècle23. Les clercs et les ermites chrétiens étaient partagés en courants et n’avaient pas encore établis d’Églises hermétiquement distinctes dans le Diocèse d’Orient romain tandis que l’organisation de l’Église sassanide ne se définit comme une « Église de l’Orient » qu’à la toute fin du vie siècle au plus tôt24. Dès lors, tout en maintenant des formes de cohabitations, les religieux se disputaient âprement les sites cultuels, les monastères, ainsi que les lieux de mémoire des martyrs et des saints hommes et les grands sanctuaires à festival ; mais aussi les colonnes pour stationner25. En revanche, cette forme d’ascèse est complètement inconnue dans l’Église de Perse/de l’Orient, y compris, autant que nous puissions le savoir, parmi les communautés miaphysites. Il s’agit donc d’une spécificité syrienne, qui constitua un pilier de la politique monastique des différents courants opposés. Les sources syro-orthodoxes confirment l’importance du stylitisme parmi les partisans de Sévère dès le début du vie siècle et ensuite à l’époque de Jacques Baradée (m. 578), en particulier après leur disgrâce consécutive à la mort de Justinien (r. 527–65)26. Jean d’Éphèse (m. v. 580) souligne en effet l’importance de cette figure dans sa formation chrétienne et celle de sa communauté rurale. Ainsi, il existait dans son village natal une colonne occupée par un certain Abraham, dont les habitants no 2 (1971) : 345‒65, à 345‒48 des arguments en faveur d’un Siméon « hérétique » du point de vue chalcédonien, et la prise de position de l’auteur qui rejoint celle de Paul Peeters. Plus récemment, la mise au point à propos de la tradition hagiographique par B. Caseau, « Syméon Stylite l’Ancien entre puanteur et parfum », Revue des études byzantines 63 (2005) : 71‒96, ici 73‒83 et au sujet de sa confession éventuelle : E. Soler, « La figure de Syméon Stylite l’Ancien et les controverses christologiques des ve–vie siècles en Orient », dans Dieu(x) et hommes. Histoire et iconographie des sociétés païennes et chrétiennes de l’antiquité à nos jours. Mélanges en l’honneur de Françoise Thelamon, éd. S. Crogiez-Pétrequin, 187–210 (Caen : Publications des universités de Rouen et du Havre, 2005), 196‒99. 20. Soler, « La figure de Syméon Stylite », 196‒99. 21. Ibid., 209‒10. 22. Ibid., 205‒6. 23. Ibid., 208‒9. 24. Dans une formule encore ambigüe chez le catholicos Ezechiel (r. 570–81), Synodicon orientale ou recueil de synodes nestoriens, éd. J.-B. Chabot (Paris : Imprimerie nationale, 1902), 111 puis explicitement sous Sabr-Išōʿ (r. 596–604) (ibid., 206) ; voir aussi l’avis de S. Brelaud, « Présences chrétiennes en Mésopotamie durant l’époque sassanide (iiie–viie siècles). Géographie et société » (PhD diss., Sorbonne Université, 2018), 220, n. 1235, qui reporte l’émergence d’une telle Église régionale au viiie siècle. 25. I. Peña, P. Castellana et R. Fernandez, Les stylites syriens (Milan : Franciscan Printing Press, 1975), 65. 26. Michel le Syrien, Chronique, 281 ; Peña, Castellana et Fernandez, Stylites syriens, 62 ; A. Palmer, Monk and Mason on the Tigris Frontier. The Early History of Tur ‘Abdin (Londres : Cambridge University Press, 1990), 79 et 113‒14. 179 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 180 auraient exigé que Mārūn, son frère, prenne à sa mort la succession27. Andrew Palmer a notamment étudié le développement du stylitisme dans le Ṭūr ʿAbdīn28 constatant qu’il était délibérément inspiré du modèle du saint antiochien Siméon l’Ancien. Il a démontré que les stylites, appelés esṭūnōrē (ceux de la colonne : esṭūnō), occupèrent une place prééminente dans l’imaginaire syro-orthodoxe des deux premiers siècles de l’Islam29. En tant que holy men, ils passèrent du statut de marginaux charismatiques à celui d’étape nécessaire du cursus spirituel des « solitaires » (iḥīdōyē). Paradoxalement, ils continuèrent à occuper une position de rivaux potentiels de la hiérarchie officielle30. Ils furent ciblés par une politique délibérée de domestication du monachisme à partir de la fin du vie siècle, aussi bien dans l’espace syriaque occidental que dans le monde sassanide, où, il faut le répéter, la mode stylitisme ne fit pas recette. Dans le monde romain et post-romain du Šām et de Jazīra, en revanche, l’expression estūnōrō finit, au tournant de l’hégire, par désigner un grand nombre de genres de réclusion. Pour la plupart, ils habitaient des tours plutôt que des « colonnes » de récupération romaines (ou construites pour l’occasion)31. Souvent, ces édifices occupaient le voisinage de l’enclos du monastère, voire en était le cœur battant, l’axis mundi. À l’époque islamique, cette institution était devenue centrale, ainsi qu’en atteste le « pilier » (esṭūnō) qui donne son nom au principal monastère occupé par le patriarcat miaphysite jazīrien à l’époque abbasside32. Plusieurs autres autorités importantes de l’Église syro-orthodoxe, destinées à 27. Palmer, Monk and Mason, 106 ; Jean d’Éphèse, « Lives of the Eastern Saints. IV: Next the Fourth History, of the Saints Abraham and Maro the Brothers », éd. E. W. Brooks, Patrologia Orientalis 17 (1923) : 56‒84, ici 56‒57, 59‒60, 69‒70, 78 et 82‒84 ; cet exemple est détaillé dans Pierre, « Stylitisme et christianisation des Arabes ». 28. Massif de collines arides situées entre Nisibe, Mārdīn et Amid. 29. Palmer, Monk and Mason, 106. 30. Bar Hébraeus, Nomocanon Gregorii Barhebraei, éd. P. Bedjan (Leipzig : O. Harrassowitz, 1898), 113 ; traduction dans F. Nau, Les canons et les résolutions canoniques (Paris : P. Lethielleux, 1906), 94 ; Dad-Išōʿ Qaṭrāyā, Traité sur la solitude et la prière (Sept semaines de solitude) [Livre des degrés], éd. A. Mingana (Toronto : Woodbrooke Studies, 1934), 201‒47, ici 202 ; voir aussi C. Fauchon, « Les formes de vie ascétique et monastique en milieu syriaque, ve–viie siècles », dans Le monachisme syriaque, éd. F. Jullien, 37‒63 (Paris : Geuthner, 2010), ici 37, n. 4. 31. Fauchon, « Vie ascétique », 49. Voir les exemples étudiés par Palmer, Monk and Mason, 102, 105, 188 et 217 et la lecture de A. Desreumaux, « L’épigraphie syriaque du monachisme », dans Jullien, Le monachisme syriaque, 261‒90, ici 287 ; I. Peña, P. Castellana et R. Fernandez, Les reclus syriens. Recherches sur les anciennes formes de vie solitaire en Syrie (Milan : Franciscan Printing Press, 1980), 300‒301 ; sur les colonnes se reporter à O. Callot et P.-L. Gatier, « Les stylites de l’Antiochène », dans Antioche de Syrie. Histoire, images et traces de la ville antique, Lyon, 4–6 octobre 2001, éd. B. Cabouret, P.-L. Gatier et C. Saliou, 573‒96 (Lyon : Société des amis de la Bibliothèque Salomon-Reinach, 2004). 32. Selon Michel le Syrien, Chronique, 414, il fut édifié pour les réfugiés du couvent de Qdar détruit par les envahisseurs « Ṭayyōyē » dans les années 630, thème principal de la notice du « prêtre Thomas » dans le « Chronicon miscellaneum ad annum Domini 724 pertinens », éd. E. W. Brooks, dans Chronica Minora 1, 77–155 (Paris : CSCO, 1903), 148, au sujet de cette chronique lire M. Debié, L’écriture de l’histoire en syriaque. Transmissions interculturelles et constructions identitaires entre hellénisme et islam (Louvain : Peeters, 2015), 545 ; autres mentions dans Michel le Syrien, Chronique, 492 et 753. Il existait également un « couvent de [...] Speqlūs » (Michel le Syrien, Chronique, 469) dans la région de Raʾs al-ʿAyn. Très actif entre les années 64/684 et 108/726, son nom dériverait probablement du latin specula : « la Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 180 une postérité littéraire et/ou à de hautes fonctions épiscopales, s’avèrent avoir été, à un moment ou à un autre de leur carrière, des stylites. Un grand nombre de ces personnalités furent alors, directement ou non, en contact avec des Arabo-bédouins, voire responsables d’entreprises plus ou moins explicitement destinées à leur évangélisation33. Ce faisant, les stylites devinrent de véritables arbitres, éducateurs et, souvent, des chefs de communautés rurales, comme l’ont observé Uriel Simonsohn et Mathieu Tillier34. 2. Esṭūnō et ṣawmaʿa dans les débuts de l’Islam 2.1. Les reclus, les stylites et « ceux des ṣawmaʿa-s » dans le testament (waṣiyya) d’Abū Bakr (r. 11–13/632–34) Les sources syriaques rapportent plusieurs témoignages explicites de rencontres d’Arabes avec des stylites à l’époque post-hégirienne. La Chronique anonyme jusqu’en 1234 qui préserve une partie de la chronique civile perdue du patriarche Denys de Tell Maḥrē (r. 203–30/818–45) contient une mention particulièrement suggestive. Elle attribue au premier calife Abū Bakr (r. 11–13/632–34) un discours destiné aux troupes en partance pour la Syrie : Alors que les forces des Arabes (Ṭayyōyē) se pressaient à sortir de « la cité » (Mdī(n)tō = Médine), Abū Bakr sortit avec eux et [. . .] leur déclara : « Lorsque vous entrerez en ce pays (1) ne tuez ni vieillard, ni enfant, ni bébé, ni femmes (2) ne faites point descendre les stylites de leur place (lō tḥattūn ēsṭūnōrē men dūkōtō) (3) ne nuisez point aux solitaires (iḥīdōyē) parce qu’ils se sont dévoués eux-mêmes (prašū naf š -hūn) à servir (npallḥūn) Dieu (4) n’abattez pas les arbres et ne détruisez point les plantations (5) n’éviscérez point les bêtes, les bœufs et les moutons35. » tour de garde » (H. Takahashi and L Van Rompay, “Reshʿayna, Theodosiopolis”. Dans Encyclopedic Dictionary of the Syriac Heritage, édité par S. Brock et al., Piscataway : Gorgias, 2011, p. 351) ». 33. Selon Bar Hébraeus, Gregorii Barhebraei Chronicon Ecclesiasticum quod e codice Musei Britannici descriptum [. . .], éd. J.-B. Abbeloos et T. Lamy (Paris : Maisonneuve/Louvain : Peeters, 1874), 2. col. 151, Jean le Chionite fut lui-même élu métropolite dans le monastère du Knūšyō de Sinjār, à la succession de Paul qui y résidait également. Ce lieu est lié aux tribus arabes chrétiennes comme le suggère la mention explicite dans la Vie d’Aḥūdemmeh ; Histoires d’Ahoudemmeh et de Marouta, métropolitains jacobites de Tagrit et de l’Orient (vie et viie siècles), éd. F. Nau, Patrologia Orientalis 3 (1909) : 27–28 et comme lieu de formation de deux évêques de tribus arabes, Ḥabīb des Banū Taġlib sous Denys de Tell Maḥrē (r. 203–30/818–45) et Salomon des Maʿadd sous son successeur Jean III ; Marūtā est célèbre pour avoir fondé le monastère de ʿAyn Gagā non loin du Ṯarṯār pour ses habitants et ses voyageurs, Vie de Marūtā, 88 ; quant à Théodote d’Amid, il est fameux pour avoir réuni des foules de « chrétiens et de Ṭayyōyē » (et guéri un Arabe) : Vie de Théodote, ms. Mārdīn, Église des quarante martyrs, no 275, fos 237r–296v, ici 270/548–49 ; 271/550‒51 : publication de l’édition de sa Vie garšūnī et traduction à venir, par J. Tannous, A. Palmer et R. Hoyland. 34. U. Simonsohn, « Seeking Justice among the “Outsiders”. Christian Recourse to Non-ecclesiastical Judicial Systems under Early Islam », Church History and Religious Culture 89, no 1–3 (2009) : 191‒216, voir 198‒99 ; U. Simonsohn, A Common Justice. The Legal Allegiances of Christians and Jews under Early Islam (Philadelphie : University of Pennsylvania Press, 2011), 36‒37 ; M. Tillier, L’invention du cadi. La justice des musulmans, des juifs et des chrétiens aux premiers siècles de l’Islam (Paris : Éditions de la Sorbonne, 2017), 469. 35. Chronicon 1234, 240. 181 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 182 Naturellement, ce sont les deuxième et troisième clauses qui nous intéressent ici. Ajoutons que la chronique du patriarche Michel le Syrien (r. 561–95/1166–99), qui suit généralement de près celle de son lointain prédécesseur Denys36, ne conserva pas non plus cet épisode. Dès lors, il est impossible de certifier que ce passage fut rédigé en syriaque au viiie ou au ixe siècle. Néanmoins, l’anonyme de la Chronique jusqu’en 1234 l’introduisit après avoir fait état de la répartition des terres à conquérir entre « quatre généraux », dont l’un aurait été chargé de soumettre les tribus arabes chrétiennes37. Le discours du premier calife est bien connu dans l’historiographie arabo-musulmane sous le nom de « recommandation (waṣiyya) d’Abū Bakr ». Dans la version des Généalogies des notables (Ansāb al-ašrāf) de l’historien al-Balāḏurī (m. 280/893), le « successeur » du Prophète aurait adressé à Yazīd b. Abī Sufyān (m. 18/639) un discours très semblable à celui reproduit par Denys : « Vous trouverez un groupe (qawm) : ils se sont enfermés eux-mêmes (ḥabasū anfusahum) dans des ṣawmaʿa-s, laissez-les (daʿūhum) ainsi que ce où ils se sont enfermés38. » Yazīd était le frère aîné de Muʿāwiya, futur gouverneur de Syrie puis commandeur des croyants (r. 23–40/644–60 puis r. 41–60/661–80). Il correspond vraisemblablement à l’un des « quatre généraux » qu’Abū Bakr, selon une source chrétienne commune du VIIIe siècle, expédia en Palestine et en Balqāʾ (Transjordanie). Selon toute vraisemblance, la source de Denys de Tell Maḥrē abrégea et traduisit simplement une information tirée de la tradition historiographique arabo-musulmane, à l’instar des traditions sur la conquête de Chypre ou la mort de Yazdgard (r. 11–30/632–51)39. De son côté, al-Balāḏurī affirme avoir obtenu cette information (ḫabar) à la lecture d’Ibn Saʿd (m. 230/845), lequel l’avait entendue de son maître, le fameux al-Wāqidī (m. v. 205/820) sans que ce dernier n’eusse nullement recouru à une quelconque chaine de transmission (isnād). Son contemporain Sayf b. ʿUmar (m. v. 180/796), à en croire al-Ṭabarī, aurait appris une sentence similaire du savant irakien al-Ḥasan al-Baṣrī (m. 110/728) : « Vous passerez par des groupes (aqwām) qui se sont affairés eux-mêmes (faraġū anfusahum) dans des ṣawmaʿa, laissez-les à ce à quoi ils s’affairent40. » T a n d i s q u e l e t e x t e s y r i a q u e d i s t i n g u a i t l e s « s t y l i t e s ( e s ṭ ū n ō r ē ) » d e s « solitaires (īḥīdōyē) » qui « se sont dévoués eux-mêmes (nafš -hūn) », les deux variantes arabes abbassides fusionnaient en une seule catégorie : ceux « qui se sont enfermés/affairés eux-mêmes (anfusahum) dans des ṣawmaʿa-s ». Par conséquent, ce dernier terme traduisait les demeures des deux types de reclus de la version syriaque. En second lieu, l’ordre du calife consistait à « abandonner/laisser » ces moines à leurs affaires. Si la version syriaque 36. Si l’on en croit l’introduction de A. Palmer, The Seventh Century in the West-Syrian Chronicles (Liverpool : Liverpool University Press, 1993), 85–103. 37. Arbʿō dēn rīšay-ḥaylūtō d-eštadr(ū) men Abū Bakr [. . .] w-aḥrōnō lūqbal Ṭayyōyē krisṭyōnē d-taḥīt pūqdōnō d-Rūmōyē. 38. Al-Balāḏurī, Jumal ansāb al-ašrāf, éd. S. Zakkār et R. Ziriklī, 13 vol. (Beyrouth : Dār al-Fikr, 1996–2005), 10 : 113. 39. M. Debié, « What Can We Learn from Syriac Historiography? », dans Studies in Theophanes, vol. 19, éd. F. Montinaro et M. Jankowiak, 365–82 (Paris : Association des amis du Centre d’histoire et civilisation de Byzance, 2015), 379. 40. Al-Ṭabarī, Taʾrīḫ al-rusul wa-l-mulūk, éd. M. de Goeje, 3 séries (Leyde : Brill, 1879), sér. 1, 1850. Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 182 était explicitement en faveur des reclus, la « recommandation » (waṣiyya) arabe préservait retenue et ambiguïté41. Néanmoins, ce passage reprenait le topos, bien ancré à l’époque d’Ibn Saʿd et de Denys, du respect dû aux moines et aux reclus de la part de conquérants non-chrétiens de la Syrie. En effet, selon une source arabe contemporaine, Ḫosrō Ier (r. 531–79), archétype du despote éclairé, à la fois païen et juste, aurait lui aussi demandé à ses troupes en partance vers la Syrie « qu’on laisse la ṣawmaʿa et qu’on sorte du couvent (dayr)42. » ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī (m. 211/827) rapporta aussi une version qui ressemble plus encore à celle de la Chronique jusqu’en 1234. Il l’imputait à une tradition de Yaḥyā b. Saʿīd (m. 145/762), à travers deux de ses maîtres du milieu du iie siècle de l’hégire, Sufyān al-Ṯawrī (m. 161/778) et Ibn Jurayj (m. 150/767). Ceci suggère que cette tradition était encore tout juste émergeante au cours du iie/viiie siècle. Le muḥaddiṯ inséra sa version dans la liste des règles du ius in bello en pays conquis. Comme dans le texte syriaque, après avoir affirmé : « Ne déracinez aucun dattier, ne les brûlez pas », Abū Bakr aurait ainsi poursuivi : « Ne dévastez ni ne dépouillez (lā tajbunū wa-lā taġlulū) [. . .] ceux qui se sont enfermés eux-mêmes, ceux qui sont dans les ṣawmaʿa-s43. » Contrairement aux versions d’al-Balāḏurī et d’al-Ṭabarī, le discours (ḥadīṯ) copié par ʿAbd al-Razzāq distinguait deux propositions, à l’instar de la notice de la Chronique jusqu’en 1234 : (1) ceux qui se sont « reclus (ḤBS) eux-mêmes (anfusahum) » et (2) « ceux qui sont dans des ṣawmaʿa-s ». Le lecteur moderne pourrait le comprendre comme un accolement à effet de redondance, classique en langue sémitique. Pourtant, la comparaison avec la version syriaque qui sépare également les « stylites (esṭūnōrē) » des « solitaires (īḥīdōyē) » laisse supposer que l’auteur arabe du ḥadīṯ souhaita d’abord mentionner les reclus (ḥabīs-s) au sens large, puis aussi ceux qui résidaient dans les ṣawmaʿa-s. L’auteur syriaque avait rapporté une version détaillée de la waṣiyya d’Abū Bakr qui réservait aux stylites (esṭūnōrē) une position particulière, qui, à notre sens, équivaut à la partie ṣawmaʿa de la version arabe. Il semble donc que les informateurs d’al-Balāḏurī et d’al-Ṭabarī fusionnèrent dans un second temps les deux catégories d’ascètes comme « ceux qui (1) se sont reclus (ḤBS) eux-mêmes (anfusahum) (2) dans des ṣawmaʿa-s ». Ainsi, chez les auteurs arabes d’époque abbasside, une partie, puis la totalité des reclus étaient supposés résider dans ces structures. Dès lors, ce vocable équivalait-il au lieu de retraite qui, en syriaque, caractérisait les stylites : la colonne (esṭūnō) ? 