73Casanueva Volume 11, No. 2. Special Issue: “Corporate Governance and Ethics” Guest Editors: Vincent Dessain, Olivier Meier and Vicente Salas � Nicolas Postel et Sandrine Rousseau 2008 RSE et éthique dʼentreprise : la nécessité des institutions, M@n@gement, 11: 2, 137-160. Copies of this article can be made free of charge and without securing permission, for purposes of teaching, research, or library reserve. Consent to other kinds of copying, such as that for creating new works, or for resale, must be obtained from both the journal editor(s) and the author(s). M@n@gement is a double-blind refereed journal where articles are published in their original language as soon as they have been accepted. For a free subscription to M@n@gement, and more information: http://www.management-aims.com © 2006 M@n@gement and the author(s). M@n@gement ISSN: 1286-4892 Editors: Alain Desreumaux, U. de Lille I Martin Evans, U. of Toronto Bernard Forgues, U. de Lille I Hugh Gunz, U. of Toronto Martina Menguzzato, U. de València M@n@gement est la revue officielle de lʼAIMS M@n@gement is the official journal of AIMS http://www.management-aims.com http://www.management-aims.com http://www.strategie-aims.com Nicolas Postel . Sandrine Rousseau Université Lille 1Clersé - UMR 8019 CNRS eMail: nicolas.postel@univ-lille1.fr Université Lille 1 Clersé - UMR 8019 CNRS eMail: sandrine.rousseau@univ-lille1.fr RSE et éthique d’entreprise : la nécessité des institutions Lʼarticle porte sur les liens entre éthique et responsabilité sociale des entreprises (RSE). Il propose une définition opérationnelle de lʼéthique fondée sur le concept de rationalité communicationnelle dans une optique institutionnaliste-pragmatique (se revendiquant de lʼapproche conventionnaliste). Sur cette base il distingue et jauge les différentes modalités contemporaines visant à associer éthique et efficacité au sein du capitalisme : paternalisme, fordisme, RSE. A la lumière de cet éclairage conceptuel et historique il propose dʼinterpréter la RSE comme une forme conventionnelle en cours dʼinstitution- nalisation. La réussite de ce processus dʼinstitutionnalisation, qui dépend principalement du comportement des consommateurs, est la condition sine qua non de lʼexistence dʼune authentique dimension éthique au sein des démarches de RSE. Les entreprises engagées dans des démarches de responsabilité sociale et environnementale1 font-elles de lʼéthique ? Cʼest autour de cette question, en apparence anodine que se déploie notre contribu- tion. Une certaine confusion règne pour ce qui est de lʼanalyse des rapports entre éthique et RSE. Certains auteurs nient toute consistance au phé- nomène RSE au-delà des effets de communication et de marketing (Lordon, 2003), dʼautres analyses proposent de réserver la notion dʼéthique à lʼéthique des affaires typiquement anglo-saxonne et lui opposent les démarches responsables européennes fondées non pas sur des principes moraux mais sur des objectifs sociaux (Capron et Quairel-Lanoizelée 2007), dʼautres auteurs, enfin, font un amalgame entre éthique et RSE (la RSE désigne alors lʼentreprise éthique (Sal- mon, 2002 ; 2007). Ce flou conceptuel est dommageable en ce quʼil porte sur un point essentiel qui détermine assez largement le potentiel régulatoire de la RSE. Celui-ci dépend en effet de la capacité quʼau- ront les démarches socialement responsables de recombiner les exi- gences dʼéthique et dʼefficacité qui se posent à tout système écono- mique, y compris capitaliste. Ainsi, à trop opposer RSE et éthique, on risque de vider de leur substance les processus de RSE2. Pour autant, une assimilation des mots éthique dʼentreprise et RSE nʼest pas non plus souhaitable : elle ne permet pas de poser une claire distinction entre les mouvements du paternalisme dʼavant-guerre, du fordisme et de lʼEtat social des Trente Glorieuses, et de la RSE qui caractérise la période contemporaine du capitalisme financiarisé. Or, ce dernier est spécifique, en ce quʼil part de lʼentreprise (à la différence du fordisme), 137 M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics 1. Nous entendrons RSE comme respon- sabilité sociale et environnementale des entreprises. Il existe une vaste littérature classique en sciences de gestion sur ce sujet : Bowen (1953), Ackerman et Bauer (1976), Caroll (1999). Pour une synthèse très complète en français, voir Capron et Quairel-Lanoizellée (2007). Mais ce phé- nomène est rarement analysé dans une perspective plus large de sciences humaines comme celle que nous esquis- sons dans cet article. 2. Il n’est pas inutile de rappeler ici que le concept de responsabilité est emprunté à Hans Jonas (1979) qui cherche à travers le principe responsabilité à fonder une nou- velle forme d’éthique. Sans dimension éthique, que peut bien vouloir dire être res- ponsable, sinon au sens pénal (mais l’on sait que le jugement suppose que l’indivi- du ait conscience du bien et du mal)... Or, précisément, la RSE consiste à entre- prendre des modes d’actions souhaitables en dehors de l’obligation légale. mailto:nicolas.postel@univ-lille1.fr mailto:sandrine.rousseau@univ-lille1.fr mais ne saurait sʼy cantonner (à la différence du paternalisme) : la RSE vise en effet à poser des jalons légitimes à lʼactivité de lʼentrepri- se, et à la manière dont elle traite son environnement au sens large (incorporant les aspects environnementaux et sociaux). Nous cherchons donc dans cet article à souligner la spécificité du mouvement de la RSE et à comprendre à quelles conditions elle peut devenir un vecteur efficace de régulation du capitalisme poussant à la mise en place dʼun compromis acceptable entre efficacité et éthique. Notre thèse est sur ce point la suivante : lʼefficacité régulatoire de la RSE dépend de sa capacité à nʼêtre pas seulement un mouvement contractuel unissant des individus, mais également un mouvement sʼincarnant dans des institutions collectives. Pour défendre cette thèse, nous proposons une grille dʼanalyse dans une première partie, nous lʼappliquons au paternalisme, au fordisme et la RSE dans une seconde partie et nous montrons, dans une troisième partie, pourquoi la dimension éthique de la RSE doit nécessairement être une forme éthique débouchant sur la production dʼinstitutions