2.2. L’intuition de Lammens : la ṣawmaʿa comme tour de stylite Si la waṣiyya date véritablement d’Abū Bakr, il est nécessaire de comparer le sens de ṣawmaʿa dans la langue du compagnon du Prophète avec le seul texte contemporain de ce dernier : le Coran lui-même. Malheureusement, le terme n’apparait qu’une seule fois dans la vulgate othmanienne préservée, au nombre d’une liste de vocables fléchis au pluriel et se 41. Il est intéressant d’observer que les versions syriaques comme arabes insistent sur anfusahum/nafš-hūn. 42. Abū Ḥanīfa al-Dīnawarī, al-Aḫbār al-ṭiwāl, éd. ʿA. ʿĀmir (Le Caire : Dār Iḥyāʾ al-Kutub al-ʿArabī, 1960), 88. 43. ʿ Abd al-Razzāq al-Ṣanʿānī, al-Muṣannaf, éd. Ḥ.. R. al-Aʿẓamī, 11 vol. (Beyrouth : al-Maktab al-Islāmī, 1983), 5 : 199. 183 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 184 référant à des lieux de culte : « Si Dieu ne repoussait pas les hommes les uns des autres, alors auraient été démolis : ṣawmaʿa-s, églises/synagogues (biyaʿ), [lieux de] prières (ṣalawāt) et “prosternatoires” (masājid) où est rappelé le nom de Dieu !44 » Ce verset quelque peu sibyllin fut accolé à d’autres sentences sur le culte mekkois. Dès lors, il ne nous éclaire pas vraiment sur la signification précise des quatre termes. Tous désignaient un type de lieu de culte monothéiste sans qu’il soit possible de discriminer l’orientation confessionnelle de chacun, non plus que le rapport de la umma primitive à l’égard de leurs occupants45. Toutefois, une seconde occurrence du premier siècle de l’hégire apporte un éclairage précieux. Il s’agit d’un distique du poète chrétien al-Aḫṭal al-Taġlibī (m. v. 101/720)46, un des plus fameux aèdes de la période omeyyade, qui peut se traduire approximativement comme suit : Quant à moi, au [nom du] Seigneur des chrétiens en leurs célébrations (ʿīd) et des musulmans lorsque les réunit l’assemblée (= le vendredi ? : jumaʿ). . . .Et au [nom du] Seigneur de tout reclus (ḥabīs) en haut (fawq) de sa ṣawmaʿa Il marche, peu lui importe le monde (dunyā) ou l’envie (ṭamʿ)47 ! Lammens, prêtre arabisant et historien orientaliste, avait déjà traduit ces vers en 1894 dans l’une de ses premières publications consacrées au Chantre des Omeyyades. Il avait assez naturellement restitué la troisième strophe « par le Dieu des anachorètes, du haut de leurs ermitages48 ». Toutefois, dix ans plus tard, il avait repris l’étude du célèbre poète de la cour marwānide49 et, avec une intuition de dialectisant, s’était exclamé : Nous nous étonnons que nous ayons pu nous y méprendre jadis, ou que personne parmi les orientalistes n’ait relevé notre erreur. Car c’en était une quand, à la suite de certains 44. Qurʾān 22 : 40 : Law lā dafʿu Llāh al-nāsa baʿḍahum bi-baʿḍin la-huddimat ṣawāmiʿu wa-biyaʿun wa-ṣalawātun wa-masājidu yuḏkaru fīhā ismu Llāhi kaṯīran. 45. M. Azaiez, « Sourate 22 : Al-Ḥajj (Le Pèlerinage) », dans Le Coran des Historiens, sous la direction de M. A. Amir-Moezzi et G. Dye, 3 vols. (Paris : Le Cerf, 2019), 2/1 : 833 traduit « monastères, églises, synagogues, et mosquées (ou “sanctuaires” en général) ». À propos de ṣawmaʿa, ils se fondent sur A. Jeffery, The Foreign Vocabulary of the Qurʾān, (Baroda : Oriental Institute, 1938), 200–201 qui a traduit « cloister » et présumé un emprunt étranger, proposant, sur la foi de l’usage guèze tardif, d’y voir un mot d’origine sudarabique, tout en concédant « though we have as yet no S. Arabian word with which to compare it ». Je remercie Antoine Borrut pour m’avoir rappelé cette importante référence. 46. Sa célèbre ode (qaṣīda) en hommage à la victoire de ʿAbd al-Malik en 72/691–92 a été étudiée en détail par S. Stetkevych, « Umayyad Panegyric and the Poetics of Islamic Hegemony. Al-Akhtạl’s “Khaffa al-Qatị̄nu” », Journal of Arabic Literature 28, no 2 (1997) : 89–122 ; voir aussi S. Stetkevych, « Al-Akhṭal at the Court of ʿAbd al-Malik. The Qaṣida and the Construction of Umayyad Authority », dans Christians and Others in the Umayyad State, éd. A. Borrut et F. M. Donner, 129–55 (Chicago : Oriental Institute, 2016) ; A. Borrut, Entre mémoire et pouvoir. L’espace syrien sous les derniers Omeyyades et les premiers Abbassides (v. 72–193/692–809) (Leyde : Brill, 2011), 69, n. 23 souligne qu’il serait utile de « mieux préciser » « les conditions de transmission » du panégyrique qui lui est attribué. 47. Al-Aḫṭal al-Taġlibī, Šiʿr al-Aḫṭal (riwāya [. . .] ʿan Abī Saʿīd al-Sukkarī ʿan M. Ibn Ḥabīb ʿan Ibn al-Aʿrābī), éd. A. Ṣāliḥānī, 4 vol. (Beyrouth : Imprimerie catholique, 1891), 71, vv. 5–6. 48. Lammens, « Le chantre des Omiades », 109 [16]. 49. Lammens, « Poète royal », 35–36. Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 184 lexicographes postérieurs, nous avons rendu « ṣaumaʿa » par ermitage, sens que lui assignent le plus souvent les dictionnaires actuels. Ce n’est là ni l’unique ni surtout la primitive signification du terme, lequel se dit originairement d’une construction élevée, se terminant en forme de tour ou de pyramide. C’est ainsi que les minarets des mosquées sont également appelés ṣaumaʿa, et l’ancien tombeau romain de Homs, à forme pyramidale, porte encore ce dernier nom. La signification d’ermitage s’est développée beaucoup plus tard, quand on avait perdu le souvenir de la vie des stylites et peut-être aussi sous l’influence de cette hostilité contre le célibat et l’ascétisme monastiques, hostilité concrétisée dans cet aphorisme très musulman : « les ermitages des fidèles, ce sont leurs demeures50 ». Lammens a alors proposé de corriger sa première traduction de ṣawmaʿa du sens tardif et générique « d’ermitage » à celui d’une « tour » de « stylite51 ». Il se fondait avant tout sur l’usage courant du même vocable pour désigner les minarets des mosquées dont l’apparence se rapprochait des tours de stylites de l’espace syrien tardo-antique. L’idée d’élévation, dans le distique d’al-Aḫṭal, résidait avant tout dans la préposition « fawq », un usage qu’il est tentant de comparer à celui d’un ḥadīṯ attribué à ʿAlī b. Abī Ṭālib (r. 36–41/656–61), dans l’exégèse d’Ibn Wahb (m. 197/813), à propos des moines (ruhbān)52. Le calife les aurait définis comme ceux qui « s’enferment (ḤBS) eux-mêmes (anfusahum) en haut (ʿalā) des ṣawmaʿa-s53 ». Il est aussi possible de rapprocher ce dispositif de celui du poète al-ʿAttābī (m. 220/835) qui, d’après la « Séance » (Mujālasa) mystique d’Abū Bakr al-Dīnawarī (m. 333/944), se serait exclamé : « Alors que je passai près d’un couvent (dayr), j’entendis un moine m’appeler : je levai la tête vers lui et appelai : “Ô moine !” et il me regarda d’en haut (ašrafa ʿalayya)54. » Selon Ibn Ḥanbal (m. 241/855) l’ascète israélite archétypal nommé Jurayj devait « monter (ṣaʿada) pour accéder à sa ṣawmaʿa »55. Ici encore, la ṣawmaʿa consiste en une retraite monastique en hauteur56. Toutefois Lammens n’a jamais étayé son hypothèse et on ne peut déduire sans équivoque qu’« en haut » (fawq, ʿalā) désigne une tour d’ermitage à l’exclusion, par exemple, d’une grotte de montagne ou du sommet pyramidal d’un tertre57. Il existe 50. Ibid., 36. 51. Ibid., 34–36. 52. Dans Qurʾān 18 : 103–4. 53. Al-Ṭabarī, Jāmiʿ al-bayān ʿan taʾwīl al-Qurʾān, éd. A. M. Šākir, 24 vol. (Le Caire : Dār al-Maʿārif, 1961), 18 : 126. 54. Abū Bakr al-Dīnawarī, al-Mujālasa wa-jawāhir al-ʿilm, éd. M. Āl Salmān, 10 vol. (Bahrain : Dār Ibn Ḥazm, 1998), 3 : 365. 55. Ibn Ḥanbal, Musnad, éd. A. Šākir, 8 vol. (Le Caire : Dār al-Ḥadīṯ, 1995), 8 : 155. 56. J.-M. Fiey, Assyrie chrétienne 3 (Beyrouth : Institut de lettres orientales, 1968), 242–43 avait observé que les ruines des monastères du Bēt Aramāyē étaient souvent appelées al-qāʾim : « les dressés ». 57. Cette hypothèse fut à la fois reprise et critiquée par Trimingham, Christianity among the Arabs, 233–35 qui pourtant ne cite pas Lammens lorsqu’il traduit le vers. Néanmoins, il critique l’emploi univoque de ṣawmaʿa comme colonne et rappelle son emploi comme ermitage au sens large dans al-Ṭabarī à propos du moine Baḥīra : « The Arabic term sawmaʿa has caused confusion. This term was applied to any elevated structure. The Taghlibī 185 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 186 de nombreuses occurrences de réclusions qui sont, symboliquement ou réellement, « en hauteur », sans qu’il soit possible de garantir qu’il s’agisse toujours d’une colonne de stylite. C’est notamment le cas, dans l’espace ex-sassanide, de ceux des moines « qui ont choisi la station et ne descendent point à terre » que le métropolite Marūtā (m. 28/649) aurait installés près d’un couvent58. Néanmoins, il est possible d’affirmer qu’au ive/xe siècle, le terme syriaque désignant la colonne du stylite (esṭūnō) pouvait correspondre sans difficulté à la ṣawmaʿa arabe. En effet, les syro-orthodoxes d’époque ayyūbide, Michel le Syrien et l’anonyme de 1234 coïncident dans la description d’une violente tempête qui, en plus d’arracher les arbres, fit « chuter — beaucoup de — colonnes (esṭūnē) de bienheureux (ṭūbōnē) — de leur place —59 » aux alentours de l’année 29/648. Cette tradition syriaque est très probablement issue de la chronique perdue de Denys de Tell Maḥrē. En outre, elle apparaît aussi dans les chroniques de deux historiens chalcédoniens, l’hellénophone Théophane le Confesseur (m. 201/817) et l’arabophone Agapius/Maḥbūb de Manbij (m. après 330/942). Le premier décrit le même évènement en rapportant que « beaucoup de fûts de colonnes (stulous kionōn) tombèrent60 » tandis que, un siècle plus tard, Agapius traduisit, en une version en apparence fidèle à celle de Théophane, que « beaucoup de ṣawmaʿa-s tombèrent61 ». Ceci suggère nettement que cette information dérive d’une source commune. Lawrence Conrad et Robert Hoyland l’ont attribué à Théophile d’Édesse (m. v. 164/780), historien et astrologue de la cour abbasside qui aurait écrit une chronique en syriaque62. Muriel Debié a néanmoins démontré récemment que cette supposition n’était pas un fait assuré63, poet Akhṭal swears “by the God of the solitaries, walking on the tops of their columns”. Al-Akhṭal, Shiʿr, 71, l. 5. The column had a platform on top where the hermit could walk about. They were not confined to their column and would come down to attend church at festivals. But the term was also applied to the pyramidal-shaped structures in which desert ascetics frequently lived. » Il n’apporte pas non plus de référence au qualificatif de ṣawmaʿa associé aux structures pyramidales de ces ascètes : « Generally, sawmaʿa means simply “hermitage”, and the Arab poets distinguish ruhban, “monks”, as ashab as-sawami: “dwellers of the hermitages”. The Prophet Muhammad, according to tradition (Ṭabarī, I. 1124), associated with the rahib Bahira in his sawmaa at Bostra or during the journey there, and in the plural the word makes its appearance once in the Qur’an, in Sura 22:41. » 58. Vie de Marūtā, 88. 59. Michel le Syrien, Chronique, 429 ; Chronicon 1234, 260. 60. Théophane le Confesseur, Chronographia, éd. C. de Boor (Leipzig : Teubner, 1885), 343 ; il est instructif ici que les textes syriaques, grecs et arabes de 1234, Théophane et Agapius sont presque équivalents tandis que la version de Michel est assez différente. 61. Agapius de Manbij, Kitab al-ʿUnvan, histoire universelle [. . .] (II-2), éd. A. Vassiliev, Patrologia Orientalis 8 (1912) : 397–550, ici 480 [220]. 62. L. I. Conrad, « Theophanes and the Arabic Historical Tradition », Byzantinische Forschungen 15 (1990) : 1–44 ; Borrut, Entre mémoire et pouvoir, 83 et 144 et A. Borrut, « Court Astrologers and Historical Writing in Early ʿAbbāsid Baghdād. An Appraisal », dans The Place to Go. Contexts of Learning in Baghdād, 750–1000 C.E., éd. J. Scheiner et D. Janos, 455‒501 (Princeton, NJ : Darwin Press, 2014), 458‒59 et 477‒79 ; Robert Hoyland a proposé une reconstruction de la chronique initiale dans R. Hoyland, Theophilus of Edessa’s Chronicle. The Circulation of Historical Knowledge in Late Antiquity and Early Islam (Liverpool : Liverpool University Press, 2011). 63. Debié, Écriture de l’histoire, 28‒30. Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 186 car le témoignage de Théophile se limiterait à la période 126–36/744–5464 et à quelques observations du règne d’al-Manṣūr (r. 136–58/754–75), qui ne sont pas communs avec Théophane65. En outre, Maria Conterno a remarqué que l’informateur de Théophane semble avoir plutôt consulté une source arabe66, tandis que les notices syriaques similaires à celle du byzantin proviennent souvent d’un original grec67. Enfin, la source commune la plus reconnaissable pour le viie siècle a de bonnes chances d’être issue d’un milieu officiel byzantin68. Ici, Théophane dépeint une catastrophe dont le paroxysme fut atteint par la chute d’antiques colonnes. Pourtant, il ne mentionne pas les stylites. Toutefois, Denys de Tell Maḥrē comprit tout autrement un évènement dont la conséquence la plus drastique aurait été humaine : des colonnes des stylites furent abattues par une fulgurante tempête. Ceci implique d’une part qu’il est possible que Théophane (ou sa source byzantine) fut la véritable source commune de l’évènement, et que, dans un second temps, Denys (ou sa source syriaque) l’interpréta avec une légère variation. D’autre part, nous apprenons que pour Agapius, le terme ṣawāmiʿ (pluriel de ṣawmaʿa) est une fidèle et exacte traduction de stulous kionōn. En outre, il est possible que son interprétation fût influencée par un original syro-occidental consulté par Denys : ṣawāmiʿ traduisait non seulement les « fûts de colonnes », mais peut-être également les « colonnes de bienheureux » (esṭūnē d-ṭūbōnē). Nous disposons d’un second cas de traduction arabe du terme esṭūnōyō, mais dont la datation est moins aisée. Ainsi, la version garšūnī69 de la Vie de Théodote d’Amid (m. 696) comporte deux allusions à des ahl/ḏawī al-ṣawāmiʿ70. Cette expression y traduit un original syriaque dont une copie est préservée à Mārdīn, où les mêmes « gens des ṣawmaʿa-s » sont qualifiés d’esṭūnōyē : « Allons aujourd’hui sortir et recevoir les bénédictions des bienheureux et des stylites (ahl al-ṣawāmiʿ = esṭūnōyē) et des reclus qui sont autour de la cité [. . .]71 » et aussi : « Rappelle, seigneur Dieu, en ce moment, tous les moines croyants, et aussi les reclus et les stylites (ḏawī al-ṣawāmiʿ = esṭūnōyē)72 ». Comme dans la Chronique jusqu’en 1234 à propos d’Abū Bakr, il y a une association sémantique et littéraire avec les ḥubasāʾ/ḥabīšōyē, sans que ces derniers ne soient toutefois confondus. Par ailleurs, selon le 64. M. Conterno, « Theophilos, “the More Likely Candidate”? Towards a Reappraisal of the Question of Theophanes’ Oriental Source(s) », dans Montinaro et Jankowiak, Studies in Theophanes, 19 : 383–400, voir 395. 65. Debié, « What Can We Learn », 380–81. 66. Conterno, « Theophilos », 396–98. 67. Ibid., 387–93. 68. Ibid., 386. 69. Moyen-arabe écrit en faisant usage d’un alphabet syriaque. 70. Vie de Théodote, ms. St Mark 199, fos 557 r/874 et 561v/883, je remercie Jack Tannous pour sa communication de l’édition et de sa traduction de la version garšūnī de ce récit. 71. Vie de Théodote, fo 551/271v : ar : Fa-daʿā li-talmīḏihi Yūsuf wa-qāla lahu : taʿāl al-yawm naḫruju wa-natabāraku min al-ṭūbāniyyīn wa-min ahl al-ṣawāmiʿ wa-l-ḥubasāʾ allaḏīna ḥawl al-madīna = syr : w-qrā l-Yawsef talmīdeh w-emar leh : Tā yawmōnō nafūq w-netbarīk men ṭūbōnō w-men esṭūnōyē w-ḥbīšōyē da-ḥdor mdī(n)tō. 72. Ibid., fo 583/288v : b-ʿedōnōʿadnō hōnō, l-kulhūn yaḥīdōyē mhaymōnē w-ōf l-esṭūnōyē w-l-ḥabīšōyē. Ar : al-ruhbān al-muʾmīnīn wa-l-ḥubasāʾ wa-li-ḏawī al-ṣawāmiʿ. 187 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 188 lexicographe Bar Bahlūl (m. fin ive–xe siècle) esṭūnā se traduit en arabe ṣawmaʿa isṭawāna et esṭūnārā est rendu par al-ṣawmaʿī73. Comment, et à partir de quand, le terme ṣawmaʿa était-il devenu une traduction acceptable pour l’esṭūnō syriaque et le stulos kionos grec ? Est-il possible de remonter au sens originel de ce vocable auquel les dictionnaires modernes donnent l’unique sens de « cellule » ? 2.3. La tour et le phare du moine En 1989, Jonathan Bloom a réalisé une synthèse sur l’histoire architecturale et philologique du minaret islamique. Il s’est appuyé sur K. A. G. Creswell qui avait déterminé, à l’appui d’une tradition isolée, que les premiers ṣawmaʿa-s de mosquée seraient apparus à Fusṭāṭ en l’an 53/673, sans que le terme ne désignât une tour74. Selon Bloom, la mosquée de Médine aurait été rebâtie au début du viiie siècle avec quatre tours d’angle comportant une petite guérite. Elle aurait été imitée d’une forme architecturale des angles du téménos de Baʿl-Ḥadad/Zeus-Capitolin de Damas, qui aurait été préservée dans la mosquée cathédrale impériale après 86/705. Bloom s’est fondé sur une hypothèse de Joseph Schacht75 pour démontrer qu’un escalier de la mosquée omeyyade de Boṣra conduisait, sur le toit, à une structure pour l’appel à la prière (miʾḏana). Sa forme de cahute expliquerait l’usage d’un terme renvoyant à la cellule76. Il faudrait donc, selon cette interprétation, considérer que ṣawmaʿa définissait initialement une cellule du type de celles des moines, avant de désigner une cabine pour l’appel à la prière, et, finalement, la tour qui l’aurait plus tard prolongée. Toutefois, il est possible d’opposer à Bloom que ce furent peut-être ces tours antiques de Damas qui constituèrent, à l’inverse, le modèle de celles ajoutées à Médine à l’époque marwānide. En outre, malheureusement pour cette théorie, le plus ancien lexicographe arabe, al-Ḫalīl b. Aḥmad (m. v. 170/786) n’associe ce vocable ni à une « cellule » de moine, rendue plus fréquemment par qill(ā)ya77, ni à une structure pour l’appel à la prière (miʾḏana)78. Enfin, aucune des acceptions sémantiques renvoyant à une forme menue, étriquée, étroite, creusée et/ou quadrangulaire n’est reliée, dans les dictionnaires médiévaux, à la racine ṣamaʿa. 73. Bar Bahlūl, Lexicon Syriacum auctore Hassano bar Bahlule, éd. R. Duval (Paris : Reipublicae Typographaeo, 1888), 1 : 221–22. 74. K. A. G. Creswell, The Evolution of the Minaret (Londres : Burlington Magazine, 1926), 13 et 28–29. 75. J. Schacht, « Ein archaischer Minaret-Typ in Ägypten und Anatolien », Ars Islamica 5, no 1 (1938) : 46–54, ici 46. 76. J. Bloom, Minaret. Symbol of Islam (Oxford : Oxford University Press, 1989), 31–32. 77. A. de Biberstein Kazimirski, Dictionnaire arabe-français contenant toutes les racines de la langue arabe (Paris : Maisonneuve, 1860), 2 : 808, ne recense que la forme qilliyya ; Bar Bahlūl, Lexicon Syriacum, 3 : 1791 traduit qellāytā par « Qillāya : logement, habitat, pièce du moine (rāhib) ». Ces termes dérivent probablement du grec byzantin depuis le latin cellia. 78. Al-Ḫalīl, Kitāb al-ʿAyn, éd. M. al-Maḫzūmī et I. al-Sāmarrāʾī (Bagdad : Dār al-Rašīd, 1980), 1 : 316. Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 188 Ainsi, le verbe ṣamaʿa fulān (bi-) signifie « frapper ou détourner quelqu’un (avec) » tandis que la variante ṣamiʿa fī induit, en plus de l’idée de « lapsus », un « départ sans crainte du danger ». Ceci se rapproche de la notion de « moine » (rāhib) qui, en arabe, repose sur une racine sous-tendant le champ sémantique de l’effroi et de la fuite. Quant à ṣammaʿa (forme II), le sens induit est une « action qui suit une décision résolue » tandis que la forme VII confirme la notion de « persister dans une disposition d’esprit79 ». Bar Bahlūl proposait quant à lui de rapprocher la racine syriaque de la forme adjectivale arabe aṣmaʿ /ṣamʿāʾ80, qui désigne ce qui s’élève, se dresse, et par extension, d’une part, ce qui est insolent ou audacieux, et d’autre part le sabre, l’esprit vif et pénétrant. La deuxième forme arabe revêt un second sens, qu’elle partage avec la forme exceptionnelle ṣawmaʿa : « faire un tas en cône pointu81 ». Il est possible de rapprocher ce sens du nom syriaque courant (ṣemʿā) qui désigne les ordures82 et qui a peut-être produit le (ou été dérivé du) sens du tas d’ordure en forme de cône, et a pu, dans un second temps, être associé au lieu de retraite des ermites dans les dépotoirs extra-urbains. Néanmoins, ce schème hétérodoxe fawʿal(a) pose problème, il découle d’une forme araméenne pourtant absente des dictionnaires de syriaque classique. Dès lors, le nom ṣawmaʿ (avec ou sans tāʾ marbūṭa) désigne à la fois la « tour », le « bonnet » conique, « l’aigle » ou le « petit couvent » tandis que la forme adjectivale aṣmaʿ, les adjectifs muṣammaʿ et muṣawmaʿa renvoient effectivement à quelque chose de pointu et de perçant83. Pour synthétiser, les champs lexicaux figurés induisent l’idée d’une pénétration de l’esprit, d’une idée ferme, dressée et aigüe tandis que le sens propre renverrait à un objet, un animal, un matériau, ou un bâtiment pointu ou pointant. Nous avons dit qu’al-Ḫalīl b. Aḥmad, au viiie siècle, ne connaissait ni le sens de minaret ni celui de petite pièce. En revanche, il connaissait bien une « ṣawmaʿa du moine » qu’il définissait comme le « phare (manāra) où il se réfugie/cloître (tarahhaba) »84. Il est certain qu’un phare ne correspond pas systématiquement à une tour. Néanmoins, Bloom avait lui aussi envisagé que des feux de signalisation fussent généralement installés sur des structures élevées85. Lammens a en son temps souligné l’expression de la « lampe du stylite » dans la poésie arabe post-hégirienne86. Dès les fondements du stylitisme, au ve siècle, la colonne du reclus était déjà comparée, à tout le moins au sens figuré, à un phare, ainsi Théodoret de Cyr à propos de Siméon disait : « Les Ismaélites, par exemple, asservis par myriades aux ténèbres (zofō) de l’impiété, c’est la station sur la colonne (kionos) qui les a éclairés (épi tou efōtise 79. De Biberstein Kazimirski, Dictionnaire, 2 : 1371. 80. Bar Bahlūl, Lexicon, 1671–72. Et aussi la finesse d’une oreille dressée. 81. On se représentera un tas de fruits au sūq. 82. J. Payne Smith, A Compendious Syriac Dictionary Founded upon the Thesaurus Syriacus of Robert Payne Smith (Oxford : Clarendon, 1903), 481. 83. De Biberstein Kazimirski, Dictionnaire, 2 : 1371 ; mutaṣammiʿ semble utilisé surtout pour des plumes en forme de pointe. 84. Al-Ḫalīl, al-ʿAyn, 1 : 316. 85. Bloom, Minaret, 37. 86. Lammens, « Poète royal », 34. 189 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 190 stasis). Car, posée comme sur une lampe (luknos) [. . .] toute brillante, elle a projeté tous ses rayons à l’instar du soleil [. . .]87. » Et encore, désignant Siméon, certes, mais au sommet de sa colonne : « Ils arrivent en bandes de 200 ou 300 en même temps, même parfois par milliers, ils renoncent à leurs erreurs ancestrales à grands cris, brisant devant ce grand luminaire (fōsteros) les idoles adorées par leurs pères88. » Lukas Schachner a mis en évidence « l’appropriation symbolique », par les stylites, de leur environnement, à travers à la fois leur propre « champ de vision » et « l’énorme visibilité de leurs piliers ». Il a notamment dressé une très importante carte des contacts visuels entre les différents hommes saints perchés sur la crête calcaire, au croisement des voies Apamée-Cyrrhus et Antioche-Alep/Chalcis89. À cette occasion, il a matérialisé cette citation de Jean d’Éphèse à propos des Vies d’Abraham et Mārūn : « tandis que le monastère et le saint homme étaient visibles comme le soleil depuis le village90 » et l’a mise en relations avec l’organisation de l’espace91. Le lexicographe al-Ḫalīl ne nous a pas laissé de description de ce genre de « phare du moine » de retraite monacale. Il considérait cette notion comme tellement évidente que, pour définir le terme polysémique qaws, il se contenta de le décrire comme « le sommet de la ṣawmaʿa »92. Ce manque de précision révèle cependant que la forme d’une « tour de signalisation (manāra) » ne souffrait guère de débat à la fin du viiie siècle. Une tradition attribuée au compagnon de ʿUmar II et son gouverneur pour Mossoul, Yaḥyā b. Yaḥyā al-Ġassānī, reflète cette notion de tour associée à la ṣawmaʿa. En effet, son petit-fils rapporte de lui qu’un moine résidait en une ṣawmaʿa qui se trouvait au sommet d’une manāra de la cathédrale St Jean Baptiste, au moment où al-Walīd Ier (r. 86–96/705–15) lança les travaux d’agrandissement de la mosquée93. De son côté, le sunnite cilicien Abū ʿUbayd b. Sallām se proposa d’expliciter un ḥadīṯ prophétique qui conseillait aux voyageurs de presser la marche en passant près du Ṭirbāl94. 87. Théodoret de Cyr, Histoire des moines de Syrie, éd. P. Canivet et A. Leroy-Molinghen (Paris : Le Cerf, 1979), 2 : 193 (XXVI.13). 88. Ibid. 89. L. Schachner, « The Archaeology of the Stylite », dans Religious Diversity in Late Antiquity, éd. D. M. Gwynn et S. Bangert, 329–97 (Leyde : Brill, 2010), 378–80. 90. Jean d’Éphèse, « Lives of the Eastern Saints », 82. 91. Schachner, « The Archaeology of the Stylite », 378, n. 182 a proposé que les sites de Jabal Sarīr ; ainsi que al-Ṣawmaʿa, Kīmār et Androna, entre autres, fussent dominés de la sorte par leur solitaire. 92. Al-Ḫalīl, al-ʿAyn, 5 : 189 ; à propos du qaws, Ibn Hišām, al-Sīra al-nabawiyya, éd. M. al-Saqqā, I. al-Abyārī et ʿA. al-Šallabī (Beyrouth : Iḥyāʾ Turāṯ al-ʿArabī, 1971), 554 propose une définition semblable : al-qaws : ṣawmaʿat al-rāhib. 93. Ibn ʿAsākir, Tāʾrīḫ madīnat Dimašq, éd. U. al-ʿAmrawī, 80 vols (Beyrouth: Dār al-Fikr, 1995-2000), 2 : 252 : Abū Muḥammad al-Sulamī → ʿAbd al-ʿAzīz b. Aḥmad → Abū Muḥammad al-Akfānī → Ibrāhīm b. Hišām b. Yaḥyā b. Yaḥyā al-Ġassānī → Yaḥyā b. Yaḥyā : « Il entra dans l’église et monta à la manāra Ḏāt al-Aḍāliʿ connue sous le nom des « Heures » (al-Sāʿāt) : il s’y trouvait un moine (rāhib) qui s’était retiré (yaʾawī) dans une ṣawmaʿa à lui. Alors il le somma de descendre de la ṣawmaʿa mais le moine accrut ses paroles et la main d’al-Walīd ne quitta point sa nuque (qafā) jusqu’à l’avoir fait descendre de la manāra. » 94. Le Ṭirbāl désigne une tour monumentale du iiie siècle située au centre de la « ville ronde » de Gūr (Fārs, Iran), le terme arabe dérive probablement du tribulum (planche à battre), métonymie du cirque à battre le blé et Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 190 Pour définir cet objet, il s’appuya sur le lettré Abū ʿUbayda, qui le décrivait ainsi : « Ceci ressemble à une tour [. . .] de guet (manẓar) des Perses (ʿajam) qui a l’aspect d’une ṣawmaʿa, c’est-à-dire d’une construction élevée95. » Ainsi, à l’aube du ixe siècle, le terme ṣawmaʿa était en mesure de définir sans équivoque l’objet de tant de répulsion. Il s’agissait en fait de l’énorme tour quadrangulaire qui darde le coeur de la « ville ronde » sassanide de Gūr (iiie siècle). À l’époque d’Abū ʿUbayda, des minarets cultuels monumentaux commençaient à apparaître, mais il n’était pas envisageable de décrire le Ṭirbāl comme une tour d’appel à la prière (miʾḏana)96. Ainsi, la ṣawmaʿa était un terme profane qui désignait précisément une tour quadrangulaire, et ce bien avant d’avoir été associée à quelque bâtisse que ce fût sur le toit d’une mosquée. Il nous semble donc établi que ṣawmaʿa, à haute époque, signifiait déjà une tour et, au moins à partir du iiie/ixe siècle, la tour d’un reclus, à l’exclusion des concepts respectifs de « cellule » et de « minaret », absents de la lexicographie de l’époque. Il désignait avant tout un « phare » ou une structure juchée sur un « phare », voire au sommet d’une « colonne » (ʿamūd) comme la ṣawmaʿa décrite par Abū ʿUbayda dans le quartier damasquin de Jayrūn97. Dans cette zone, les larges colonnes qui subsistaient des propylées du téménos de Zeus, ou celles du péribolos qui le prolongeaient98, étaient en effet propices à l’installation d’un stylite. Dès lors, nous suivons Schachner qui a récemment proposé de traduire le toponyme Ṣawmaʿa, un village du Jabal Barīšā entre Chalcis et Antioche, où se situent les ruines impressionnantes d’une colonne, comme « a monk’s manār »99. Les textes arabo-musulmans, lorsqu’ils dépeignent les communautés de moines autour de leurs ṣawmaʿa-s, se réfèrent à ces autorités à la fois conventuelles et solitaires. Ce concept désignait la « colonne » (esṭūnō), qui prenait l’apparence générale d’une « tour » et se revêtait de la symbolique du « phare » (manāra) éclairant les croyants. Comment cette équivalence sémantique entre le reclus, la tour et la colonne du stylite s’est-elle constituée dans l’environnement syro-mésopotamien dans lequel évoluaient les Arabo-musulmans ? 2.4. Le stylite comme reclus syro-occidental archétypal La fusion conceptuelle entre la retraite anachorétique et l’ascétisme du stylite domine dans la littérature syro-occidentale à l’époque hégirienne. Elle constituait le résultat d’un par extension du poteau pour attacher la bête correspondant aussi à la meta de l’hippodrome, donc à un pilier, une tour. 95. Abū ʿUbayd Ibn Sallām, Ġarīb al-ḥadīṯ, éd. M. A. Ḫān, 4 vol. (Hyderabad : Dāʾirat al-Maʿārif, 1964), 1 : 18 ; Ibn Qutayba al-Dīnawarī, Kitāb al-Jarāṯīm, éd. M. J. al-Ḥamīdī, 2 vol. (Damas : Ministère de la Culture, s.d.), 2 : 302, se contente également de dire que le Ṭirbāl est une « grande ṣawmaʿa ». 96. Je n’ai pas trouvé cette définition dans ces œuvres. 97. Ibn al-Faqīh al-Hamdānī, Kitāb al-Buldān, éd. Y. al-Hādī (Beyrouth : ʿ Ālam al-Kutub, 1996), 162 ; Schachner, « Archaeology of the Stylite », 382–83 n’a pas identifié de traces d’un stylite au cœur de Damas. Il est possible qu’il y ait confusion avec le toponyme Jayrūn du Mont Liban. 98. M. Eychenne, A. Meier et É. Vigouroux, Le waqf de la mosquée des Omeyyades de Damas. Le manuscrit ottoman d’un inventaire mamelouk établi en 816/1413 (Beyrouth : Presses de l’Ifpo, 2018), 410–11. 99. Schachner, « Archaeology of the Stylite », 333 ; il se fonde sur E. W. Lane, An Arabic-English Lexicon, 4 vol. (Londres : Williams & Norgate, 1872), 1728. 191 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 192 long et patient travail de domestication des ermites et solitaires dont l’influence et l’abus d’autorité sur les populations rurales posaient problèmes à la hiérarchie ecclésiastique. Un avis de Georges, évêque syro-orthodoxe des tribus (ʿammē) dans la région du jund de Qinnasrīn (r. 68–105/687–724)100, dénonçait le fait que des gyrovagues erraient et, à l’aide d’amulettes usurpaient l’autorité divine pour influer sur les populations101. Les autorités du monde syro-araméen étaient confrontées à un paradoxe. D’un côté, elles continuaient à considérer le retrait du monde comme l’une des voies privilégiées de la sainteté chrétienne, de l’autre, il leur fallait soumettre les solitaires errants et les ermites à un ordre monastique. Ces deux motivations contradictoires les incitèrent à intégrer l’anachorèse à un cursus. Ce processus est mieux connu pour l’Église syro-orientale, en dépit du fait que l’archéologie n’y a pour le moment jamais identifié de tour ou de colonne et que la philologie n’y connaît aucun esṭūnārā (stylite). Ainsi, dans l’ex-empire sassanide, Dad-Išōʿ le Qaṭarien (m. v. 80/700) décrivait la hiérarchie depuis le laïc et le « fils du pacte » jusqu’aux gyrovagues et anachorètes en passant par les moines et les différents grades de solitaires102. Il s’employait en fait à les intégrer à la règle monastique en prévoyant notamment une période cénobitique de trois ans avant de recevoir du supérieur l’autorisation de se reclure103. L’historiographie contemporaine comme l’histoire sainte nestorienne104 attribuent l’origine de cette réforme monastique à Abraham de Kaškar (m. 588)105. Il aurait instauré une règle pour fédérer les solitaires de l’Orient et, durant le demi-siècle précédant l’hégire, les institutions monastiques de l’Adiabène, de l’Irak et du golfe persique (Baḥrayn) en furent profondément modifiées. Les Pères Peña, Castellana et Fernandez avaient déjà remarqué comment les Reclus syriens s’étaient le plus souvent installés dans des tours à ermitage et qu’il semblait manquer un terme syriaque pour définir ces retraites. Ils ne connaissaient qu’un exemple pour l’année 457–58 où un dérivé du terme grec purgos (pūrqasā) était employé106. Or, à cette date, le fondateur du stylitisme, Siméon, était encore en vie et son modèle d’anachorèse 100. Sur ce personnage voir n. 155. 101. Bar Hébraeus, Nomocanon, 113. 102. Dad-Išōʿ, Traité sur la solitude, 202, voir aussi Fauchon, « Vie ascétique », 42–48. 103. Ibid. 104. L’idée d’une « Église nestorienne » a été réfutée par S. Brock, « Nestorian Church. A Lamentable Misnomer », Bulletin of the John Rylands Library 78 (1996) : 23–53. Pour autant, si l’on suit le raisonnement très argumenté de G. J. Reinink, « Tradition and the Formation of the ‘Nestorian’ Identity in Sixth- to Seventh- Century Iraq », dans Religious Origins of Nations? The Christian Communities of the Middle East, éd. T. Bas Romeny, 217–50 (Leyde : Brill, 2009), l’expression n’est plus anachronique dès lors que l’on traite d’une période où tous les opposants à Babay le Grand, partisan d’une théologie exclusivement puisée aux enseignements de Théodore de Mopsueste, eurent été bannis de l’Église dyophysite ou aient rallié les miaphysites, lesquels formèrent leur propre institution en 8/629. Il semble en effet qu’une auto-identification « nestorienne » vit le jour au cours du ier/viie siècle. Dès lors, ce terme nous parait légitime pour qualifier l’Église de l’Orient à l’époque islamique. À partir du viiie siècle, l’expression n’était clairement plus perçue par les intéressés comme réductrice pour les syriaques dyophysites de l’ancien espace sassanide et elle fut employée par Šahdost de Ṭīrhān lui-même dès les années 130/750 (Reinink, « Tradition », 219). 105. F. Jullien, Le monachisme en Perse. La réforme d’Abraham le Grand, père des moines de l’orient, (Louvain : Peeters, 2008). 106. Peña, Castellana et Fernandez, Reclus syriens, 300–301. Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 192 ne s’était pas encore diffusé107. Dans l’espace syro-romain, l’Église semble avoir opté, afin de conjuguer cet appel à la sainte retraite et sa méfiance à l’égard d’hommes saints autodidactes, pour une institutionnalisation consistant à les « emmurer dans l’enceinte d’un monastère ou percher sur une colonne de stylite dans la cour, comme dans les monastères du Ṭūr ʿAbdīn108 ». Dans ce massif des confins orientaux de l’ex-empire romain, terrain favoris de retraite des moines syro-orthodoxes, de nombreuses colonnes furent édifiées au sein des établissements conventuels comme celle de Lazare à Ḥabsenūs datée de 175–76/791–92109. La Vie de Siméon des Oliviers, outre de lui attribuer erronément la construction de cette « ronde colonne pour les reclus (ḥbīšōyē) », assure que les moines s’y relayaient « dans la tour (būrgō du gr. purgos, cf. : arabe al-burj)110 ». Or il s’agissait bien d’une colonne, mais conçue en creux, comme un espace habitable111, à l’instar de la tour de réclusion quadrangulaire étagée identifiée par Palmer dans l’enceinte du monastère principal de Gabriel de Qarṭmīn, assez largement répandue dans l’espace syro-romain112. Selon Schachner : « In Syriac, the ambiguity of the term “pillar” (esṭunā) is even more apparent, as the Syriac term esṭunā can also mean “tower”. Most stylites—esṭunāyē or esṭunārē—were indeed of Syriac origin, and the physical resemblance of pillar and tower has led to a certain degree of semantic interchangeability in Syriac texts113. » 107. Fauchon, « Vie ascétique », 52–53. 108. R. Payne, « Monks, Dinars, and Date Palms. Hagiographical Production and the Expansion of Monastic Institutions in the Early Islamic Persian Gulf », Arabian Archeology and Epigraphy 22 (2011) : 97–111, ici 101–2 : « the incorporation of the perfect life of solitaries, whether immured within a monastery’s walls or perched upon a stylite’s column in the courtyard as in the West Syrian monasteries of Tur ʿAbdin ». Il fait allusion au développement de modèles équivalents dans l’espace syro-oriental, lesquels, cependant, ne connaissent pas de stylites. 109. Palmer, Monk and Mason, 105, 188 et 217. Voir également Desreumaux, « L’épigraphie syriaque », 287 : INSCR A.9 : « Cette colonne (esṭūnō) fut édifiée en l’an 1103 des Grecs, Marqūnō écrivit ceci ». Au sujet du processus de domestication dans la sphère syro-occidentale ou syro-romaine, en milieu chalcédonien comme anti-chalcédonien, on lira utilement S. Harvey, Asceticism and Society in Crisis (Berkeley : University of California Press, 1990) et D. Boero, « Symeon and the Making of the Stylite » (PhD diss., University of Southern California, 2015). 110. Vie de Siméon des Oliviers, ms. Mārdīn, Église des quarante martyrs, no 259, fos 105r–127r, ici 122v. 111. Palmer, Monk and Mason, 102. Elle aurait été fondée par Siméon des Oliviers (d-Zaytē), évêque de Ḥarrān (r. 80–115/700–34). 112. Ibid., 105 ; Peña, Castellana et Fernandez, Reclus syriens, 300–301. La Vie de Jacques de Ṣalaḥ décrirait une tour similaire dans le désert égyptien. Le bandeau de mosaïque des « quatorze cités » qui fut peut-être aménagé entre 718 et 756 dans l'entre- colonnement de l'église St. Etienne de Kastron Mefaa (Umm Rasas, Jordanie) (P.-L. Gatier, « Inscriptions grecques, mosaïques et églises des débuts de l'époque islamique au Proche-Orient ». Dans Le Proche-Orient de Justinien aux Abbassides, peuplement et déynamiques spatiales, édité par A. Borrut, M. Debié, A. Papaconstantinou, D. Pieri et J.-P. Sodini (Turnhout : Brepols, 2011), 22-25), symbolise ce même bourg par une colonne classique. Pourtant, le bâtiment d'ermitage adjacent, parfaitement conservé, est bien une tour quadrangulaire creuse et aménagée. 113. Schachner, « Archaeology of the Stylite », 333. 193 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 194 Il s’est notamment fondé sur la Vie de Luc le Stylite qui, à propos des adeptes de ce genre d’ascèse dans l’espace byzantin au ixe siècle, déclarait : « Ils refusaient de vivre au sol, et s’élevèrent au sommet de colonnes en forme de tour (purgoeidès)114 ». Ce dernier terme y caractérise en outre la colonne de Daniel près de Constantinople115. Certaines de ces bâtisses, notamment dans le nord du massif calcaire, ressemblaient beaucoup à des tours de guet domaniales ou politiques. Les fouilles du sanctuaire de St Siméon et de Dayḥis (syr. Dēḥes) ont mis en évidence l’existence de multiples tours dont celles édifiées à l’entrée des monastères purent avoir servi de poste de surveillance ou de guérite116. Néanmoins, Schachner a remarqué que ces tours étaient le plus souvent construites dans le même espace que les colonnes, et partageaient les mêmes fonctions ascétiques et symboliques, ce dont atteste encore le site de Qaṣr B(a)rād au nord du sanctuaire de Saint Siméon117. La fonction ambigüe de ces tours et leur identification à des colonnes ou piliers de réclusion restent à ce jour incertaines et nécessiteraient de poursuivre les recherches archéologiques, épigraphiques et textuelles. Pour autant, il existe une seconde allusion à une tour occupée par un stylite dans la Vie de Siméon des Oliviers. L’évêque de Ḥarrān aurait en effet nommé un certain « Jovien, moine et stylite » comme son représentant à Nisibe, dans le monastère de saint Élisée, qui, dit-on, « était confiné (ḥbīš) dans une tour (būrgō)118. Autrement dit, l’ensemble des attestations syriaques de « stylites » (esṭūnōyē/esṭūnōrē) désigneraient en réalité l’ensemble des ermites prenant abri dans une structure en forme de tour ou de colonne. Ainsi, le terme esṭūnōrō serait alors devenu un quasi-synonyme de reclus (ḥbīšōyō). À l’aube de l’hégire, selon Claire Fauchon, « les stylites ne sont plus des stylites mais simplement des ascètes, plus spécialement des reclus119 ». Ceci permet de comprendre pourquoi la chronologie de Qarṭmīn donne autant d’importance à sa liste de stylites (esṭūnōrē) et n’hésite pas à la faire débuter par « Mathieu le Reclus (ḥbīšōyō) », pourtant antérieur à Siméon le Stylite120. En outre, les « stylites » n’étaient plus des autorités solitaires et sans attaches, mais étaient bien souvent inclus dans un cadre cénobitique, voire à l’intérieur même de la mandra, le mur d’enceinte du monastère121. 114. Ibid., 377, n. 174 citant Delehaye, Saints Stylites, chap. 5. 115. Ibid., 333, citant Delehaye, Saints Stylites, chap. 7 ; Schachner, « Archaeology of the Stylite », 377, n. 173 signale aussi, que cet élément impacta les représentations géorgiennes de stylite, ainsi que celle de Siméon dans la nouvelle « église cachée » de Göreme en Cappadoce. 116. J.-L. Biscop, « Réorganisation du monachisme syrien autour du sanctuaire de Saint-Syméon », dans Les églises en monde syriaque, éd. F. Briquel-Chatonnet, 131–67 (Paris : Geuthner, 2013) ; J.-L. Biscop, M. Mundell Mango et D. Orssaud, Deir Déhès, monastère d’Antiochène. Étude architecturale (Beyrouth : Institut français d’archéologie du Proche-Orient, 1997). 117. Schachner, « Archaeology of the Stylite », 377. 118. Vie de Siméon des Oliviers, fo 117r. 119. Fauchon, « Vie ascétique », 49. 120. Palmer, Monk and Mason, 105. 121. Palmer, Monk and Mason, 80 ; voir également A. Binggeli, « Les stylites et l’eucharistie », dans Pratiques de l’eucharistie dans les Églises d’Orient et d’Occident, éd. N. Bériou, B. Caseau et D. Rigaux, 421–44 (Turnhout : Brepols, 2009), 430. Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 194 Deux ou trois siècles plus tard, ceci était devenu une institution : une colonne avait sa propre communauté monastique, dont le devoir était de servir le stylite et ses visiteurs et d’y fournir un successeur à sa mort [. . .]. Un tel monastère rendait physique la relation existant entre les consciences des moines de ces régions, même lorsqu’il n’y avait point de colonne, entre le coenobium et l’ermitage122. Les exemples de dignitaires ayant opté pour cette forme de retraite en colonne ou en tour (ou issus de celle-ci) se multiplièrent au cours des viie–viiie siècles, comme, entre autres, Georges (m. v. 80/700)123, Thomas de Tellā (m. 80/699)124 ou Zacharie d’Édesse (évêque en 145–46/762–63)125. Dans la province de Takrīt, Jean, le métropolite héritier de Marūtā, est surnommé Chionite (Kyūnōyō) : un synonyme de stylite126. En outre, il était admis qu’un évêque abandonnât son office en fin de vie pour se retirer dans un monastère de sa fondation à l'instar de Théodote Ier d’Amid à Qellet, dans le district de Ṣawrā, sur la bordure nord-ouest du Ṭūr ʿAbdīn127. Quant à son successeur Théodote II (r. 94–v. 110/712 ou 713–v. 728 ou 729), il aurait passé ses dernières années sur une colonne (esṭūnō) du Ṭūr ʿAbdīn128 : Ce saint Théodote, évêque d’Amid, [. . .] abdiqua de l’épiscopat de la ville. Il se retira donc de son siège et, quittant la cité, il descendit dans la région de Dārā, dans les confins qui sont entre Dārā et Amid, il se construisit là une colonne (esṭūnō) sur laquelle il monta, marchant sur les traces de Mār Thomas de Tellā. Il bâtit aussi dans ce même lieu un grand monastère : celui-là même qui jusqu’à présent est établi à côté du village appelé Qalūq129. Son contemporain Siméon des Oliviers, évêque de Ḥarrān (r. 81–116/700–34), serait quant à lui entré en contact avec le premier Théodote d’Amid130. En outre, il aurait longtemps habité la colonne d’un monastère du Ṭūr ʿAbdīn131. Plus tard, « il construisit une colonne 122. Ibid., 106 : « Two or three centuries later this had become an institution: a column had its own monastic community, whose duty it was to serve the stylite and his visitors and to provide a successor for him when he died [. . .]. Such a monastery made physical the relationship which existed in the minds of monks in this region, even where there were no columns, between coenobium and “mourner”. » 123. « Chronicon anonymum ad AD 819 », dans Chronicon 1234, 1–24, ici 13. 124. Chronique de Zuqnīn = Chronique de Denys de Tell-Mahré. Quatrième partie [. . .], éd. J.-B. Chabot (Paris : E. Bouillon, 1895), 12 ; « Chronicon 819 », 13 ; Vie de Théodote, fo 286r, dans la version garšūnī son titre est traduit : ʿāmūd. 125. Chronique de Zuqnīn, 77. 126. Bar Hébraeus, Chronicon Ecclesiasticum, 2 : col. 159. 127. Palmer, Monk and Mason, 88–90. 128. Chronique de Zuqnīn, 20–21, à ne pas confondre avec Théodote Ier d’Amid mort en 68/698, voir infra. 129. Chronique de Zuqnīn, 20–21. 130. Vie de Siméon des Oliviers, fo 116r. 131. Ibid., fos 106r, 108v, 109v, 110r, 120r. 195 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 196 (esṭūnō) grande et haute pour les reclus (ḥbīšōyē) » dans un monastère à l’extérieur de Nisibe132 et une autre dans le monastère de Saint Lazare133. Pour l’hagiographe, il était naturel qu’un reclus au sens large vive dans une colonne, qu’elle fût ou non cylindrique et pleine. Quant à Denys de Tell Maḥrē, nous avons vu qu’il comprit l’information concernant la chute des colonnes comme une catastrophe touchant les « bienheureux » qui y vivaient. Cette interprétation met en évidence à quel point le terme « colonne » était interprété, par les auteurs syro-occidentaux et notamment miaphysites, comme indissoluble de ce stylitisme134. Ainsi, l’élévation, la tour, le phare ou la colonne (ēsṭūnō = ṣawmaʿa) semblent avoir désigné à la fois l’ensemble des retraites des moines et des reclus. Siéger au sommet d’une motte conique, d’une tour ou d’une colonne, à proximité ou non d’un monastère, constituait une expression sociale et spirituelle similaire. Il reste toutefois nécessaire de poursuivre les recherches sur les stylites dans la littérature syro-occidentale afin de vérifier l’importance de cette association sémantique et terminologique ainsi que ses variations géographiques. Certains, à l’instar de leur modèle originel, eurent des relations importantes avec les populations arabes de leur voisinage. La figure du stylite semble avoir également été très liée à la question de la christianisation de ces tribus, et ce dans le prolongement de l’œuvre du premier d’entre eux, Saint Siméon l’Ancien. Nau a mis en évidence les passages de la Vie de Siméon le Stylite sur la conversion des bédouins Saracènes qu’il a conçu comme le modèle littéraire et social du processus d’évangélisation des Arabes du Proche Orient à l’aube de l’Islam135. En effet, les trois Vies rédigées en son honneur insistent sur l’influence du saint à l’égard de populations bédouines. La question de la christianisation des Arabes semble s’être accrue entre le milieu du ve siècle et le début du viie siècle. Lorsque Théodoret faisait simplement allusion à l’attractivité de l’homme saint chez des populations bédouines informes136, une Vie syriaque peut-être moins ancienne que ce que n’en dit le colophon137 ajoute des éléments sur des démarches officielles liées au royaume d’al-Ḥīra138, quant, finalement, la Vie grecque tardive attribuée à Antoine assure que le souverain lui-même 132. Ibid., fo 110r. 133. Ibid., fo 122v. 134. Michel le Syrien, Chronique, 429 ; Chronicon 1234, 260 ; sur la question d’un stylitisme spécifiquement miaphysite et syro-orthodoxe, voir Pierre, « Stylitisme et christianisation des Arabes ». 135. Nau, Arabes chrétiens, 37–38 et 104. 136. Théodoret de Cyr, Histoire des moines de Syrie, 190 (XXVI.13). 137. P. Peeters, « Saint Syméon Stylite et ses premiers biographes », Analecta Bollandiana 61 (1943) : 29–71, à 48 note que le manuscrit comporte la date de 474 et la considère comme paléographiquement plausible, 57 ; Lire à ce sujet S. Brelaud, « Al-Ḥīra et ses chrétiens dans les guerres romano-perses », Camenulae 15 (2016) : 1–26, ici 6–7. 138. Vie Syriaque de Siméon Stylite, éd. P. Bedjan, dans Acta Martyrum et Sanctorum 4, 507–644 (Leipzig : O. Harrassowitz, 1894), 597. Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 196 se convertit139. Ceci suggère un intérêt croissant de ses hagiographes et de ses imitateurs stylites pour les des Saracènes et les Ṭayyōyē, à l’aube de l’hégire140. 3. Du privilège à l’hostilité : le stylite face aux autorités normatives syro-orthodoxes et arabo-musulmanes Le discours attribué à Abū Bakr en sa waṣiyya incorpore sans grande équivoque l’essentiel des infrastructures cénobitiques comme érémitiques syriennes fédérées autour d’un homme saint sur son « pilier ». Leur influence auprès des Arabes était suffisamment importante pour que le deuxième dirigeant de l’État médinois enjoigne à ses troupes de les respecter tout en les évitant. En dépit de l’effort de « domestication » monastique, ils continuèrent de défier autant les canonistes de l’Église syro-orthodoxe que les juristes et doctrinaires arabo- musulmans. 3.1. Le stylite et les Arabes La ferveur des Arabes à l’égard des moines et anachorètes est fréquemment attestée à l’époque islamique. Ainsi, dès le milieu du viie siècle, le catholicos syro-oriental Išōʿ-Yahb III d’Adiabène (r. 28–39/649–59) soulignait, avec un brin d’exagération puisqu’il cherchait à réfuter les excuses de ses correspondants, que « non seulement [les Arabes (Ṭayyāyē)] ne combattent pas le christianisme, mais ils louent notre foi, honorent les prêtres et les saints de notre Seigneur et font des dons aux églises et aux couvents (dayrātā) !141 ». Une génération plus tard, Jean Bar Penkāyē, auteur syro-oriental de Nisibe qui écrivit dans le contexte de la deuxième fitna (v. 63–83/683–92), insistait encore sur le respect religieux que les solitaires inspiraient aux Arabes : À propos de notre ordre (gr : tagma) des solitaires (iḥīdāyē = moines) il y eut prudemment quelque commandement de Dieu afin qu’ils les (main)tiennent en honneur142 ! [. . .] Ils reçurent, comme je l’ai dit plus haut, un commandement de leur guide (mhaddyānā) à propos du peuple (ʿamā) des chrétiens et à propos de l’ordre des solitaires143. Alors que les monastères étaient ainsi révérés par les conquérants arabes, il semble que la forme de réclusion du stylitisme ait joui à la fin du ier siècle de l’hégire d’un important regain d’attractivité pour les moines syro-occidentaux et particulièrement chez les miaphysites. Deux stylites du premier tiers du viiie siècle incarnent parfaitement la figure de l’autorité institutionnelle syro-orthodoxe alliée à celle du saint homme populaire en contact avec les Arabes. Nous avons vu plus haut que l’auteur de la Vie de Siméon des Oliviers 139. Voir la traduction chez R. Doran, The Lives of Simeon Stylites (Collegeville, MN : Cistercian Publications, 1992) et la description de l’évènement : 95–96. 140. Voir en détail dans Pierre, « Stylitisme et christianisation des Arabes ». 141. Išōʿ-Yahb III d’Adiabène, Išōʿyahb Patriarchae III Liber epistularum, éd. R. Duval, CSCO 64 (1904–5), 251. Il avait comme objectif de dénoncer l’impiété de ses correspondants baḥrayniens/qaṭariens. 142. Jean Bar Penkāyē, « Rīsh Mellē (Livre 15) », dans Mingana, Sources syriaques 1, 143–71, voir 141. 143. Ibid., 146. 197 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 198 lui attribuait la prime fondation d’une colonne de monastère hors de la porte sud-est de Nisibe144, probablement dans le même couvent de Mār Élisée où son disciple Jovien habitait une « tour145 ». Il y aurait aussi fondé une hôtellerie (pūtqō, du grec pandokéion146, au même titre que le terme arabe funduq) pour les commerçants. Cet établissement se trouvait ainsi à l’aboutissement de la route commerciale en provenance de Balad sur le Tigre et accueillait des négociants arabes147. En outre, selon la Vie de Gabriel de Qarṭmīn il aurait fondé, à côté de l’église St Théodore148, un « bēt ṣlūtō149 pour les Arabes150 » qui est décrit en détail dans la Vie de Siméon des Oliviers151. Un second personnage représentatif de cette période est Jean de Mār Zʿūrā. Il est communément identifié avec le stylite Jean de Litarbā (m. 119/737), un des plus importants intellectuels syro-orthodoxes de l’époque marwānide152. Ce dernier est connu pour ces écrits aux nombres desquels une lettre en forme de responsum à une question d’un certain Daniel, « prêtre Ṭuʿōyō », une des expressions ethniques du diocèse de Georges153, l’évêque des tribus (ʿammē) (r. 687–724)154. Elle portait sur le sujet de la succession prophétique, au cours de laquelle il s’appuyait sur l’autorité de Georges, décrit comme « votre évêque155 ». 