collectives. QU’EST-CE QUE L’ÉTHIQUE ? UNE DÉFINITION OPÉRATIONNELLE Nous ne cherchons pas dans cet article à produire une définition uni- verselle de lʼéthique. Lʼabondance des références sur cette question et la variété des positionnements philosophiques laissent entrevoir lʼim- possibilité dʼen référer à une unique définition, qui ferait autorité (Ricoeur, 1994 ; Misrahi, 1997 ; Marechal, 2005). Plus simplement, nous chercherons dans ce texte, à définir lʼéthique de manière opéra- tionnelle pour le sujet qui nous occupe, à savoir la RSE. Ce travail défi- nitionnel aboutit à établir une définition de la démarche éthique en termes de rationalité communicationnelle, concept emprunté à Haber- mas et reposant sur une description précise des conditions requises pour que lʼespace de la discussion puisse donner lieu à une discussion éthique. ETHIQUE ET MORALE La notion dʼéthique que nous mobilisons dans cet article sʼinscrit dans la lignée du tournant herméneutique des sciences sociales (Thévenot, 1990, 1995 ; Dosse, 1995). Dans cette perspective, nous cherchons à mettre lʼaccent non pas sur la concordance du comportement avec des normes morales préexistantes, mais au contraire à mettre lʼaccent sur les capacités discursives et argumentatives des acteurs, qui dans leur comportement portent une certaine vision du monde. Nous pouvons dans cette optique trouver appui sur les travaux philosophiques de Ricœur (1986) qui portent sur les concordances entre le texte et lʼac- tion individuelle, deux supports permettant à leurs auteurs de faire connaître aux autres leur vision du monde. Plus précisément avec Ricœur, nous cherchons à distinguer lʼéthique et la morale et propo- sons « de réserver le terme dʼéthique pour tout le questionnement qui Nicolas Postel et Sandrine Rousseau 138 M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics précède lʼintroduction de lʼidée de loi morale, et de désigner par mora- le tout ce qui, dans lʼordre du bien et du mal se rapporte à des lois, des normes et des impératifs » (Ricœur, 1991 : 41). Notre perspective théorique vise ainsi à distinguer clairement la question du respect de valeurs transcendantes et celui de lʼélaboration des règles dʼaction communes. Insister sur lʼéthique, cʼest donc cibler non pas une procé- dure visant à mettre en conformité un comportement avec une norme existante, mais au contraire prêter attention à la manière dont les dif- férents acteurs sʼaccordent sur des règles communes. On sʼinscrit donc dans une approche pragmatiste-herméneutique proche des tra- vaux de Boltanski et Thévenot (1991), mais aussi de Rorty (1982, 2000), qui sʼinspire du pragmatisme de John Dewey (pour une réflexion générale sur cette approche liant pragmatisme et herméneu- tique, voir Quéré [1999]). La mise en évidence de cette question éthique implique de revenir sur la partition entre fins et moyens, traditionnelle, en particulier en éco- nomie (Gérard-Varet et Passeron, 1995). Dans une optique aristotéli- cienne, il convient en effet de prendre acte de lʼimpossibilité dans laquelle nous sommes de prévoir avec certitude les conséquences de notre action au sein de la pluralité humaine. Lʼart dʼêtre prudent, quʼAristote qualifie de raison pratique, désigne la capacité dʼun acteur à se prononcer sur le caractère juste ou injuste dʼune action entrepri- se, au-delà de ses conséquences, qui sont par nature, incertaines (Aubenque, 1977). Cette capacité fonde la possibilité dʼune discussion politique (conçue ainsi nécessairement sur le concept de prudence) dans le cadre de la cité. Il existe de manière claire une injonction morale dans toute visée éthique. Toute réflexion sur le caractère juste ou injuste dʼune action a forcément des ressorts moraux. Mais, dans notre optique, cʼest une autre articulation que nous souhaitons mettre en lumière, non pas entre les valeurs morales transcendantes et les décisions éthiques de lʼindividu, mais entre la volonté des individus dʼagir de manière légiti- me, et la recherche avec les autres, des règles fixant cette légitimité dans le cadre dʼune discussion éthique. Lʼespace de la discussion sert alors à élaborer des règles communes, ce qui constitue lʼenjeu dʼune éthique de la discussion. ETHIQUE ET COMMUNICATION Cette réflexion très générale gagne à être précisée en la confrontant à la catégorie traditionnelle de rationalité chère aux économistes (Arrow, 1986). Les réflexions du sociologue et philosophe Jürgen Habermas (1987) peuvent nous y aider3. Cet auteur propose, en effet, de distin- guer quatre concepts de rationalité : — la rationalité instrumentale exclut le langage et ne porte que sur le choix des moyens les plus efficaces dʼatteindre une fin donnée ; — la rationalité stratégique mobilise le langage dans une finalité stra- tégique cʼest-à-dire pour manipuler lʼinterlocuteur de manière à le faire exécuter certains actes qui nous paraissent souhaitables de notre point de vue ; RSE et éthique dʼentreprise : la nécessité des institutions 139 M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics 3. La philosophie de Jürgen Habermas entretient bien sûr un dialogue étroit avec les sciences sociales dont est issu Haber- mas. Ce philosophe tente une synthèse entre l’approche kantienne, que l’on retrouve par exemple chez Jonas (1979), et l’approche aristotélicienne (ou néo aristo- télicienne) issue des travaux d’Hannah Arendt (1988, première publication en 1961). On comprend dès lors sa volonté de préciser et d’articuler les catégories de rationalité et d’éthique. M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics 140 Nicolas Postel et Sandrine Rousseau — lʼagir orienté par des normes : le guide de lʼaction est alors le res- pect scrupuleux de normes, par ailleurs non interrogées ; — la rationalité communicationnelle se caractérise quant à elle par lʼabandon de toute visée instrumentale et par la recherche de la com- préhension et de lʼaccord avec lʼautre. Elle seule est garante dʼune authentique communication (non biaisée). Il est assez aisé de remarquer que la rationalité instrumentale corres- pond à lʼhypothèse standard de rationalité des économistes. Cʼest sans doute celle qui se trouve aussi au cœur du taylorisme. La ratio- nalité stratégique correspond à la notion