144. Palmer, Monk and Mason, 107 ; Vie de Siméon des Oliviers, fo 110 il fonde une colonne (esṭūnō) hors de la porte orientale de la ville. 145. Vie de Siméon des Oliviers, fo 117r. 146. Payne Smith, Dictionary, 440. 147. L’auteur de la Vie de Marūtā, 86 décrit un même type d’hôtellerie sur la route « entre l’Euphrate et le Tigre », qui comptaient des négociants « qui voyageaient dans le désert » (87), mais aussi de nombreux pèlerins, « principalement les peuples (ʿammē) qui demeurent dans cette Ǧazīra » (86–87) mais aussi Qaṣr Sarij/ʿAyn Qnōyē, explicitement associé au culte des Arabes dans la Vie d’Aḥūdemmeh, 29 situé à quelques kilomètre de la route commerciale entre Balad et Nisibe. Le funduq monastique de Nisibe est à mettre en relation avec le commerce Saracène contraint de passer par Nisibe et Dārā sous Justinien et Ḫosrō Ier. Ménandre, The History of Menander the Guardsman, éd. R. C. Blockley (Liverpool : Francis Cairns, 1985), 70–72. 148. Vie de Siméon des Oliviers, fo 112. 149. Un bēt ṣlūtō, littéralement « demeure de prière », consiste en principe en une petite pièce ou chapelle accolée à une église pour des dévotions populaires, voir à ce sujet E. Keser-Kayaalp, « Églises et monastères du Ṭur ʿAbdin. Les débuts d’une architecture “syriaque” », dans Briquel-Chatonnet, Les églises en monde syriaque, 269–88, ici 273 et 280 et E. Keser-Kayaalp, « Church Building in the Ṭur ʿ Abdin in the First Centuries of the Islamic Rule », dans Authority and Control in the Countryside. From Antiquity to Islam in the Mediterranean and Near East (6th–10th Century), éd. A. Delattre, M. Legendre et P. Sijpesteijn, 176–209 (Leyde : Brill, 2018), 194–95. 150. Vie de Gabriel de Bēt Qūsṭān, dans « A Critical Edition and Annotated Translation of the Qartmin Trilogy », éd. A. Palmer (Cambridge, 1989), 55–92, ici 89. 151. Vie de Siméon des Oliviers, fo 114v : un masgdō et madraseh. 152. Debié, Écriture de l’histoire, 199–200 ; sa retraite est mentionnée par Peña, Castellana et Fernandez, Stylites syriens, 51. 153. Pierre, « Les ʿAmmē », 31–33. 154. Dans les sources du iie/viiie siècle, Georges n’était pas qualifié « d’évêque des Arabes », mais uniquement d’« évêque des ʿammē » ce qui n’est pas sans importance (« Chronicon 819 », 13 ; « Chronicon ad annum 846 pertinens », éd. E. W. Brooks, dans Chronica Minora 2, 157–238 [Paris : CSCO 3, 1904], 232). Georges ne signe jamais non plus autrement que comme évêque des ʿAmmē des Tanūkōyē, des ʿAqūlōyē et des Ṭūʿōyē. 155. W. Wright, Catalogue of Syriac Manuscripts in the British Museum (Londres : Gilbert & Rivington, 1871), 2 : 988 : ms. BL Add 12,154, fos 291–93. Sur cette lettre, lire J. Tannous, Between Christology and Kalam? The Life Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 198 En outre, l’archivistique syro-occidentale préserva jusqu’à nos jours un court traité subdivisé en « sermons (mēmrē) » adressé aux « clercs du peuple/de la tribu (ʿamō) croyant des Arabes (Ṭayyōyē)156. » Litarbā était un bourg à proximité immédiate de la zone des stylites étudiée par Schachner où se trouvaient, entre autres, le sanctuaire de Saint Siméon, le site d’al-Ṣawmaʿa et le monastère de Tell ʿAddē où siégeait régulièrement le patriarche syro-orthodoxe. Jean de Mār Zʿūrā aurait donc résidé lui-aussi à proximité immédiate des principales voies commerciales du jund de Qinnasrīn. Ce dernier est surtout connu pour les multiples responsa que lui aurait renvoyées Jacques d’Édesse (m. 89/708). Un certain nombre des questions qu’il y aborda traitent de la proximité de certains Arabes (Ṭayyōyē) et/ou musulmans (mhaggrōyē) avec l’Église157. Ainsi, dans la deuxième lettre, il apprenait de Jacques que les portes d’une église devaient demeurer closes « à cause des mhaggrōyē, afin qu’ils ne puissent entrer ». Il interrogeait aussi le maître canoniste sur la possibilité de les soigner ou exorciser158, une pratique généralement bien attestée de la part des hommes saints syriaques159. Plus avant, il s’interrogeait sur la nécessité du re-baptême d’un ancien chrétien désireux de « revenir de son paganisme160 ». Enfin, étonné de voir juifs et musulmans des environs prier tous vers le sud, il en demanda la raison à Jacques, qui, pour avoir voyagé en Égypte, savait qu’ils priaient « en direction de Jérusalem et de la Kaʿba, le lieu ancestral de leur peuple161. » Ce stylitisme officialisé et généralisé eut une influence non-négligeable sur les Arabes conquérants. En outre, le caractère visuel spectaculaire et la localisation sur les routes commerciales, dans les cols de l’Antiochène ou le long de la route trans-mésopotamienne, impressionnaient nécessairement les commerçants. Dès lors, l’institution, par les arabo- musulmans, d’un tel privilège explicite attribué à la waṣiyya d’Abū Bakr prend tout son sens. 3.2. Les Arabo-musulmans et le clergé chrétien Il existe de bonnes raisons pour avancer que les solitaires et notamment les stylites et autres saints hommes (holy men) des communautés influencèrent le courant ascétique islamique en formation à tel point que, comme l’a souligné Thomas Sizgorich : « Le moine, emblème de militantisme et de piété ascétique joint en la personne d’une avant-garde and Letters of George, Bishop of the Arab Tribes (Piscataway, NJ : Gorgias Press, 2009), 676. 156. Alice Croq prépare actuellement une étude sur ce texte. Je la remercie infiniment de m’avoir informé de son existence. 157. M. Penn, Envisioning Islam. Syriac Christians and the Early Muslim World (Philadelphie : University of Pennsylvania Press, 2015), 144–60 ; voir les traductions de ces lettres dans M. Penn, When Christians First Met Muslims. A Sourcebook of the Earliest Syriac Writings on Islam (Oakland : University of California Press, 2015), 167–73. 158. Lettre 1, trad. Penn, When Christians Met Muslims, 167. 159. J. Tannous, The Making of the Medieval Middle East. Religion, Society, and Simple Believers (Princeton, NJ : Princeton University Press, 2018), 154. 160. Lettre 1, trad. Penn, When Christians Met Muslims, 168–69. Mentionnée par Tannous, The Making of the Medieval Middle East, 335. 161. Lettre 4, trad. Penn, When Christians Met Muslims, 172–73. 199 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 200 communautaire réémerge dans les premières descriptions islamiques du jihād et de ceux qui l’accomplissaient162. » À en croire Ibn Isḥāq (m. 150/768), le célèbre compagnon Salmān « le Perse » fut lui-même un moine anachorète d’obédience syro-orientale dont les maîtres ne cessèrent, à la veille de leurs trépas respectifs, de le recommander à un autre, ce qui l’aurait conduit, en bout de chaine, à rejoindre le Prophète163. Plus tard, mystiques et ascètes de la fin de la période abbasside se référèrent à ce personnage comme fondateur de leur mouvement, en insistant sur son inspiration chrétienne. En outre, ce compagnon clef fonde la chaine de transmission d’un ḥadīṯ qui confirme cette opinion islamique favorable aux reclus : « “Laisse les prêtres (qasīsūn) dans les ṣawmaʿa-s et les ruines”, m’a déclaré l’Apôtre, “car parmi eux, il y a des ṣiddiqūn (véridiques) et des ruhbān”164. » Ce ḥadīṯ reprenait la proposition modèle de la waṣiyya d’Abū Bakr « laisse les . . . » et entretient l’ambivalence exégétique du verset. Le ḥadīṯ de Salmān confirmait l’influence et la vénération dont jouissaient les moines stylites tout en entretenant une certaine ambiguïté. Il opposait les « prêtres » chrétiens qui vivent dans « les ṣawmaʿa-s et les ruines » et qui sont bel et bien « véridiques » à d’autres prêtres, desquels il faut se méfier et qu’on ne doit pas « laisser ». Il démontre comment des Arabo-musulmans étaient encore tentés par l’intercession des solitaires tandis que leur opinion « nazaréenne » était repoussée comme hétérodoxe. Au sujet de l’intercession des moines nazaréens, Ibn Abī Šayba (m. 235/849) transmit un avis du juriste syrien al-Awzāʿī (m. 157/774) qu’il aurait lui-même appris d’un maître d’époque omeyyade165 : « Il n’y a point de mal de dire “amen” à la prière invocatoire du moine [s’il invoque pour toi] ; car ils nous en font profiter tandis qu’ils ne s’en font pas profiter eux-mêmes !166 ». Cet avis constitua un des fondements de la religiosité ascétique d’Abū Bakr al-Dīnawarī, un siècle postérieur (m. 333/944) dans sa séance mystique167. Pour Ibn Abī Šayba, savant muḥaddiṯ contemporain de la miḥna, il semble toutefois refléter un moment d’ambivalence où l’on révérait encore l’extraordinaire piété exemplaire des solitaires des hauteurs, tout en combattant ardemment le credo chrétien. Dans la même veine, Muqātil b. Sulaymān (m. 150/767), un des premiers exégètes, tenta d’expliquer les termes clefs du verset Qurʾān 9 : 30 qui affirme que les enseignants (aḥbār) et les moines (ruhbān) auraient été adoptés par les chrétiens « comme maîtres/seigneurs (arbābā-n) » en place de Dieu. Les premiers, selon Muqātil, seraient des savants, « des ʿulamāʾ de leurs religions », sans que le savant eût eu connaissance du lien probable avec 162. T. Sizgorich, Violence and Belief in Late Antiquity. Militant Devotion in Christianity and Islam (Philadelphie : University of Pennsylvania Press, 2009), 160 : « The monk as an emblem of militancy and ascetic piety joined in the person of a communal vanguard reemerges in early Islamic descriptions of jihād and those who waged it. » 163. Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, éd. M. ʿĀṭāʾ, 8 vol. (Beyrouth : Dār al-Kutub al-ʿIlmiyya, 1990), 4 : 56 ; Ibn Hišām, Sīra, 1 : 214–22; sur sa migration mystique, S. Bowen Savant, The New Muslims of Post-conquest Iran. Tradition, Memory, and Conversion (Cambridge : Cambridge University Press, 2013), 63. 164. Ibn Abī Šayba, Musnad, éd. ʿĀ. al-ʿAzzāzī et A. al-Mazīdī, 2 vol. (Riyad : Dār al-Waṭan, 1997), 309–10. 165. Ḥassān b. ʿAṭiyya al-Muḥāribī. 166. Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf ,éd. K. Y. al-Ḥawt, 7 vol. (Riyad : Maktabat al-Rušd, 1988), 6 : 105. 167. Abū Bakr al-Dīnawarī, al-Mujālasa, 3 : 365. Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 200 le vocabulaire judéo-araméen. Quant aux seconds ils « sont les mujtahidūn de leur religion (dīn) : ce sont les gens des ṣawmaʿa-s168. » Il semble donc avoir opposer les savants formels que seraient les aḥbār aux intellectuels, « ceux qui s’efforcent » (mujtahidūn), que seraient les habitants des tours d’ermitage. Cependant, ce verset dut être accordé avec Qurʾān 57 : 26–27 qui édicte que « le monachisme (rahbāniyya), ils l’inventèrent!169 ». Muqātil envisagea donc une voie médiane, où, parmi les vrais chrétiens persécutés et retirés dans les ṣawmaʿa-s, aurait fini par apparaître un groupe qui aurait finalement renoncé à sa vraie religion pour adopter le « nazaréisme » : « Lorsque les polythéistes se multiplièrent et que les croyants furent vaincus et méprisés, après Jésus fils de Marie, ils se retirèrent et prirent les ṣawmaʿa-s. Ceci dura longtemps et alors certains renoncèrent (rajaʿa ʿan) à la religion de Jésus (ʿĪsā) et inventèrent le nazaréisme (naṣrāniyya)170. » L’exégète de la fin viiie siècle hésite, comme nombre de ses contemporains, à adopter ou non une posture respectueuse des ermites, garants de la vraie foi chrétienne. Le livre saint critiquait de manière acerbe l’anachorèse et reflétait la méfiance ecclésiastique syro- orthodoxe à l’égard des ermites. En revanche, Muqātil produisit un véritable « hors sujet » et atténua — voire inversa — la thématique. Il ne parlait plus de l’invention du monachisme du point de vue d’opposants à l’aura des moines, mais de l’invention de la doctrine nazaréenne, œuvre de certains, seulement, des stylites ou ermites, décrits collectivement comme les vrais croyants du christianisme primitif. 3.3. Le bon stylite et le mauvais tonsuré Ibn Abī Šayba rapporta, outre une version assez classique de la waṣiyya171, un propos du calife Abū Bakr connecté à cette tradition, où le calife aurait interdit explicitement de « tuer le moine (rāhib) dans la ṣawmaʿa172 ». Cette formulation abrupte qui prohibait avec force d’occire le reclus dans sa tour suggère que ces derniers jouissaient d’un statut d’exception parmi les chrétiens ordinaires qui auraient légitimement pu être abattus. Une génération auparavant, les chroniqueurs al-Wāqidī et Sayf b. ʿUmar, ainsi que le muḥaddiṯ ʿAbd al-Razzāq avaient seulement reçu d’Abū Bakr l’ordre de « laisser » les stylites en paix. Ces nouvelles problématiques du ixe siècle reflètent à notre sens une crispation des savants sunnites à l’égard des religions de l’Écriture. Un indice important pourrait être la récurrence dans la littérature syriaque, à partir des années 160/780 et de manière accrue sous Hārūn al-Rašīd (r. 169–93/785–809) et après sa mort, de mentions de destructions d’églises « nouvellement construites » en Syrie du Nord et en Haute-Mésopotamie173. 168. Muqātil b. Sulaymān, Tafsīr, éd. ʿA. M. Šiḥāta, 5 vol. (Beyrouth : Dār Iḥyāʾ al-Turāṯ al-ʿArabī, 2002), 2 : 167–68 (cf. : Q. 9 : 30). 169. Ce verset fut l’objet d’intenses débats entre les exégètes, et ce à toutes les époques. 170. Muqātil, Tafsīr, 4 : 246. 171. Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, 6 : 484 (no 33134). 172. Ibid., 6 : 483 (no 33127). 173. Sur ce processus J.-M. Fiey, Chrétiens syriaques sous les Abbassides surtout à Bagdad, 749–1258 (Louvain : CSCO, 1980), 44–46 ; A. Noth, « Problems of Differentiation between Muslims and Non-Muslims. Re-reading the “Ordinances of ʿUmar” », Jerusalem Studies in Arabic and Islam 9 (1987) : 103–24 ; M. Levy-Rubin, 201 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 202 Ces excès et autres émeutes populaires légalisées se multiplièrent à partir de la fin de la quatrième fitna (v. 193–209/809–825)174. Ciblant des édifices dont la population musulmane considérait qu’ils auraient été élevés après le traité (ṣulḥ) de leur conquête, ces églises étaient dénoncées comme illégales. En effet, les annales arabo-musulmanes confirment certains débats et décisions judiciaires à cette époque175. Ibn Abī Šayba illustrait parfaitement cette tension et transmit le même propos, mais cette fois attribué au Prophète en personne (par une tradition de Ibn ʿAbbās et ʿIkrima), avec la même interdiction explicite : « Sur le point d’expédier ses légions, il aurait déclaré : “Ne tuez point les gens des ṣawmaʿa-s”176 ». Qu’un combattant musulman fût sommé d’épargner le stylite et de le « laisser à lui-même » n’allait plus de soi, seule la figure prophétique pouvait encore leur éviter le sort qu’on désirait désormais infliger aux infidèles. Les savants de l’époque de la miḥna recoururent abondamment à des ḥadīṯ muḥammadiens pour justifier ce type de privilèges ou d’exceptions devenus alors inhabituels ou inacceptables, tandis que leurs prédécesseurs s’étaient contentés d’avis ou de précédents de Compagnons et de premiers califes177. Un courant opposé aux stylites semble alors avoir entrepris de reformuler l’ensemble des traditions favorables aux reclus. ʿAbd al-Razzāq lui-même avait ajouté dans sa Composition un second ḥadīṯ, rapporté par le savant syrien Maʿmar b. Rāšid (m. 153/770) à partir du grand juriste pro-omeyyade al-Zuhrī (m. 121/740), où la recommandation d’Abū Bakr revêtait une toute autre tonalité : « Vous trouverez un groupe (qawm), ils se sont tonsurés (faḥaṣū) le sommet de la tête avec des épées. Et puis vous trouverez un groupe (qawm), ils se sont enfermés eux-mêmes dans les ṣawāmiʿ. Ignorez-les (ḏarhum) à leurs erreurs/péchés (ḫaṭāyā) !178 » Non-Muslims in the Early Islamic Empire. From Surrender to Coexistence (Cambridge : Cambridge University Press, 2011), 60–68, 70–75, 78–84, 100-103 ; P. Wood, « Christian Elite Networks in the Jazīra, c. 730–850 », dans Transregional and Regional Elites. Connecting the Early Islamic Empire, éd. H.-L. Hagemann et S. Heidemann, 359–84 (Berlin : De Guyter, 2020), 371 et entre autres nombreux témoignages : al-Ṭabarī, Ta’rīḫ, série 3, 713 ; Théophane, Chronographia, 452–53 ; Michel le Syrien, Chronique, 478. 174. La bibliographie manque encore sérieusement à ce sujet, voir notamment l’opinion de Fiey, Chrétiens syriaques, 87–89. 175. Al-Kindī, Kitāb wulāt wa-quḍāt Miṣr, éd. M. Ismāʿīl et A. al-Mazīdī (Beyrouth : Dār al-Kutub al-ʿIlmiyya, 2003), 99–100 ; J. M. Fiey, Mossoul chrétienne. Essai sur l’histoire, l’archéologie et l’état actuel des monuments chrétiens de la ville de Mossoul (Beyrouth : Librairie orientale, 1959), 20–25 mentionne al-Azdī, Taʾrīḫ al-Mawṣil, éd. ʿA. Ḥabība (Le Caire : al-Majlis al-Aʿlā li-l-Šuʾūn al-Islāmiyya, 1967), 244 (année 163/779) et C. Robinson, Empire and Elites after the Muslim Conquest. The Transformation of Northern Mesopotamia (Cambridge : Cambridge University Press, 2000), 11–12, al-Azdī, al-Mawṣil, 340 (année 200/815), voir aussi la version d’al- Ḫaṭīb al-Baġdādī, Taʾrīḫ Madīnat al-Salām (Baġdād), éd. B. ʿA. Maʿrūf (Beyrouth : Dār al-Ġarb al-Islāmī, 2002), 8 : 456. 176. Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, 6 : 484 (no 33132) ; l’informateur du ḥadīṯ prophétique est incertain, il s’agit d’un šayḫ médinois, qui transmet d’un mawlā non nommé lui-même d’un disciple de ʿIkrima. Ceci incite à douter de la pertinence de ce propos prophétique isolé. 177. Voir par exemple au sujet du cas des chrétiens Banū Taġlib, le recours au ḥadīṯ prophétique par le même auteur et son contemporain Ibn Saʿd, à propos d’un sujet auquel tous leurs prédécesseurs se contentaient des précédents des premiers califes, S. Pierre, « Subjugation and Taxation ». 178. Al-Ṣanʿānī, al-Muṣannaf, 5 : 199–200. Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 202 Dans ces différentes versions, le calife distinguait le qawm des stylites et autres reclus d’un autre groupe (qawm) de « tonsurés ». Les deux types de religieux chrétiens devaient être épargnés, mais plus par souci de préserver les musulmans de « leurs errements » que pour leur manifester respect ou déférence. En revanche, il est impossible d’éclaircir le passage faisant allusion à une tonsure réalisée « avec les épées » sans recourir à certains éléments collectés par des muḥaddiṯ-s contemporains. Ainsi, Abū ʿUbayd (m. 224/838) entreprit de définir précisément le verbe faḥaṣa dans son dictionnaire des ḥadīṯ étranges : « Tu trouveras un groupe (qawm), ils se sont tonsuré (faḥaṣū) leurs têtes. Alors frappe avec l’épée ce qu’ils ont tonsuré ! Et vous trouverez un groupe (qawm) dans les ṣawmaʿa-s, alors laisse-les (daʿhum), et (pour/ainsi que ?) ce qu’ils se sont faits à eux-mêmes [. . .]179. » Le célèbre légiste recomposait ici différemment le même ḥadīṯ califal : il insistait sur la distinction entre, d’une part, les bons reclus (« “quant aux gens des ṣawāmiʿ” : cela veut dire : “les moines” (ruhbān)180 ») que l’on doit laisser tranquille, et, d’autre part les mauvais religieux qui sont tonsurés, et que l’on doit frapper « avec l’épée ». Ceci suggère que la version de ʿAbd al-Razzāq, où l’épée aurait servi de rasoir, était défectueuse. Abū ʿUbayd fournit en outre une piste d’interprétation au sujet de ces mystérieux tonsurés : « Il désigne les šamāmisa qui se sont tonsurés181 ». Le singulier šammās est un calque du vocable šammōšō qui désigne en syriaque le ministre du culte et le diacre et en arabe, par extension, n’importe quel clerc chrétien182. Les tonsurés équivalaient déjà à ces clercs dans la Composition de ʿAbd al-Razzāq quelques décennies plus tôt183. Ce courant de traditions manifeste une violente aversion à l’égard des dignitaires officiels des Églises. Il opposerait clairement deux types de religieux chrétiens : (1) le moine solitaire, qui, a minima doit jouir d’un privilège, et (2) le clerc, l’ecclésiastique qu’il faut pourchasser. Le Croyant aurait dès lors autant le devoir d’épargner les premiers que de combattre les seconds. Par conséquent, selon Abū ʿUbayd, le ḥadīṯ distinguerait entre de bons moines reclus dans leurs tours et des diacres et des prêtres affiliés à l’ordre épiscopal. Malheureusement, cette hypothèse séduisante se concilie difficilement avec l’usage de la tonsure dans la littérature syriaque de son temps. Les sources syro-orientales associent même cette marque capillaire à Abraham de Kashkar (m. v. 586), le (ré)formateur du cénobitisme dans l’Empire sassanide. Ainsi, selon Išōʿ-Dnaḥ de Baṣra (m. fin-iiie/ixe siècle), « il initia la tonsure (sūfrā) qui est sur la tête des solitaires (iḥidāyē = moine au sens large)184 ». 179. Abū ʿUbayd, Ġarīb al-ḥadīṯ, 2 : 231 ; presqu’identique dans Ibn Abī Šayba, al-Muṣannaf, 7 : 198, de Yaḥyā b. Abī Muṭayʿ : « Vous atteindrez un groupe (qawm), ils sont dans des ṣawāmiʿ, laissez-les et ce qu’ils se font à eux-mêmes [ibid. jusqu’ici la 6 : 484 (no 33134)]. Puis vous irez à un qawm qui se sont tonsurés le sommet du crâne au milieu de la tête [. . .] frappez alors ce qu’ils ont rasés au milieu de leur tête ! » 180. Abū ʿUbayd, Ġarīb al-ḥadīṯ, 2 : 231. 181. Ibid. 182. Šammōšō, du verbe šammeš (forme II : paʿʿel) qui signifie : « servir un culte » et par extension : « célébrer la messe », à l’origine, de toute évidence, il s’agissait de servir un culte solaire (araméen et akkadien : ŠMŠ). 183. Al-Ṣanʿānī, al-Muṣannaf, 5 : 200. 184. Išōʿ-Dnaḥ de Baṣra, Le livre de la Chasteté composé par Jésusdenah, évêque de Baçrah, éd. J.-B. Chabot (Rome : École française de Rome, 1896), 7 ; Chronique de Seert = Histoire nestorienne inédite. Seconde partie (I), éd. A. Scher, Patrologia Orientalis 7 (1911) : 42–43 (al-Sufār). 203 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 204 Dès lors, contrairement à l’affirmation d’Abū ʿUbayd, la tonsure constituait une des marques par excellence du monachisme et n’aurait donc que peu à voir avec le clergé. Néanmoins, l’insistance des sources sur cet aspect de la réforme d’Abraham de Kashkar induit aussi que cette norme était encore peu développée au début de la période hégirienne. Selon Dad-Išōʿ (m. v. 70/690), la tonsure était le propre des moines en couvent (dayrāyē)185 depuis que Babay le Grand (m. 6/628), le successeur d’Abraham, l’avait imposée à tout nouvel entrant186. Nous avons vu que Dad-Išōʿ situe les cénobites à un degré inférieur aux différents rangs des « solitaires » (iḥīdāyē) qui, au terme d’une période de probation, devaient accéder au droit de devenir ascète. Ces derniers n'auraient eu dès lors plus l’occasion d’être à nouveau tondus, si tant est qu’ils eussent bien été intégrés à ce cursus théorique. Par ailleurs, selon l’auteur anonyme de la Chronique de Séert, un responsable politique (ṣāḥib) du Bēt Garmay qui siégeait à al-Sinn au début de l’époque islamique aurait accordé une exonération de jizya à « quiconque se vêtit de laine, qu’il fussent tonsurés (musaffar) ou non », privilège qui était toujours en vigueur à l’époque de l’auteur187. Était-ce à cette dichotomie entre le moine tonsuré et le stylite/reclus non-tonsuré que les informateurs d’Abū ʿUbayd et d’Ibn Abī Šayba faisaient référence ? Selon une seconde interprétation, Abraham de Kashkar aurait imposé une tonsure (ēskīmā) pour distinguer celle de ses frères de celle (ēskīmā grīʿā) des moines « sévériens », c’est-à-dire des miaphysites qui se répandaient alors dans l’Empire perse (= les futurs syro- orthodoxes)188. Ainsi, il n’aurait pas inventé la tonsure, mais l’aurait rendue spécifique et reconnaissable, par souci de se distinguer des héritiers de Jacques Baradée. Par ailleurs, l’auteur de la Vie de Rabban Hormizd, un saint homme syro-oriental et dyophysite d’Adiabène mort peu avant la deuxième fitna, se refusait à appeler ses rivaux autrement que « moines tonsurés (grīʿē) » et « hérétiques189 ». Ces derniers semblent avoir été nombreux à pratiquer le monachisme et l’anachorèse. Ainsi, la première des trois questions posées par Ḫosrō II (r. 589–7/628) lors de la controverse intra-chrétienne de 612 opposait « les nestoriens (nesṭūryānē) » aux miaphysites, simplement désignés comme « les moines (dayrāyē)190». Florence Jullien confirme que « le terme de “moines” renvoie classiquement aux syro-orthodoxes » et ajoute que « l’organisation et la constitution de cette Église étaient 185. Fauchon, « Vie ascétique », 42. 186. Ibid., 45, dans le canon 19. 187. Chronique de Seert = Histoire nestorienne inédite. Seconde partie (II), éd. A. Scher, Patrologia Orientalis 13 (1919) : 312–13. 188. Ibid., 45–46 ; F. Jullien, « Les controverses entre chrétiens dans l’empire sassanide. Un enjeu identitaire », dans Les controverses en milieu syriaque, éd. F. Ruani (Paris : Geuthner, 2016), 209–38, ici 216 ; Thomas de Margā, The Book of Governors . The Historia Monastica of Thomas, Bishop of Margâ A. D. 840 [. . .], éd. E. W. Budge (Londres : K. Paul, 1893), livre 1, 23. 189. « Histoire de Rabban Hormizd », dans The Histories of Rabban Hormizd the Persian and Rabban Bar-Idta [. . .], éd. E. W. Budge, 2–109 (Londres : Luzac, 1902), 54, 57, 58, 60–62, 64, 69–70. 190. Jullien, « Controverses », 221 ; Babay le Grand, « Martyr de Giwargis Mihram-Gushn-Asp », dans Histoire de Mar-Jabalaha, de trois autres patriarches, d’un prêtre et de deux laïques, nestoriens, éd. P. Bedjan, 416–571 (Leipzig : O. Harrassowitz, 1895), 516–17. Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 204 en effet avant tout l’œuvre de moines, ordonnés en masse pour les besoins de la mission191. » Selon cette interprétation, la tonsure constituait peut-être encore, au début du viie siècle, un critère de discrimination des moines « sévériens ». Ce motif rhétorique aurait-il pu être repris par les arabo-musulmans ? Est-il possible d’en déduire que les tonsurés étaient jacobites par excellence, et que les non-tonsurés étaient, à l’inverse, les syro-orientaux dyophysites192 ? Quelle que fut la signification des « tonsurés » par rapport aux « stylites/reclus », il est intéressant de constater que dans les versions plus anciennes, Abū Bakr interdisait de faire le moindre mal à chacun des deux groupes également. Dans le ḥadīṯ produit par Ibn Abī Šayba, une génération plus tard, la waṣiyya d’Abū Bakr leur réservait pourtant deux sorts différents : 1) Ceux des ṣawāmiʿ, les esṭūnōrē des sources syriaques équivalentes (Denys de Tell Maḥrē dans 1234) devaient être « abandonnés à ce qu’ils se faisaient eux-mêmes », préservant une tonalité relativement neutre : passer son chemin, ne point les opprimer, mais sans les suivre pour autant. 2) À l’inverse, les tonsurés devaient être « frappés » par les combattants au niveau même de leur tonsure : sur la tête ! De quelle manière l’antagonisme entre ces deux types de figures religieuses chrétiennes se constitua-t-il dans la littérature moyen-orientale des débuts de l’islam ? 3.4. Une autorité populaire et contestée : le stylite devin Plusieurs traditions attribuent à une autorité divinatoire vivant dans une ṣawmaʿa la fondation des capitales abbassides de Bagdad et al-Raqqa193. Un certain Ibn Jābir rapporte de son père une histoire à propos d’al-Manṣūr qu’al-Ṭabarī situait à la fois lors de la fondation de Bagdad en 145/762 et de celle de Rāfiqa en 154/771, et répèta même à une troisième reprise. Nous ne citerons qu’une seule des versions : Il voulut construire al-Rāfiqa dans la Terre des Romains, les gens d’al-Raqqa s’opposèrent et voulurent le combattre, en disant : « Tu vas endommager nos marchés, faire fuir nos aliments et rétrécir nos domiciles ! » Il était soucieux à l’idée de les combattre. Il envoya donc (un message) à un moine dans la ṣawmaʿa : « As-tu connaissance qu’un humain construira ici même une cité ? » Il répondit : « On m’a informé qu’un homme appelé Miqlāṣ devait la bâtir ». 191. Jullien, « Controverses », 221. 192. Thomas de Margā, Monastica, livre 2, 91 insiste à l’inverse pour dire que les moines sévériens sont eux-mêmes spécifiquement tonsurés (grīʿē) ; quant à la Chronique de Seert (I), 42–43 et 80 elle n’associe pas l’existence ou la forme de la tonsure à une distinction, mais uniquement les vêtements des moines. 193. Mentionnées par C. Sahner, « The Monasticism of My Community Is Jihad. A Debate on Asceticism, Sex, and Warfare in Early Islam », Arabica 64, no 2 (2017) : 149–83, ici 162. 205 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 206 Il dit alors : « [Par Dieu], c’est moi Miqlāṣ194 ! » et il la construisit sur le modèle de construction de Bagdad195. La localisation surprenante de « Rāfiqa dans la Terre des Romains (arḍ al-Rūm)196 » ne doit pas surprendre car elle désigne couramment la partie anciennement romaine de l’empire abbasside, le Bilād al-Šām, dans les sources syriaques. En revanche, il s’agit d’un indice de l’origine possiblement chrétienne d’une telle information. De manière amusante, le géographe iranien Ibn al-Faqīh (iiie/ixe s.)197 transmit un ḫabar légèrement semblable à ces traditions, à partir d’un obscur baṣrien, Ibn Bašīr, en partance pour une expédition estivale (ṣāʾifa). Il aurait appris d’un « moine (rāhib) dans une ṣawmaʿa » la prochaine révolution abbasside et la fondation consécutive de Bagdad. Pourtant, « il ne s’y trouvait rien d’autres que des dattiers, des villages et un couvent (dayr) [le sien . . .] ; il y avait du gibier (daʿālija) et le reste n’était que désert ». Ces récits ne spécifient nullement que ces ermites furent systématiquement des reclus ou des stylites, même si la disposition est proche. Il est frappant de retrouver chez l’anonyme de Zuqnīn un récit très similaire à propos de la « reconstruction de Callinice (al-Raqqa) ». L’auteur était lui-même possiblement un stylite, et un témoin vivant de cet évènement198 : [Al-Manṣūr] avait une propension à suivre les magiciens et les devins199, il écoutait et faisait tout ce qu’ils lui disaient. [. . .] Ils lui dirent : « Il y aura un roi fort, qui bâtira une ville à côté de Callinice [al-Raqqa] ; il ira ensuite à Jérusalem et y bâtira une mosquée. Il doit régner quarante ans ». Ce misérable dit : « C’est moi !200 » Ceci permet de suggérer qu’al-Ṭabarī faisait probablement erreur en associant l’une des versions à la fondation de Bagdad. Cette tradition s’inscrit plus probablement à Raqqa, dans l’espace où l’institution des stylites est bien attestée pour le iie/viiie siècle. L’anonyme de Zuqnīn cessa d’écrire peu de temps après le lancement du projet urbain, vers 159/775, époque présumée où vivait son contemporain musulman Ibn Jābir. Ceci implique que cette légende circula nécessairement très tôt dans les différents milieux jazīriens, musulmans et chrétiens. Ces récits sont le probable produit de l’exagération de faits réels : la recherche par l’autorité publique d’une justification divinatoire par le recours à un homme saint, face à l’opposition de l’élite urbaine locale. Les sources syriaques et musulmanes divergent toutefois sur la qualité du conseiller surnaturel du prince. Pour les musulmans, c’est une autorité chrétienne dont l’aura s’étend à la bourgeoisie syriaque comme à l’élite arabo- musulmane. Pour les syro-orthodoxes de Haute-Mésopotamie, à l’inverse, il s’agit d’un 194. Dans la version consacrée à Bagdad, il s’exclame : « J’ai été appelé Miqlāṣ dans ma jeunesse ! ». 195. Al-Ṭabarī, Taʾrīḫ, série 3, 276 ; voir également 372. 196. Ibid., 372. 197. Ibn al-Faqīh, al-Buldān, 357–58. 198. Voir n. 236. 199. Jullien, « Controverses », 226. 200. Chronique de Zuqnīn, 120. Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 206 magicien de cour, sans rapport avec l’Église même s’il put être chrétien de confession201. Il est important de souligner que les holy men d’une Église rivale étaient constamment dépeints comme des sorciers (ḥarašē) et des séducteurs, même lorsqu’il s’agissait d’un évêque, voire d’un patriarche. Dès lors, ce récit de la fondation d’al-Rāfiqa se rapproche d’un passage de polémique anti- chalcédonienne de la source commune des chroniques miaphysites de 1234 et de Michel le Syrien, probablement Denys de Tell Maḥrē. Selon lui, Théodore, le frère d’Héraclius (r. 610–20/641), cheminait avec son armée pour mater l’invasion des Arabes (Ṭayyōyē), considérés avec mépris : Ils arrivèrent au village appelé Gūsīt, dans la région d’Antioche où se tenait un chalcédonien sur une colonne (esṭūnō), à la manière d’un moine. [415] Theodore alla le trouver avec quelques-uns des capitaines (rēšōnē). [. . .] Alors le stylite (ēsṭūnōyō) déclara à Théodore : « Je sais que l’empire des Romains sera livré entre tes mains [. . .] et je suis persuadé que tu reviendras victorieux si tu me promets qu’à ton retour tu feras disparaître les partisans de Sévère. » En entendant ces choses, Théodore répondit : « Moi-même, en dehors de ta parole, j’étais disposé à persécuter les partisans de Jacques (Baradée) ». Un des soldats qui l’accompagnaient était orthodoxe, en entendant ce qui se disait, il brûla d’un grand zèle. [. . .] Les Arabes l’emportèrent contre les Romains, et les Romains se mirent à fuir [. . .]. Ce soldat s’approcha de Theodore et lui dit : « Quoi donc, Théodore ! Où sont les promesses que le stylite t’a faites, que tu reviendrais avec un grand nom ?202 » Ces textes invoquent successivement la préscience réelle ou supposée d’un moine depuis sa ṣawmaʿa. L’esṭūnōrō, orthodoxe ou hérétique, véridique ou fallacieux constituait sans doute, au viiie siècle, une figure prophétique commode autant dans les littératures syriaques qu’arabes203. Le topos s’étend à chaque fois à l’aura dont il jouit parmi les laïcs, du petit peuple à l’élite foncière d’une grande cité comme Raqqa/Callinice, et même à un membre des cours impériales romaines et abbassides. Cette instrumentalisation confirme l’autorité charismatique dont les stylites jouissaient effectivement. Ces récits reflètent ainsi une même défiance de la part de l’orthodoxe ecclésiastique chrétien comme du savant musulman à des stylites comme autorités spirituelles rivales et enseignants autoproclamés. 201. Au sujet des magiciens, astrologues et médecins chrétiens des cours d’al-Manṣūr et al-Mahdī, et du cas spécifique de Théophile, on se reportera à Borrut, « Court Astrologers », 458–59, 461, n. 34, 462, 473 et surtout 477–81 ; et Borrut, Entre mémoire et pouvoir, 83 et 144. 202. Michel le Syrien, Chronique, 414–15 et Chronicon 1234, 242–44. Version de Michel citée par Tannous, Making of the Medieval Middle East, 162. Selon Peña, Castellana et Fernandez, Stylites syriens, 69 : Gūsit équivaut à Jūsiya al-Ḫarab : une journée au sud de Ḥimṣ. Ce serait aussi l’emplacement du fameux village de Baʿaltān d’où est originaire le patriarche Georges (r. 758–89). 203. Jūsiya aurait accueilli un autre stylite avant lui, du nom de Serge, qui aurait écrit un traité de controverse contre les juifs durant la première moitié du VIIIe siècle, édité par A. P. Hayman, The Disputation of Sergius the Stylite Against a Jew [CSCO 338–339] (Louvain : Secrétariat du Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, 1973). Je remercie Bastien Dumont pour cette référence essentielle. 