de rationalité mobilisée par les théoriciens des jeux, coopératifs ou non coopératifs. Elle est sans doute au cœur du toyotisme. Lʼagir orienté par des normes, quʼHaber- mas reprend à Max Weber, mobilise une forme de contrôle moral (et non éthique) de lʼaction tel que nous lʼévoquions dans la partie précé- dente. La notion dʼéthique que nous avons avancée, et que nous tra- querons dans les processus RSE, correspond bien à la rationalité communicationnelle. Cette forme de rationalité sert, selon Habermas, à délimiter les fondements de lʼaction commune cʼest-à-dire, en défini- tive, les cadres institutionnels de lʼaction. On retrouve ainsi, ici, une des propositions saillante de lʼécole institutionnaliste conventionnalis- te (Dupuy, Eymard-Duvernay, Favereau, Orléan, Salais et Thévenot, 1989 ; Orléan, 1994 ; Dupuy, Livet et Reynaud, 1997; Postel, 1998 ; Batifoulier, 2001 ; Eymard-Duvernay, 2006). En accord avec ce mou- vement théorique, nous proposons donc une définition de lʼactivité éthique comme étant la capacité à produire, avec dʼautres, des règles permettant de guider et dʼévaluer la conformité des actions communes à des principes moraux communs. Les règles ainsi produites par exer- cice de la rationalité communicationnelle sont là pour polariser lʼespa- ce de lʼaction en fonction des valeurs propres aux acteurs. Ainsi, « créer des règles de relation cʼest donner un sens à lʼespace social » (Reynaud, 1989: 280). Lʼéthique, comprise comme production de règles communes, corres- pond particulièrement bien à la nature et lʼobjectif du processus de RSE. Les démarches de RSE ne se donnent pas comme unique objet dʼintégrer une dimension éthique dans la prise de décision de lʼentre- prise, mais bien de produire des standards communs permettant de repérer, de faire savoir mais aussi de montrer lʼengagement de lʼen- treprise. Ainsi les démarches de RSE visent à produire des points de repères communs permettant de légitimer les comportements des entreprises sʼaffichant socialement responsables. LES CONDITIONS DʼUNE DISCUSSION ÉTHIQUE Lʼapproche conceptuelle dʼHabermas permet de préciser le lien entre éthique et rationalité à travers son concept de rationalité communica- tionnelle. La question que nous posons consiste donc à savoir si la RSE met bien en scène la quatrième forme de rationalité, la rationali- té communicationnelle, comme elle semble le promettre ou si, au contraire, elle se contente de recycler la seconde. Cette fois encore Habermas peut nous aider à travers lʼidentification de trois critères Tableau 1. Grille dʼanalyse de lʼéthique adaptée à la RSE Objet de la démarche Type de rationalité Conditions dʼexercice Une démarche éthique vise à établir des critères de justice. Elle ne se fonde pas sur lʼexistence dʼun cadre moral préexistant qui devrait être respecté. Une discussion éthique mobilise une forme de raison pratique, que nous qualifions de rationalité communicationnelle (Habermas, 1987), et qui se distingue de la rationalité instrumentale en ce quʼelle ne vise pas exclusivement lʼefficacité. Une authentique discussion éthique, mobilisant la rationalité communicationnelle, nécessite pour se déployer : – une diversité des points de vue des parties prenantes participant à la discussion ; – une égalité des points de vue des parties prenantes participant à la discussion ; – une temporalité longue des liens entre ces parties prenantes et lʼentreprise. M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics 141 RSE et éthique dʼentreprise : la nécessité des institutions indispensables à lʼélaboration dʼune forme de rationalité communica- tionnelle : – diversité ; le but de la discussion éthique est de confronter des points de vue dʼacteurs ayant une certaine diversité dʼopinions. Sinon la dis- cussion est inutile. La discussion doit donc être ouverte à lʼensemble des justifications possibles dʼune action commune (justice, bien-être, compassion, efficacité) et non pas subordonnée au primat dʼune norme particulière (lʼefficacité économique par exemple) ; – égalité ; une discussion éthique est une discussion entre égaux. En effet, toute relation dʼinfériorité dʼun des acteurs place celui-ci en dehors dʼune vraie discussion. Il est dans lʼécoute et lʼacceptation mais son point de vue ne peut émerger. Sans égalité, la discussion est impossible ; – temporalité longue ; une discussion éthique se déploie et recouvre nécessairement un horizon temporel suffisamment large. Le but est dʼélaborer des règles dʼactions communes considérées comme justes. Elles déterminent ensuite les actions effectivement entreprises. Une telle discussion nécessite donc du temps pour se dérouler, mais sur- tout nʼa de sens que si lʼinteraction entre acteurs est amenée à se poursuivre. Lʼinstantanéité marchande, par exemple, ne permet pas le déploiement dʼune “authentique discussion”. Ces trois conditions forment une grille de lecture efficace permettant de jauger la réalité des prétentions éthiques des démarches RSE et peut, plus généralement, nous servir de guide pour distinguer ce qui, dans les différentes formes historiques que prend la combinaison des objectifs dʼéthique et dʼefficacité dans le capitalisme, peut être réelle- ment pris au sérieux. En guise de synthèse, le Tableau 1 propose une définition opéra- tionnelle de lʼéthique adaptée à la RSE. ENTREPRISE ET ÉTHIQUE : LA SPÉCIFICITÉ DE LA RSE Notre objectif est de rapprocher les démarches de RSE des critères dʼune démarche éthique. Un préalable à cet exercice consiste cepen- dant à montrer en quoi la RSE sʼinscrit effectivement dans le cadre dʼune discussion éthique entre parties prenantes. Pour le montrer 4. Sur les liens historiques entre paterna- lisme et RSE et un point de vue différent, on peut se reporter à Ballet et de Bry (2001). nous commencerons par une mise en perspective historique. Dans lʼhistoire de lʼéthique dʼentreprise en effet, la RSE se distingue nette- ment des deux grands précédents que sont le paternalisme (par son caractère plus collectif et universalisable) et le fordisme (par son caractère davantage micro-fondé). Sur la base de cette distinction elle apparait comme un mouvement qui est à la fois micro-fondé, en rup- ture par rapport au fordisme et en réponse aux demandes des