207 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 208 3.5. Dénonciation des stylites chez les syro-orthodoxes Ce modèle de sainteté, plus constant que l’errant et plus admirable que le cénobite constituait un des piliers du christianisme syrien. Les différentes tentatives d’intégration des solitaires à l’ordre monastique n’étaient pas parvenues à étouffer la concurrence qu’exerçaient les reclus à l’égard des hiérarchies ecclésiastiques en construction. Même emmurés dans des cloîtres, ils continuèrent à poser problème aux évêques et, dès lors, leurs abus émanèrent régulièrement de la littérature canonique204. En outre, nombre de ces saints hommes des hauteurs furent admis dans les ordres du diaconat et de la prêtrise afin d’être intégrés à l’Église officielle. Siméon Stylite le Jeune lui-même avait été ordonné diacre puis prêtre au milieu du vie siècle205. Il est établi qu’il prêchait, depuis sa colonne située dans l’octogone à l’ouest du complexe cultuel, notamment à des laïcs contrairement à ce que sa Vie prétend. En l’absence d’ambon dans l’église de la Sainte Trinité, il a été suggéré que sa fonction put avoir été supplantée par la colonne du saint homme206. Ceci explique pourquoi se posait la question de leur position face à l’évêque consécrateur à la fin du ier siècle de l’hégire. Ainsi Jacques d’Édesse, principal intellectuel de l’Église syro-orthodoxe du tournant des viie et viiie siècles condamnait le fait que certains usurpassent la prêtrise : « Il n’est point licite aux stylites (esṭūnōrē) d’offrir l’hostie du haut de leur colonne [. . .] sauf en cas de nécessité. [. . .] Il n’est pas juste que le stylite brandisse le saint corps au-dessus de sa colonne207. » Ces stylites ordonnés diacres (šammās = šammōšō) ou prêtres célébraient sans doute des messes au mépris des règles ecclésiastiques. Parfois, peut-être, ne respectaient-ils point le monopole sacerdotal et élevaient-ils l’eucharistie sans même en avoir reçu l’onction208. En outre, ils se constituaient en chefs spirituels de communautés rurales lorsqu’ils « faisaient, en plus, des assemblées autour d’eux »209. Jean de Litarbā210, lui-même stylite, arrache cependant à Jacques, son maître spirituel, qu’il est juste (zdaq) « de placer le corps sacré 204. O. Ioan, « Controverses entre la hiérarchie ecclésiale et les moines dans le christianisme syriaque », dans Jullien, Le monachisme syriaque, 89–106, voir 95–100 décrit le processus qui conduisi moines et évêques, détenteurs de légitimités ecclésiastiques inverses et concurrentes, à fusionner dans la figure du moine-évêque, que favorisa la période hégirienne et les tendances musulmanes. 205. A 33 ans en 554 selon A. Belgin-Henry, « A Mobile Dialogue of an Immobile Saint. St. Symeon the Younger, Divine Liturgy, and the Architectural Setting », dans Perceptions of the Body and Sacred Space in Late Antiquity and Byzantium, éd. J. Bogdanović, 149–65 (New York : Routledge, 2018), 151 ; Binggeli, « Les stylites et l’eucharistie », 436–38. 206. Belgin-Henry, « Symeon the Younger », 155 a affirmé qu’il était inimaginable qu’il ne fut pas inclus dans la liturgie d’un complexe édifié en son honneur, voir aussi l’opinion de Binggeli, « Les stylites et l’eucharistie », 435 et 442–43. 207. Bar Hébraeus, Nomocanon, 112. Cité par Tannous, Making of the Medieval Middle East, 163–64. S. Harvey, « The Stylite’s Liturgy. Ritual and Religious Identity in Late Antiquity », Journal of Early Christian Studies 6, no 3 (1998) : 523–39, ici 535–36, s’est interrogée sur les implications du canon de Jacques d’Édesse. 208. Binggeli, « Les stylites et l’eucharistie », 428-29. 209. Le canon 7 de Jacques d’Édesse dans Synodicon in the West Syrian Tradition, éd. A. Vööbus, 2 vol., CSCO 367 et 375 (1975–76), 1 : 270. 210. Voir n. 153. Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 208 (l’hostie) près d’eux, sur la colonne (ēsṭūnō) »211. Il arrivait même, à en croire l’évêque démissionnaire d’Édesse, que des stylites refusent de descendre de leur tour lorsqu’un évêque, afin d’officialiser leur statut de pasteur, se résolvait à les ordonner « de telle sorte que celui qui devrait l’ordonner se tiendrait au sol sous lui ! ». Cette pratique était jugée inacceptable car « les pères n’ont même pas voulu en parler, [. . .] il ne leur est jamais apparu que ça ait jamais existé !212 ». En plus d’arbitrer les conflits, « l’ēsṭūnōrō se dresse contre l’[évêque] et écrit des interdits/excommunication (ḥermē) dans les districts ruraux (qūryās) ». Jacques répond avec véhémence que l’on doit « l’interdire (nettaḥram), ainsi que quiconque reçoit ses interdits213 ». Dès lors, on comprend mieux le risque que présentaient certains hommes saints lorsqu’ils s’élevaient contre la hiérarchie, voire soutenaient ou menaient des mouvements hérétiques ou messianiques qui menaçaient l’ordre établi. Ce fut notamment le cas d’un certain Marūtā, un demi-siècle plus tard. Après avoir quitté le cénobitisme de Mār Mattay pour vivre en solitaire cinq années à Sinjār214, il fut exclu de la communauté et vint s’installer dans le village de Ḥāḥ dans le Ṭūr ʿAbdīn215. Il en devint le véritable directeur spirituel tout en acquérant une réputation étendue de guérisseur et de protecteur contre les démons, prodiges que réfute absolument l’anonyme de Zuqnīn216. Devenu un quasi-gouverneur de sa communauté, car « un évêque ou un moine ne pouvait aller là, ni dire quelque chose, sans s’exposer à être tué par les habitants de ce village qui disaient : “Vous êtes jaloux de lui !” », il bénéficia, au gré du bouche à oreille, de l’afflux de caravanes qui commencèrent à inclure le bourg dans leurs itinéraires217 : Ainsi tous les pays se mettaient en mouvement et venaient vers lui. On lui apportait de l’or, de l’argent, des marchandises et des objets précieux. [. . .] Il se tenait sur un siège élevé comme un évêque, bien qu’il eût seulement reçu l’ordre du diaconat. Il est prescrit par les canons apostoliques que le prêtre (qašīšō) ne soit béni que par son confrère prêtre ou par l’évêque [. . .]. Cet audacieux, non seulement bénissait, mais il faisait même le signe de la croix et imposait la main sur la tête des prêtres. Il faisait aussi l’huile de la prière [. . .] de cette manière : il récitait dessus une prière, puis il crachait dedans et la consacrait par son crachat218. Finalement, en 153/770, face à l’immensité de son aura populaire : Saint Mār Cyriaque, évêque de l’endroit, voyant que son troupeau était détenu captif par le Malin, qu’ils n’écoutaient point ses paroles et voulaient même le mettre à mort, 211. Synodicon in the West, 1 : 247–48. 212. Ibid., 1 : 167. 213. Bar Hébraeus, Nomocanon, 112 : « de même, le supérieur et les moines qui font un kanon, c’est-à-dire des réunions, contre [lui] et ne lui obéissent pas, seront déposés [. . .]. » 214. Chronique de Zuqnīn, 140–41. 215. Ibid., 141–42. 216. Ibid., 144–45. 217. Ibid., 143 : sīrtō et šīʿtō. 218. Ibid., 145. 209 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 210 se rendit près du vénérable patriarche David [de Dārā, r. v. 147–58/764–75, lequel] en apprenant ces choses, fit enlever le séducteur et l’enferma dans la prison de Ḥarrān. Cela ne mit pas fin à ses impostures, car beaucoup de gens venaient le trouver dans la prison [. . .]219. Ce genre de reclus était encore en mesure de mener ce type de dissidences doctrinales et ecclésiastiques comme il apparaît du synode réuni en mai 168/785 par le patriarche Georges220 à Kefar Nabū, non loin de Sarūj. Ainsi, après avoir traité d’autres formes d’hétérodoxie superstitieuse, comme le re-baptême et l’onction du myron aux malades, le dix-neuvième canon stipulait que « quiconque des abbés, stylites (ēsṭūnōrē) ou reclus (ḥbīšōyē) rédigeait des lettres d’interdiction (ḥermō) aux cités et aux districts ruraux (qūryās), nous tous avons décidé, par l’ordre et l’interdit de Dieu qu’ils ne les écrivent point [. . .] ». Il est intéressant de constater à quelles communautés laïques les stylites, parmi d’autres autorités monastiques, destinaient leurs lettres d’excommunication : les « cités et les villages ». À Georges succéda, une décennie plus tard, Cyriaque le Takrītien (r. 176–201/793–817), qui convoqua à Bēt Batīn non loin de Ḥarrān en 177/794, peu de temps après son intronisation, un concile dont le dix-huitième canon reprenait en substance la même thématique. Il figurait au bas d’un décret menaçant les abbés qui s’opposeraient à leurs évêques. Si des abbés, ceux qui sont avec eux parmi les stylites (ēsṭūnōrē) et les reclus (ḥbīšōyē) [. . .] écrivent des lettres d’interdiction (ḥermō) et d’oubli — au nom du patriarche ou de l’évêque — aux cités et aux districts ruraux (qūryō) — ou qui mal-font le myron — nous avons décidé par notre ordre collectif qu’ils n’ont aucune juridiction de Dieu de faire ceci. Mais s’ils [. . .] enfreignent notre canon ; qu’ils n’aient point d’autorité de Dieu pour servir (šammeš = agir au rang de diacre) jusqu’à ce que l’évêque du pays en ait été informé !221 Cet élément montre que de nombreux reclus et stylites entouraient les abbés et officiaient comme ministres du culte (šammōšē), parfois à la limite de la légalité canonique. Non contents de célébrer la messe, de réunir des assemblées, de s’opposer à leurs évêques et de prononcer des excommunication, certains stylites usurpaient même le rôle séculier de gouverneurs et de juges. Simonsohn a récemment abordé cette fonction du juge-arbitre222 typique des holy men décrits par Brown. Les ʿabday-šlāmā223, capables de rallier les adeptes des Églises rivales, se muaient si nécessaire en médiateur (mṣaʿʿāyā), voire en directeur des communautés rurales dont ils étaient le saint protecteur vivant. Ainsi, le Nomocanon de Bar 219. Ibid., 145–46. 220. Syrien de formation, il avait été persécuté par le parti jazīrien et les évêques de Qarṭmīn, et condamné à la prison par al-Manṣūr de 147/765 à 158/775 environ, avant d’être libéré par al-Mahdī, à condition de ne pas retourner en Syrie et de ne pas s’éloigner de la cour, voir Fiey, Chrétiens syriaques, 17 et 30. 221. Synodicon in the West, 2 : 11. 222. Simonsohn, « Seeking Justice », 198–99. 223. Mathieu 5 : 9. Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 210 Hebraeus préserve un canon de Georges (m. 105/724), évêque des ʿammē224 : « Il n’est point licite aux abbés (rēš dayrōtō) et stylites (ēsṭūnōrē) de rédiger des lettres de décrets (psōqē), de jugements (dīnē), ou d’admonitions (martyōnwōtō) aux cités et villages225. » Il semble que ce « canon » dérive en réalité d’une discussion avec Jean de Litarbā qui aurait initialement posé cette question à Jacques d’Édesse : « Est-il licite pour les stylites (ēsṭūnōrē) de donner proclamation (tūrgamō) ou admonition (martyōnūtō) au peuple (ʿamō) ou d’administrer des jugements et de décréter des lois (namūsē) en usant de la Parole de Dieu (melltō d-Alōhō) ?226 ». Le canoniste de Qennešrē et de Kayšūm aurait répondu en insistant sur fait que des solitaires montés sur la colonne (esṭūnō) « afin de pouvoir vivre selon le plaisir de Dieu à travers leurs œuvres et en silence, dans la quiétude (nawḥō), et avec prière sincère, sans distraction227 » en auraient détourné le but, afin de « devenir les juges du peuple (dayyōnē l-ʿamō) et de décréter des lois (nefsaqūn namūsē)228. » Jacques d’Édesse considérait ces deux fonctions contradictoires et suspectait une forme de tartufferie. Il s’interrogeait ainsi sur la sincérité de l’engagement des stylites, et dénonçait à mots à peine couverts leurs abus d’influence sur l’opinion de la foule (ʿamō). Nous retrouvons ici inversée, la dichotomie employée par le ḥadīṯ arabo-musulman entre le bon moine stylite et le mauvais clerc (šammās) hypocrite. Pour Jacques, leur enseignement devait passer par l’exemplarité de leurs œuvres et non par la « parole et la voix » (meltō w-qōlō). En revanche, ceux d’entre eux qui auraient souhaité être arbitres ou instituteurs « qu’ils descendent à terre et enseignent ». Ils devaient renoncer à leur ascèse spectaculaire, afin de ne pas profiter d’une position élevée superficielle229. Il est possible de déduire de ce propos que les stylites s’érigeaient, réellement et constamment, en enseignants de la foule (malfōnō l-ʿamō), directeurs de vie des gens du commun. Déjà, leur inspirateur, Siméon l’Ancien, est réputé avoir ordonné à une communauté villageoise, en la personne de son prêtre Côme, de limiter leurs taux d’intérêts usuraires à 0,5% par an230. Ces usurpations de la fonction magistrale, voire de celle de la magistrature, étaient perçues comme un véritable danger pour les autorités syro-orthodoxes instituées. Le problème principal de l’autorité des stylites semble avoir été caractérisé par leur « arrogance » (maʿūlnūtō) à usurper la fonction arbitrale, judiciaire, voire législative et 224. Voir n. 155. 225. Bar Hébraeus, Nomocanon, 113 ; cité par Tillier, Invention du cadi, 469 et Simonsohn, Common Justice, 106. 226. Synodicon in the West, 1 : 248. 227. Ibid., 248. 228. Ibid. 229. Ibid., 248–49. 230. S. E. al-Samʿānī, Acta Sanctorum Martyrum Orientalium et Occidentalium in Duas Partes Distributa. Adcedvnt Acta S. Simeonis Stylitae. Omnia Nvnc Primvm Svb Avspiciis Johannis V. Lusitanorum Regis e Bibliotheca Apostolica Vaticana Prodeunt (Rome : J. Collini, 1748), 2 : 394–96, la traduction de son courrier et la réponse du prêtre Côme représentant du village, (2 : 376–788), se trouvent dans H. Lietzmann, Das Leben des heiligen Symeon Stylites (Leipzig : Hinrichs, 1908), 183 et 187 pour le pourcentage, et la seconde dans Doran, Lives of Simeon Stylites, 194–97. 211 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 212 gouvernementale. Selon l’opinion de Jacques, l’ensemble du clergé, et pas seulement les moines et solitaires, n’était point autorisé à juger des causes non-religieuses. En somme, le pouvoir, la justice et les lois « du monde » (d-ʿōlmō) ne devaient pas être l’apanage des prêtres, et encore moins celui des stylites qui n’étaient pas forcément ordonnés. Et au sujet de ce que j’ai ajouté qu’ils administrent des jugements et décrètent des lois séculières (namūsē d-ʿōlmō) au peuple (l-ʿamō) en usant de la Parole de Dieu (meltō d-Alōhō), c’est une grande arrogance. Car ce pouvoir (šūlṭōnō) de la Parole de Dieu n’a point été donné aux prêtres (l-kōhnē) pour qu’ils l’utilisent dans les affaires séculières (sūʿrōnē d-ʿōlmō), mais uniquement pour ceux qui pêchent et pour ceux qui se repentent [. . .]231. On comprend dès lors mieux pourquoi Jacques fut poussé à la démission de l’évêché d’Édesse (r. v. 64–68/684–88) en raison, précisément, de la radicalité de ses canons qui choquèrent autant ses subordonnés, ses collègues et même le patriarche Julien II le Romain (r. 66–88/687–708)232. En outre, la réédition constante de ces interdits au cours des siècles suivants laisse supposer que cette active opposition ne cessait de se poursuivre, quelle que fut l’origine géographique, conventuelle et politique du patriarche. En effet, cette question fut à nouveau abordée en détail dans la lettre introductive d’Ignace au synode du couvent de Mōr Zakkay, près de Raqqa, en 264/878233. Les évêques étaient constamment menacés par la concurrence des monastères, et de ces solitaires qui, tels des magiciens, faisaient usage d’onguents magiques proscrits et, tels des dirigeants, appliquaient des sentences sur les laïcs sans en aviser la hiérarchie. Afin de contrôler ces concurrents dans l’éducation et l’influence des masses rurales, et notamment des populations tribales, la hiérarchie avait finalement opté pour l’ordination et, donc, pour la cléricalisation des stylites. Ainsi, à partir de l’anachorète originel, le stylite avait été domestiqué et intégré au monastère. Pourtant, devenu le pilier du couvent qui l’accueillait, il avait continué à se rendre autonome, d’abord du supérieur du couvent, puis de la hiérarchie du diocèse, elle-même de plus en plus représentée par des évêques d’origine monacale. Il avait donc 231. Synodicon in the West, 1 : 249. 232. Debié, Écriture de l’histoire, 548. 233. Synodicon in the West, 2 : 54–55 : [Ignace, Lettre introductive du synode de Mār Zakay près de Raqqa (264/878)] : « Beaucoup de ceux qui revêtent la sḫēma du monachisme qui n’ont pas été auparavant examinés et certifiés aux causes de la perfection (myattrūtō), certains parmi eux n’ont pas même atteint le niveau du plein serment ; un certain trouble (ḥāffō) s’empare d’eux et ils se ruent vers une station (qawmō) qui est sur la colonne (ēsṭūnō). Celle-ci est assurément une posture (dūkrō) angélique qui élève du bas-monde ; puis quand leur espoir est déçu, ils descendent de cette élévation qu’ils n’avaient pas montée avec leur esprit et deviennent de ce fait cause de moquerie et de scandale pour beaucoup ! En conséquence, nul n’a l’autorité de monter à la colonne (ēsṭūnō) sauf par la connaissance et permission de l’évêque. [. . .] Il n’a pas l’autorité de servir à la prêtrise, et pas non plus de prononcer des jugements (dōynīn dīnē) et d’affronter l’évêque, ou de s’impliquer eux-mêmes dans des choses qui ne leurs sont pas autorisées ou de se servir d’écrits circulaires (ktībwōtō gūnōyōtō) et de trancher des litiges (nepsaqūn psōqē). » Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 212 fallu en faire un prêtre, et continuer de lutter pied à pied contre leur autorité concurrente, rurale et informelle234. Parallèlement, ce processus de cléricalisation des stylites et du reste des monastères accompagna l’émergence corrélée d’une hostilité dans la littérature islamique. 