parties prenantes, mais également à visée générale et universelle, en ce quʼelle se présente davantage comme une procédure permettant de satisfaire et accorder les parties prenantes que comme lʼimposition dʼun cadre normatif préexistant (à la différence du paternalisme). RSE ET PATERNALISME Lʼapproche historique du phénomène de la RSE et de lʼinvestissement socialement responsable (ISR) montre que le phénomène actuel est au confluent de deux traditions que rien ne prédestinaient à devenir des modalités institutionnalisées dʼencadrement du capitalisme : le puritanisme américain et le paternalisme français. Le business ethic américain trouve sa source dans les premiers pilgrim fathers immigrés aux Etats-Unis et imprégnés de valeurs protestantes (Péron, 2002 ; Gendron, 2000). Cette dimension religieuse inspire lar- gement les premiers mouvements dʼinvestissement moralement res- ponsables dans les années trente, ancêtres de lʼactuel ISR. Ce nʼest que très progressivement que la réflexion sur le principe dʼune condui- te morale des affaires portant sur la personne même du manager évo- lue vers la mise en place de règles communes encadrant les affaires —de la morale en affaire à la morale des affaires. Le mouvement de la RSE a donc des racines anciennes aux Etats-Unis et des racines qui se fondent sur la morale, et non lʼéthique au sens développé dans la première partie : dans lʼesprit initial de cette veine de lʼéthique dʼen- treprise, cʼest bien au respect de valeurs religieuses que renvoie le terme éthique, des valeurs religieuses personnalisées par le chef dʼen- treprise et imposées à ses salariés. En Europe, cʼest plutôt depuis le patronage, tel que le décrit par exemple Robert Castel (1995), que se dessine le mouvement de la RSE. Dés le début de la révolution indus- trielle, des organismes de solidarité et de bienfaisance, souvent dʼobé- dience religieuse, organisent une forme de charité envers les plus démunis des salariés. Cette charité permet de socialiser en partie les marginaux que produit la révolution industrielle, sans pour autant leur donner une force politique réelle, puisque cette charité les installe dans une forme de dépendance à la bienveillance des classes possé- dantes. Ce patronage prend progressivement la forme dʼun paterna- lisme très développé dans le domaine de la filature, des mines, de la sidérurgie, qui sont des branches industrielles présentes notamment dans le Nord-Pas de Calais4. Dans cette première modalité qui accompagne lʼessor du capitalisme industriel, lʼéthique dʼentreprise est en réalité confondue avec lʼéthique du chef dʼentreprise. Dans cette optique, la mise en place des codes internes à lʼentreprise nʼest quʼune extension, aux autres acteurs, des Nicolas Postel et Sandrine Rousseau 142 M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics 5. Ford conditionnait, en effet, l’obtention d’un salaire plus élevé que le salaire de marché au respect, non seulement des règles tayloriennes régissant la production, mais encore à des règles de savoir vivre définies par la morale catholique de Ford. Des “sociologues”, payés par Ford, suivent ainsi les salariés en dehors de leur lieu de travail pour s’assurer de leur bonne mora- lité, leur non fréquentation des divers lieux considérés comme mauvais —maisons closes, estaminets— et leur bonne morale mesurée par leur non violence conjugale, l’éducation dispensée à leurs enfants… valeurs propres à lʼentrepreneur. Il sʼagit donc dʼune forme de morale dʼentreprise, morale imposée aux différents acteurs par la voie hiérar- chique, depuis les propriétaires du capital jusquʼà la hiérarchie fonc- tionnelle de lʼentreprise. Lʼémergence dʼun souci éthique de lʼentrepri- se peut ainsi représenter un danger si, non contente de produire des biens et services, lʼentreprise se meut en production de valeurs, car cette production de valeurs, si elle nʼest pas fondée sur une authen- tique discussion, risque fort de nʼêtre que lʼémanation des valeurs propres au chef dʼentreprise ou aux actionnaires majoritaires (Le Goff, 1995). Cʼest, là, le biais de la démarche paternaliste, dont lʼentreprise Ford fut sans doute la plus emblématique (Coriat, 1979 ; Ford, 1925)5. Dans cette modalité de perception de la responsabilité morale de lʼen- treprise, cʼest en réalité lʼexistence dʼune véritable dictature morale (au sens dʼArrow, 1951) qui est mise en place. Il y a une privation de liber- té des acteurs, en lieu et place dʼun débat éthique. Cʼest ce quʼaffirme, avec beaucoup de force et de persuasion, Milton Friedman (1970: 32). Sa célèbre intervention dans le New York Time Magazine se clôt par lʼaffirmation que « la seule responsabilité dans les affaires consiste à sʼemployer à utiliser les ressources et déployer les activités de lʼentre- prise en vue dʼen accroître les profits ». Cette conclusion se nourrit dʼune longue réflexion sur lʼabsence de légitimité quʼaurait un chef dʼentreprise à imposer aux autres (aux actionnaires, aux clients, aux salariés) des choix fondés sur ses propres valeurs, sauf à considérer le chef dʼentreprise comme un élu politique, ce qui reviendrait à pas- ser, note Friedman, au collectivisme. On peut noter, à la suite de Friedman, quʼune éthique dʼentreprise de type paternaliste ne passerait pas au crible de notre grille dʼanalyse.En effet, la démarche paternaliste impose une morale, cʼest une démarche instrumentale qui vise à discipliner et/ou moraliser les ouvriers, et qui ne pose pas le principe dʼégalité des acteurs. Ainsi, ce premier mouvement de lʼéthique dʼentreprise est très différent du mouvement actuel en ce quʼil est dʼabord local, personnel, et non procédural. Lorsque la morale de lʼentreprise dépend du chef dʼentre- prise, elle est évidemment enracinée localement, historiquement, et sʼadresse à des personnes, individuelles et non à des catégories sociales. Il existe une forme de prosélytisme dans cette forme dʼéthique dʼentreprise, mais pas de négociation collective ou de confrontation dʼidées. Les valeurs (chrétiennes notamment) prônées dans ce cadre ne sont en aucun cas discutables, elles doivent au contraire sʼimposer à une masse de salariés jugés incapables dʼy accéder. Enfin, dans cette première mouture, lʼéthique dʼentreprise ne pose pas la question de la légitimité de lʼentreprise, dans une optique défensive, mais profite au contraire de la légitimité, supposée éviden- te, de lʼentreprise, pour imposer des valeurs communes dans une optique offensive. Le passage de lʼéthique dʼentreprise au mouvement de la RSE sʼaccompagne donc dʼun déplacement profond de pers- pective. Le Tableau 2 met en perspective ce déplacement en insis- tant sur la différence de nature entre le paternalisme et la démarche RSE. La RSE se caractérise en effet par une démarche dʼobjectivisa- tion, de référencement collectif, de repérage, qui tranche avec la RSE et éthique dʼentreprise : la nécessité des institutions 143 M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics Tableau 2. Paternalisme versus RSE Périmètre Degré de discussion Acteurs concernés Place du chef dʼentreprise Instruments de mesure ou de repérage collectif Forme de justice Modalité Démarche Modalité de légitimation Paternalisme Local Faible Acteurs internes à lʼentreprise Centrale avec unilatéralisme Aucun Justice réduite au déploiement de la moralité Norme imposée par le chef Offensive Norme imposée par le chef (morale imposée) RSE Méso social Fort Acteurs internes et externes (ONG, pouvoirs publics, etc.) En interaction avec dʼautres logiques dʼacteurs économiques Multiplicité des instruments communs, à tous les niveaux, dont le niveau international Justice procédurale et distributive Règle construite collectivement Défensive Règle construite collectivement (éthique de la discussion) nécessité dʼimposer au contraire aux salariés dʼune entreprise particu- lière des valeurs externes. Ce processus de normalisation mobilise comme caution (et quelquefois comme producteurs effectifs) des ins- titutions publiques (Bureau international du travail, PNUD, Assemblée nationale en France pour la loi sur les nouvelles régulations écono- miques). Ainsi, là où lʼéthique dʼentreprise répondait à un besoin de moraliser les acteurs de lʼentreprise (i.e., les ouvriers), la RSE répond au besoin de moraliser lʼentreprise (et au premier rang son activité via son impact social et environnemental). Cʼest là un point de vue très dif- férent sur les rapports entre éthique et entreprise qui glisse dʼune morale privée à usage interne, à une recherche de procédures collec- tives et collégiales, validées collectivement et à usage externe. Cette extériorisation nous semble être un élément de rupture entre la RSE et lʼéthique des affaires. Cette rupture dans la forme nʼempêche pas forcément la continuité sur le fond. Certaines entreprises sont sans doute tentées de faire de la RSE la poursuite dʼune démarche paterna- liste ou morale sous dʼautres formes. Mais elles sont tenues de légiti- mer, au dehors, cette conformité à des valeurs morales spécifiques. Plus généralement, le discours éthique cesse dʼêtre dʼabord constitué de repères moraux, pour devenir essentiellement procédural. Plutôt que dʼexposer les valeurs de lʼentreprise, les démarches de RSE visent dʼune certaine manière, à travers les multiples normes qui balisent ce processus et les divers éléments de conseil qui accompagnent les entreprises qui sʼy engagent, à faire émerger quelques principes assu- rant la bonne écoute de tous les partenaires de lʼentreprise. Rien ne préjuge ou ne contraint a priori le résultat des démarches de RSE. La réflexion sur la dimension procédurale des questions éthiques peut ainsi servir de point de passage dʼune éthique microéconomique, cen- trée sur les valeurs morales du dirigeant, à une éthique macrosociale fondée sur le respect des procédures communes assurant le caractère consensuel des décisions prises. La RSE est un processus qui ne cherche pas la conformité à des normes morales qui préexisterait dans la culture propre au chef dʼentreprise, mais au contraire un processus Nicolas Postel et Sandrine Rousseau 144 M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics de recherche dʼun accord collectif sur des règles de bonne gestion. En ce sens on est bien dans lʼéthique, et non plus dans la morale (selon notre distinction initiée dans la première partie). LA RSE : UN PALLIATIF À LʼEFFRITEMENT DU FORDISME Cette évolution de rôle que joue lʼéthique dʼentreprise, depuis le rôle de discipline interne jusquʼà celui de légitimité externe, sʼexplique selon nous par lʼaffaissement dʼune autre forme de compromis éthique, macrosocial celui-là : le compromis fordiste (Boyer, 1987). La logique du processus dʼaccumulation fordiste, qui se déroule de 1945 à 1975, est connue. Elle sʼapparente à un contrat social, les tra- vailleurs acceptant la logique tayloro-fordienne dʼorganisation du tra- vail en échange dʼune certaine démarchandisation du travail qui a pour pierre angulaire le CDI et comprend lʼensemble de la protection socia- le et des règles administratives (conventions collectives) de calcul du salaire. Nous avons pu défendre ailleurs (Postel, Rousseau et Sobel, 2006) que ce deal fordiste constitue une première modalité collective de combinaison des objectifs dʼéthique et dʼefficacité. Si lʼon passe en effet ce compromis au crible de notre grille de lecture élaborée dans la 1ère partie, on notera que la construction de ce compromis salarial respecte les conditions dʼune authentique discussion éthique. En effet, concernant lʼobjet de la démarche, lʼobjectif du compromis fordiste entre patronat et syndicats est bien de définir ensemble ce que doivent être les fins de lʼaction de lʼaction économique. Il sʼagit donc dʼune démarche non instrumentale visant à établir des règles légitimes et collectives dʼaccumulation du capital. Les conditions dʼexercice de cette discussion portent sur trois points. 1/Diversité : la négociation permanente entre partenaires sociaux porte sur la détermination dʼune juste reconnaissance des droits sociaux des salariés, mais aussi sur lʼimpératif dʼefficacité des entreprises. Ces deux visées différentes sont acceptées comme légitimes. 2/Egalité : capitalistes et salariés sont rendus égaux par la loi qui reconnaît lʼégalité entre partenaires sociaux au niveau national. 