3.6. Une hostilité islamique grandissante Celle-ci se matérialisa pour la première fois lorsque commença à être aboli le privilège fiscal et social dont semblent avoir joui les holy men reclus avant le milieu du viiie siècle. Théophane le Confesseur imputait au calife abbasside al-Manṣūr d’avoir, vers 139/756–57, « accru les taxes sur les chrétiens tant et si bien qu’il l’imposa aux moines (monakous), aux cloîtrés (enkleistous) et aux stylites (kionitas) qui menaient des vies qui plaisent à Dieu235. » Cette information concorde avec l’assertion du contemporain du calife, l’anonyme de Zuqnīn pour l’année 157/774–75, à la fin de sa longue (com)plainte fiscale : « Ils s’attaquèrent aux moines, aux reclus et aux stylites (īḥīdōyē w-ḥbīšōyē w-ēsṭūnōyē), ils en firent descendre beaucoup de leurs colonnes (men esṭūnē), et firent sortir les reclus (ḥbīšōyē) de leurs retraites.236 » La ressemblance entre les deux notices indique que les deux auteurs puisaient l’information à une origine commune. Or l’anonyme de Zuqnīn, lui-même peut-être un stylite du nom de Josué, était un témoin vivant des faits qu’il décrivait237. Il était aussi le contemporain du fameux Théophile d’Édesse à qui on a attribué nombre d’informations orientales reprises dans la Chronographie de Théophane238. L’anonyme miaphysite de Zuqnīn eût-il pu informer Théophane ? Il était en tout cas au fait des mêmes évènements que ceux rapportés par l’anonyme miaphysite de Zuqnīn : les exactions fiscales d’un calife tout récemment décédé. Ces deux textes convergent à dénoncer une même abolition d’un privilège fiscal qui trouvait en partie son fondement légal dans la waṣiyya d’Abū Bakr. C’est aussi dans ce contexte qu’il faut comprendre le rappel appuyé de l’auteur de la Chronique 234. Binggeli, « Stylites et l’Eucharistie », 431–32 cite une anecdote d’Anastase le Sinaïte, Les récits inédits du moine Anastase, tr. F. Nau (Paris : Revue de l’institut catholique , 1902), p. 137 (n° 43) à propos d’un stylite qui confirma la validité de l’eucharistie d’un prêtre dont on lui aurait dit du mal, à l’occasion d’un festival populaire dans un monastère de la région de Damas. 235. Théophane, Chronographia, 430–31. 236. L’auteur de la chronique était lui-même probablement stylite selon la Chronique de Zuqnīn, 201. On notera l’énumération ternaire qui réserve aux stylites la plus haute place en termes de sainteté. 237. Voir la synthèse des éléments probants dans Debié, Écriture de l’histoire, 561. Voir le point de vue de F. Nau, « Les parties inédites de la chronique de Denys de Tell Mahré », Revue de l’Orient chrétien 2 (1897) : 11–68, ici 47–48 et A. Harrak, The Chronicle of Zuqnin, Parts III and IV. A.D. 488–775 (Toronto : Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1999), 4–9 mais A. Palmer, « Who Wrote the Chronicle of Joshua the Stylite? », dans Lingua Restituta Orientalis. Festgabe für Julius Assfalg, éd. M. Görg et R. Schulz, 272–84 (Wiesbaden : O. Harrassowitz, 1990), 272 en doute même s’il s’accorde avec eux pour assurer qu’il n’est pas l’auteur de la chronique edessénienne que l’auteur final y a inclus. Le manuscrit pourrait même être autographe de ce moine de Zuqnīn selon Harrak, Zuqnin, 11–14, à partir des comparaisons paléographiques de E. Tisserant, « Codex Zuqninensis rescriptus veteris testamenti. Texte grec des manuscrits Vatican Syriaque 162 et Mus. Brit. Additionnel 14 665 », Studi e testi 23 (1911) : xxx–xxxii et d’autres caractéristiques internes de nature textuelle et codicologique. 238. Voir sur ce débat, n. 63 à 69. http://opac.regesta-imperii.de/lang_en/anzeige.php?sachtitelwerk=Codex+Zuqninensis+rescriptus+veteris+testamenti%3A+texte+grec+des+manuscrits+Vatican+Syriaque+162+et+Mus.+Brit.+Additionnel+14665&pk=467406 http://opac.regesta-imperii.de/lang_en/anzeige.php?sachtitelwerk=Codex+Zuqninensis+rescriptus+veteris+testamenti%3A+texte+grec+des+manuscrits+Vatican+Syriaque+162+et+Mus.+Brit.+Additionnel+14665&pk=467406 213 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 214 de Séert, à propos de l’exemption de la jizya sur les « vêtus de laine » de la province du Bēt Garmay239. Les sources musulmanes confirment cette évolution, et Abū Yūsuf (m. 182/798), promu à la toute nouvelle fonction de Grand Qāḍī une décennie plus tard, émit un avis (rāʾī) correctif à l’exemption dont abusaient certains stylites : « Les gens des ṣawmaʿa-s, s’ils ont quelque richesse et aisance (ġinān wa-yasār), et s’ils ont transféré (ṣayyarū) ce qui est à eux à quelqu’un qui le dépense pour les couvents et ceux qui s’y sont fait moines (mutarahhibūn) et les résidents (qāʾim), qu’on leur prélève la jizya, que le responsable (ṣāḥib) du couvent la prélève240. » Al-Šāfiʿī, légèrement postérieur (m. 204/820), s’attaqua aussi à l’immunité fiscale des reclus en rappelant qu’ils ne sont rien d’autres que des chrétiens : « tous ceux qui divergèrent (ḫālafa) de l’islam parmi les gens des ṣawmaʿa-s et autres, parmi ceux qui sont soumis à la religion des Gens de l’Écriture, alors ce sera soit l’épée soit la jizya241 », symbole de leur sujétion confessionnelle. L’expression employée par le juriste révèle que certains pourraient ne pas diverger des dogmes de l’islam, suggérant que les ermites des hauteurs n’étaient pas tous explicitement considérés comme des chrétiens. Cette remarque théorique reflète l’aura, l’autorité et le prestige qui émanait encore à la toute fin du iie siècle de ces anachorètes, y compris sur les populations arabo-musulmans, ce qui légitimait encore partiellement certains passe-droits par rapport à leur Église chrétienne de tutelle. Muqātil b. Sulaymān (m. 150/767) montrait une affection significative pour les stylites lorsqu’il faisait l’exégèse d'un verset passablement anti-chrétien qui dénonce ceux qui prirent les moines (ruhbān) « comme maîtres en place de Dieu242 ». Pourtant, en d’autres occurrences, il s’attaquait aussi à ces même reclus. Ainsi, selon lui, l’expression coranique « les plus grands perdants pour leurs œuvres » (aḫsarīn aʿmālān) désignerait « parmi les Nazaréens, les gens des ṣawmaʿa-s243». Un peu plus loin, pour expliquer Qurʾān 5 : 82, il relate comment le Prophète s’opposa au désir de ses compagnons de « s’interdire à nous-même la nourriture, le vêtement et les femmes244 ; alors [. . .] certains d’entre [les compagnons du Prophète] se tranchèrent les testicules, s’habillèrent de peu (yalbisu al-masraḥ) et construisirent des ṣawmaʿa-s, s’y cloitrèrent et se dispersèrent ». Ces commentaires critiques à l’égard de cet ascétisme extrême reflète la symétrique méfiance et les condamnations de l’Église ancienne contre ces excès de jeûne et de chasteté. Les autorités arabo-musulmanes, à l’instar des canonistes syro-orthodoxes, dénonçaient l’excès d’ascèse des stylites charismatiques. Ces avis illustrent un glissement progressif de l’opinion générale à l’égard de la piété spectaculaire de ces ermites chrétiens. Les musulmans semblent être passés assez rapidement d’une attitude d’obédience, à tout le moins d’admiration, à un rejet assez radical. Cependant, à l’inverse, ils repoussaient aussi 239. Chronique de Seert (II), 312–13. Voir n. 188. 240. Abū Yūsuf Yaʿqūb, Kitāb al-Ḫarāj, éd. T. Saʿd et S. Muḥammad (Le Caire : al-Maktaba al-Azhariyya, 1999), 135. 241. Al-Šāfiʿī, al-Umm, 8 vol. (Beyrouth : Dār al-Fikr, 1990), 4 : 304. 242. Voir n. 169 et 171. 243. Muqātil, Tafsīr, 2 : 604 (Q. 18 : 102–3). 244. Ibid., 5 : 499 (Q. 5 : 82). Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 214 le cléricalisme auxquels les ecclésiastiques étaient parvenus à associer les stylites, parfois à leur corps défendant, notamment, on l’a vu, en les ordonnant245. Finalement, dans le second quart du ixe siècle, Ibn Ḥanbal rapporta de Šuʿba (m. 160/776) l’opinion du père d’un de ses maîtres, Abū Ṣāliḥ, qui, au début du viiie siècle, était « sorti en expédition au Šām (Syrie) ». « Alors les Syriens (ahl al-Šām) passaient devant des gens des ṣawmaʿa-s et les saluaient (yusallimūn ʿalayhim). J’ai entendu mon père dire : “Ne commencez pas à les saluer vous- mêmes (lā tabdaʾūhum) : contraignez-les au plus étroit/à leurs chemins (ilā aḍyaqihi) !”246. » Ce qualificatif de « gens du Šām » renvoie, en fonction du contexte, soit aux seuls arabo-musulmans de la province, soit aux habitants indigènes chrétiens ou enfin à tous les habitants de la région du « nord » indépendamment de leur communauté confessionnelle ou linguistique. En tout état de cause, ce ḥadīṯ non-prophétique constitue un rappel impérieux, de la part d’un « homme saint » (holy man) musulman et anonyme, de ne point se placer en situation d’obédience à l’égard des stylites. Cet avis reflète néanmoins une situation de compromission et de flou entre les voyageurs arabo-musulmans, les Arabes syriens et l’autorité dont se revêtaient les moines. Le salut que leur prodiguaient les voyageurs impliquait sans doute une subordination, d’autant plus intolérable aux tenants de l’orthodoxie islamique en construction. 4. Conclusion Nous avons souhaité démontrer que l’expression arabe courante des « gens des ṣawmaʿa-s (ahl al-ṣawāmiʿ ou aṣḥāb al-ṣawāmiʿ) » recoupe régulièrement celles des sources syro- occidentales qualifiant les stylites : esṭūnōrē ou esṭūnōyē. Le phénomène du stylitisme était devenu tellement important dans l’espace syrien (et pas, selon toute vraisemblance, dans l’ancien espace sassanide), que bien des types d’anachorèse furent associés directement ou non à l’ermitage « en hauteur ». Bien qu’il soit impossible de certifier à tout coup cette équivalence, il existe un faisceau de présomptions assez dense qui permet d’une part d’assurer que la ṣawmaʿa désignait une tour, et d’autre part que tous les reclus dans des tours étaient qualifiés de « stylites ». Au cours du iiie/ixe siècle, les deux termes étaient devenus de commodes synonymes de traduction. Dès lors, cet archétype de « l’homme saint » (holy man) de Peter Brown était devenu la principale autorité, en dépit des officiers de l’État omeyyade, et des prélats de la hiérarchie de l’Église, à arbitrer les différends des communautés de l’ancien Diocèse d’Orient. Ces solitaires pouvaient ainsi se tenir, par le biais de la colonne, au milieu du monde duquel ils auraient dû s’éloigner. Leur influence sur les populations rurales, et sur les groupes pastoraux en particulier, fut sans aucun doute déterminante, depuis Siméon l’Ancien au ve siècle jusqu’au milieu de la période abbasside. Ainsi, les officiels sassanides, romains et arabo-musulmans vouèrent tous respect et admiration au stylite, notamment reputé pour ses qualités de divination. 245. Binggeli, « Les stylites et l’eucharistie », 438 : « Il y a sans aucun doute de la part de l’Église une volonté de récupérer à son profit une partie du prestige du saint homme ». 246. Ibn Ḥanbal, Musnad, 8 : 350 (n o8542). 215 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 216 Nous avons présenté la tradition commune à la chronique syriaque de 1234 et à la plupart des recueils de traditions historiques sur la recommandation (waṣiyya) d’Abū Bakr, le premier calife, au moment où il lançait ses troupes à la conquête de la Syrie. Il aurait alors formulé une triple injonction : ne point taxer les stylites, les laisser tranquilles, ainsi que tout ermite, à leur culte, et enfin, passer son chemin et ne point se mêler de leurs affaires. La polysémie des expressions utilisées montre bien l’ambivalence des points de vue des autorités arabo-musulmanes ultérieures. La récurrence de l’admiration, du respect et de la méfiance à leur égard dans les traditions musulmanes ressemble à maints égards à celle éprouvée par les partisans de l’Église syro-orthodoxe en construction. Les dignitaires et intellectuels de l’Église syro-orthodoxe réagirent dès la fin du ier siècle de l’hégire. Jacques d’Édesse et Georges des Arabes tentèrent initialement de limiter leur influence en menaçant les rebelles d’excommunication. Ils proscrivirent leurs anarchiques missions d’enseignement et de justice de paix. Par la suite, la répétition des synodes montre une tendance à les intégrer au clergé, à les adjoindre aux organes officiels au cours des décennies suivante. En parallèle, l’admiration et la terreur superstitieuse qu’éprouvaient les arabo- musulmans à leur égard commença à intimer méfiance et répulsion de la part de leurs élites. En effet, ces autorités incontrôlées et situées en terrain flou dérangeaient tout autant les institutions califales et islamiques. Ceux qui, de plus en plus, se réclamaient de l’ascèse restaient attirés par leur idéal et prenaient les bons moines comme modèle. Dès lors, leur rapprochement avec le clergé facilita la tâche du « milieu sectaire » islamique et conduisit à les dénoncer comme les déformateurs d’une bonne doctrine chrétienne désormais perdue. Ce changement radical de paradigme s’explique par l’accroissement de l’hostilité générale à l’égard du christianisme durant la seconde moitié du iie siècle. Il est également contemporain d’une plus grande rigueur apportée à la collecte des taxes sur les revenus monastiques, jusqu’alors en grande partie exemptés. Cette dénonciation se développait aussi afin de justifier l’abolition de leurs privilèges fiscaux, ce dont témoignèrent, ulcérées, les sources chrétiennes qui mirent explicitement en exergue le ciblage des stylites (chionites, esṭūnōyē). Dans un premier temps, la vindicte à laquelle on vouait les officiels tonsurés par les Églises chrétiennes épargnait les plus indépendants des solitaires. Finalement, la waṣiyya d’Abū Bakr commença à être amendée et à évoluer vers une dénonciation « des erreurs » des stylites et autres ermites « d’en haut », associée à une répulsion désormais générale du clergé. Du côté des intellectuels musulmans syriens et irakiens, il était encore possible de demander des invocations de moines tout en considérant que leur dogme associationiste les vouait aux enfers. Finalement, les auteurs du iiie/ixe siècles décidèrent d’abroger les nombreuses dispositions qui en faisaient des autorités chrétiennes privilégiées. Ainsi, les traditions littéraires islamiques comme syro-orthodoxes ciblèrent les reclus en général, et parmi eux, les stylites en particulier. Ces attaques traduisent la crainte de ces élites institutionnelles et politiques à l’égard de la concurrence d’autorités qu’ils percevaient comme rebelles et hétérodoxes. Elles occupèrent tout d’abord l’espace médian entre la centralisation ecclésiastique syro-orthodoxe et le rejet radical du cléricalisme chrétien par les arabo-musulmans. Pris entre ces deux positions, les stylites continuèrent de proposer une influente troisième voie, en concurrence du clergé ordinaire qui tentait de les intégrer Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 216 et des savants du milieu muḥammadien, qui les voyaient de plus en plus clairement comme des clercs nazaréens. La question de l’esṭūnōrō dans sa ṣawmaʿa, venue se nicher jusque dans l’exégèse arabo- musulmane, signale à quel point l’influence de ces hommes saints fut déterminante sur les relations sociales, culturelles et spirituelles des arabophones de l’espace syro-mésopotamien pendant la période formative de l’Islam. Il s’agit d’un bon exemple de « l’inertie religieuse » des simple believers mise en lumière par Jack Tannous247. C’est peut-être à leur contact que certains groupes furent rattachés à l’Église syro-orthodoxe tandis que d’autres alternaient avec le pôle muḥammadien. Progressivement, à mesure que la définition confessionnelle de l’islam se faisait plus précise, il fallut que chacun choisisse de devenir musulman ou non248. Au cours de cette structuration, les stylites devinrent des rivaux sociaux et institutionnels qui devaient être marginalisés ou soumis. Les Églises et les milieux de construction du ḥadīṯ s’y résolurent ardemment, ce dont nous avons gardé les traces. Pour l’Église syro-orthodoxe, il s’agissait de limiter au maximum leur influence sur les monastères et les communautés rurales. Plus tard, le stylitisme décrut et le terme de ṣawmaʿa fut restreint aux petits couvents ou ermitages isolés, tandis que les musulmans avaient pris l’habitude d’ainsi qualifier les tours de leurs mosquées congrégationnelles. Les holy men de Brown avaient-ils fini par trouver des concurrents musulmans ? 247. Tannous, The Making of the Medieval Middle East, 386–87. 248. F. Donner, « From Believers to Muslims. Confessional Self-Identity in the Early Islamic Community », Al-Abḥāth 50–51 (2002–3) : 9–53. 217 • Simon Pierre Al-ʿUṣūr al-Wusṭā 28 (2020) Le stylite (esṭūnōrō) et sa ṣawmaʿa • 218 Bibliographie ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī. Al-Muṣannaf. Édité par Ḥ. R. al-Aʿẓamī. 11 vol. Beyrouth : al-Maktab al-Islāmī, 1983. Abū Bakr al-Dīnawarī. Al-Mujālasa wa-jawāhir al-ʿilm. Édité par M. Āl Salmān. 10 vol. Bahrain : Dār Ibn Ḥazm, 1998. Abū Ḥanīfa al-Dīnawarī. Al-Aḫbār al-ṭiwāl. Édité par ʿA. ʿĀmir. Le Caire : Dār Iḥyāʾ al-Kutub al-ʿArabī, 1960. Abū ʿ Ubayd Ibn Sallām. Ġarīb al-ḥadīṯ. Édité par M. A. Ḫān. 4 vol. Hyderabad : Dāʾirat al-Maʿārif, 1964. Abū Yūsuf Yaʿqūb. Kitāb al-Ḫarāj. Édité par T. Saʿd et S. Muḥammad. Le Caire : al-Maktaba al-Azhariyya, 1999. Agapius de Manbij. Kitab al-ʿUnvan, histoire universelle [. . .] (II-2). Édité par A. Vassiliev. Patrologia Orientalis 8 (1912) : 397–550. 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