3/Temporalité longue : les négociations sʼinscrivent à long terme et visent à baliser lʼaction commune entre partenaires sociaux. Cette discussion éthique repose cependant sur une invention institu- tionnelle : lʼartifice des partenaires sociaux, institués au dessus de la réalité du rapport salarial liant de manière inégalitaire les individus ne détenant que leur travail et les individus détenant également des capi- taux. Cette fiction collective permet lʼorganisation dʼune discussion éthique et lʼémergence de repères communs. Mais elle suppose, en amont, que les individus se reconnaissent et se fondent dans ces deux catégories dʼacteurs. En revanche, les questions environnementales nʼentrent pas en compte dans ce compromis. Elles ne sont portées par aucun acteur qualifié et reconnu. Ceci a aussi pour conséquence de rendre caduque la question des fondements de la reproduction du sys- tème. Les seuls perçus comme susceptibles de compromettre lʼaccu- mulation future sont les acteurs sociaux, intégrés de fait à la discussion. Il est donc clair que ce nʼest que sur la base de la qualification collecti- RSE et éthique dʼentreprise : la nécessité des institutions 145 M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics 6. C’est précisément ce qu’indique en France la loi NRE de 1998 : elle vise à inciter les entreprises à organiser en leur sein de tels débats permettant de faire émerger un rapport social communément admis. Afin de prendre en compte la dimension temporelle, la loi NRE impose aussi une évaluation des impacts sociaux et environnementaux de l’entreprise. ve des acteurs du rapport salarial que peut se dérouler une discussion éthique qui est dʼemblée macro-sociale. En ce sens, bien que le com- promis social fordiste représente une forme de démarche éthique, il dif- fère de la RSE en ce quʼil est porté et légitimé par des types dʼacteurs différents. Ce compromis macroéthique entre en crise dans les années soixante-dix. Les raisons de cette crise sont multiples, mais la délégiti- mation des acteurs du compromis fordistes (patrons mis sous tutelle de la gouvernance actionnariale), et syndicats de salariés (confrontés à un refus de taylorisme et du productivisme qui les portaient [Postel et al., 2006]) en est une importante. Cette délégitimation se traduit par lʼen- trée en scène de la gouvernance actionnariale, imposant un régime de rentabilité du capital plus élevé aux entreprises, par la montée des exi- gences environnementales et enfin par une pression plus forte des exi- gences de compétitivité prix liée au tassement des débouchés des industries de procès et à lʼémergence dʼune compétition à bas salaires des nouveaux pays industrialisés. Cette nouvelle donne conduit les entreprises à dénoncer le compromis social fordiste sous ses deux angles : dénonciation du taylorisme (souvent plus incantatoire que réel- le) et dénonciation du coût trop important du compromis salarial et plus généralement de lʼEtat social (et des prélèvements attenants). Cette crise du compromis social fordiste ouvre alors la nécessité pour les entreprises dʼimaginer de nouvelles manières dʼaccommoder éthique et efficacité afin dʼassurer lʼengagement des acteurs (cʼest la thèse de Boltanski et Chiapello [1998]). La RSE apparaît, dans ce cadre, comme une nouvelle forme de conciliation possible entre les différents acteurs de lʼentreprise. La RSE représente cependant une modalité radicalement différente de la précédente puisquʼelle se déploie depuis le niveau microécono- mique, sur la base dʼengagements volontaires des entreprises, et en prenant en compte de nouveaux acteurs considérés comme étant qua- lifiés pour encadrer lʼactivité de lʼentreprise, lui donner une visée col- lective (cʼest ce que traduit, de manière très générale, lʼémergence du concept de parties prenantes) et une inscription dans le temps (ce que traduit lʼemploi régulier de termes comme développement durable ou générations futures). Le mouvement de la RSE se développe ainsi au fur et à mesure que le compromis précédent et les acteurs qui le por- taient sont déqualifiés. Il ne reconnait pas de pertinence particulière aux partenaires sociaux et cherche à éviter lʼarbitrage légal de lʼEtat. Au contraire, dans le cadre du processus de RSE, il sʼagit dʼobtenir une authentique adhésion des individus (au sein et en dehors de lʼen- treprise), librement, dans le cadre dʼune discussion organisée depuis le niveau microéconomique6). Le Tableau 3 synthétise les diffé- rences entre compromis fordiste et RSE. Il reste à comprendre quels acteurs portent ce processus et quelles forces ou contraintes obligent les entreprises à les écouter. LA RSE : UN COMPROMIS PORTÉ PAR DE NOUVEAUX ACTEURS La RSE nʼémerge pas spontanément à partir de la déliquescence du fordisme. Les entreprises y sont contraintes en raison dʼécueils qui Nicolas Postel et Sandrine Rousseau 146 M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics 7. Freeman (1984: 46) définit ainsi les parties prenantes de l’entreprise : « any group or individual who can affect or who is affected by the achievement of an orga- nisation’s objectives ». Tableau 3. Compromis fordiste versus RSE Périmètre Degré de discussion Acteurs concernés Place du chef dʼentreprise Instruments de mesure ou de repérage collectif Forme de justice Modalité Modalité de légitimation Compromis fordiste Macro sans assise micro Objectifs sociaux Acteurs du rapport salarial Médiatisée par ses représentants Etatique et national Justice distributive Règle construite collectivement par les partenaires sociaux Règle construite collectivement (éthique de la discussion) RSE Micro ou méso social Objectifs sociaux et environnementaux Acteurs internes et externes (ONG, pouvoirs publics, etc.) Directe, mais en interaction avec dʼautres logiques dʼacteurs économiques Multiplicité des niveaux et des types dʼinstruments communs, dont le niveau international et le type associatif Justice procédurale et distributive Règle construite collectivement par les parties prenantes Règle construite collectivement (éthique de la discussion) 8. Qui sont exploitées au-delà de leur rythme de reproduction, cf. sur ce point les travaux de Wackernagel et Rees (1995). pourraient menacer leur profitabilité. Il est en effet essentiel pour elles de stabiliser leur environnement marchand. Une des manières de sta- biliser cet environnement est de démarchandiser partiellement les relations avec les parties prenantes en les fidélisant autour de valeurs. La nécessité dʼêtre éthique découle, pour lʼentreprise, de la nécessité de sortir du lot de ses concurrents (Jaffe, Peterson, Portney et Stavins 1995). Cʼest, en définitive, ce que suggère lʼapproche en termes de parties prenantes popularisée par Freeman (1984)7. Lʼentreprise est ainsi devenue, par effritement de lʼancien cadre fordiste, le lieu ou sʼélabore un compromis entre les différents acteurs pesant sur son devenir. Les relations à fidéliser touchent trois marchés avec lesquels lʼentre- prise est en prise directe : celui des matières premières, celui des capi- taux et celui des biens et services formant son débouché. Le marché des matières premières La raréfaction des ressources constitue une source de risques pour les entreprises. La raréfaction touche la plupart des ressources naturelles y compris les ressources renouvelables8. Lorsquʼelles sont néces- saires au processus de production, cela constitue une menace sur la formation du profit. A moyen et long terme, ce risque est dʼordre finan- cier : les coûts de production risquent dʼaugmenter. A court terme, des lois pourraient venir réguler lʼaccès aux ressources. La démarche de RSE, consistant à montrer que les entreprises peuvent de manière spontanée et volontaire internaliser les externalités que génèrent leurs processus de production, présente trois avantages : à court terme elle 1/redore lʼimage environnementale de lʼentreprise tout en lʼamenant 2/à prévenir (dans le double sens de lʼévitement et de la préparation) ainsi lʼintervention de la loi et, à long terme, cela leur permet 3/de prendre possession de ressources qui pour certaines deviennent rares. RSE et éthique dʼentreprise : la nécessité des institutions 147 M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics 9. Sur l’analyse de la pratique de l’exit chez les consommateurs, voir Dowding, John, Mergoupis et Van Vugt (2000). M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics 148 Nicolas Postel et Sandrine Rousseau Les clients La crainte de lʼentreprise, dés lors quʼelle dispose des matières pre- mières, est de sʼassurer des débouchés dans un monde mouvant et très concurrentiel. En élevant le client au rang de partie prenante, lʼen- treprise se donne lʼoccasion de le fidéliser et dʼanticiper ses change- ments de goûts ou dʼexigence et donc de sʼassurer un profit à long terme. On retrouve là les raisonnements de Schumpeter sur la néces- saire anticipation des besoins et lʼinnovation dont doit faire preuve le chef dʼentreprise pour se différencier. Tous les processus de normali- sation des procédés de production sont autant de face-à-face virtuels entre les salariés, lʼentreprise et le client. Lʼentreprise évite enfin de voire se dégrader sa réputation sous le coup de campagnes de dénon- ciation. Il sʼagit également, et surtout, ici dʼéchapper à lʼémergence dʼune mauvaise réputation (concernant le travail des enfants, les salaires versés, les pollutions non internalisées...). Ces campagnes portent le plus souvent sur des fournisseurs, ce qui explique la recherche de contractualisation et de contrôles accrus qui permettent à la fois de mettre en contact même indirect les sous-traitants et les destinataires finaux de leurs produits et de limiter lʼaléa moral qui exis- te dans toute relation de type client-fournisseur9. Les actionnaires Finalement, la réduction du risque clientèle et du risque fournisseur est un moyen de réduire la volatilité des actionnaires présents dans le capital et donc le cours des titres. Il est essentiel pour lʼentreprise de recouvrer une certaine stabilité de son financement malgré lʼémergen- ce dʼune finance de marché. Pour ce faire, disposer dʼengagements visibles permettant dʼassurer les actionnaires de la pérennité de la relation client et de lʼapprovisionnement matériel de lʼentreprise est essentiel. On touche aussi là à un mouvement plus subtil de reprise en main, par les managers, de lʼoutil de production. Lʼémergence de la RSE leur redonne un moyen dʼexister, face aux actionnaires, en se rendant indispensable à la pérennisation de leurs engagements (Boxembaum et Battilana, 2004). Ces acteurs qui exercent une pression sur lʼentreprise sont des acteurs extérieurs à la sphère de la production. De ce tableau les sala- riés sont donc quasi-absents. Cʼest un effet important de la représen- tation de lʼentreprise en termes de parties prenantes : dʼune part la relation salariale est diluée parmi dʼautres relations hissées au même niveau10, dʼautre part lʼordonnancement des relations de lʼentreprise avec ces parties prenantes se fait spontanément en considérant comme importantes les relations fondées sur un réel pouvoir de pres- sion de la partie prenante considérée (Mitchell, Agle et Wood, 1997). Or, mis en face des actionnaires et des clients, la position des salariés est faible. Certes, une faible frange du salariat, de haut niveau et en situation de force sur le marché du travail, peut parvenir à sʼimposer à lʼentreprise désireuse de sʼattacher ses services. Pourtant ce phéno- mène reste marginal relativement à lʼimmense majorité des salariés confrontés au risque de chômage et perçus comme relativement inter- changeables. Ainsi, même si tous les salariés ne sont pas logés à la 10. Donaldson et Preston (1995) ont ainsi montré que cette approche pouvait se com- biner avec la théorie des droits de proprié- té, et Hill et Jones (1992) ont tenté de l’as- socier à la théorie de l’agence. Ceci montre à quel point l’approche par les par- ties prenantes déplace le centre de gravité de l’entreprise, depuis le rapport salarial jusqu’au simple rapport de force fondé sur la propriété, dont le rapport salarial n’est qu’un aspect. M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics 149 RSE et éthique dʼentreprise : la nécessité des institutions même enseigne, lʼabsence des salariés dans le processus de produc- tion des codes éthiques est mise en évidence par Bethoux, Didry et Mias (2007). Les salariés ne disposent donc que de très peu de moyens de pres- sion sur lʼentreprise, sauf à mobiliser lʼopinion publique des consom- mateurs qui sont aussi, par ailleurs, souvent salariés (Aglietta, 1998 ; Aglietta et Rebérioux, 2004)11. Cʼest finalement ce que souligne lʼémergence de la théorie des parties prenantes (Freeman, 1984). Cette théorie permet de souligner lʼélargissement du périmètre de lʼen- treprise : si la RSE se déploie, ce nʼest pas sous la pression des acteurs traditionnels du rapport salarial, mais sous le coup dʼun néces- saire reformatage de ces relations marchandes12. Ce reformatage peut devenir porteur dʼune véritable dimension éthico-politique, si la RSE sʼinstitutionnalise : cʼest lʼobjet du point suivant. POUR UNE INSTITUTIONNALISATION DES PROCESSUS RSE Dans cette troisième partie, nous défendons la thèse selon laquelle la capacité quʼa la RSE à représenter réellement un potentiel régulateur dépend de sa propension à sortir du périmètre de lʼentreprise pour par- venir à constituer des institutions communes à même de guider lʼen- semble des acteurs13. Nous pointons donc les limites dʼune approche purement contractualiste de la RSE du point de vue de lʼauthenticité de la démarche éthique que la RSE peut représenter. Nous défendons ensuite que la RSE doit être vue comme une convention commune (par opposition au contrat), convention qui gagnerait à sʼinstitutionna- liser durablement. LES LIMITES DʼUNE VISION CONTRACTUALISTE DE LA RSE La RSE se présente comme un phénomène visant à re-légitimer le capitalisme à partir dʼune discussion entre parties prenantes. Elle se présente donc comme un mouvement micro-économique, sous la forme dʼun contrat entre acteurs de lʼentreprise. Pour autant, lʼentre- prise, pointée comme le lieu par excellence dʼélaboration de la dis- cussion éthique, est-elle un lieu propice au déploiement dʼune authen- tique discussion ? La RSE résiste-t-elle à la grille dʼanalyse à laquelle nous avons soumis les deux autres formes dʼaccommodement de lʼéthique et de lʼefficacité que sont le paternalisme et le fordisme ? Si le principe de la RSE se présente bel et bien comme lʼorganisation dʼune discussion entre parties prenantes sur les finalités de lʼentrepri- se et la manière dʼévaluer son fonctionnement, il apparaît, en revanche, que les conditions concrètes des acteurs dans lʼentreprise ne permettent pas dʼélaborer une discussion éthique de manière sérieuse. Le temps de la relation salariale sʼest considérablement raccourci, dans les pays riches, sous lʼeffet conjugué des politiques publiques de flexibilisation de la main-dʼœuvre, de la plus grande fluidité des mou- 11. Lorsque les entreprises font appel à la RSE sur ce sujet, ce sont sur des questions annexes du rapport salarial : l’égalité hommes/femmes, la lutte contre les discri- minations, ou encore la diminution du nombre d’accidents du travail. Les engage- ments portent quelquefois, sur l’employa- bilité des salariés, mais plus en vue d’une éventuelle reconversion. Dans certains cas toutefois, la RSE est aussi un moyen de fidéliser des salariés mais cela s’adresse avant tout à des salariés qualifiés, dont la rémunération est forte, dans des domaines de compétence spécifiques. En aucun cas, il s’agit là d’une règle générale. 12. Sur la théorie des parties prenantes, nous rejoignons néanmoins les arguments critiques de Jones (1995) et Donaldson et Preston (1995) qui soulignent la nécessité de borner cette notion trop englobante. Plutôt que de diluer ainsi la question du pouvoir dans des rapports bilatéraux, nous montrons dans la partie suivante que ces relations de pouvoir s’incarnent dans des institutions qui les stabilisent. 13. Nous rejoignions sur ce point les ana- lyses de O’Rourke (2003), Besse (2005), Palpacuer (2006) notamment. 14. Comme le souligne la récente enquête emploi mentionnée dans Insee Première n° 1164 de novembre 2007 : « Près de neuf emplois sur dix sont des emplois sala- riés. Au sein de l’emploi, la part des per- sonnes en contrat à durée indéterminée (y compris fonctionnaires) baisse depuis 2004 : elle est de 77,1 % en 2006, après 77,6 % en 2005 et 78,2 % en 2004. En contrepartie, l’emploi non salarié poursuit sa tendance à la hausse amorcée en 2004, même s’il reste très minoritaire. Enfin, cer- taines formes particulières d’emploi se développent : contrats à durée déterminée (CDD), apprentissage et intérim. Parmi les actifs ayant un emploi, la part de ceux qui travaillent à temps partiel a augmenté, de 16,7 % en 2004 à 17,2 % en 2006. » 15. Le lecteur pourra s’en convaincre en consultant les travaux de psychopathologie du travail de Christophe Dejours (1998). Nicolas Postel et Sandrine Rousseau 150 M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics vements de capitaux et du recours à une chaîne de sous-traitance facilement délocalisable (Coutrot, 1995 ; Senett, 1995). Les entre- prises, confrontées à un marché des biens plus instable, plus concur- rentiel, et plus encore à une exigence de rentabilité à court terme accrue, ont cherché à se délier de toute obligation de long terme vis- à-vis de leurs salariés. Cela sʼest traduit par un assouplissement considérable du droit du travail, lʼapparition de contrats plus souples que le contrat à durée indéterminée. Près de trois embauches sur quatre se réalisent aujourdʼhui sous forme de contrats dits précaires (Castel, 1995 ; Ramaux 2006)14. La diversité des critères dʼévaluation mobilisables dans la discussion semble aussi sʼêtre réduite, sous lʼinfluence dʼune exigence de renta- bilité accrue (Duménil et Levy, 2000). La prise de pouvoir actionnarial sʼest en effet accompagnée dʼune pression effective sur les entre- prises visant à augmenter non seulement lʼamélioration rapide de la valeur de lʼaction, mais encore les dividendes versés. Ce primat de lʼexigence de rentabilité de court terme est une réalité unanimement perçue du monde des affaires. Elle fait peser une plus forte pression sur les entreprises et réactive lʼexigence dʼefficacité, indépendamment de toute autre visée. En ce sens le capitalisme actionnarial réduit plu- tôt quʼil nʼouvre la discussion sur les objectifs de lʼentreprise (Aglietta et Rebérioux, 2004). Lʼégalité des parties prenantes à la discussion sʼest elle aussi plutôt dégradée. La déconcentration productive, le recours accru à la sous- traitance, des facteurs culturels également, ont concouru à provoquer une déconstruction des collectifs de travail et des collectifs syndicaux. Or, les salariés, soumis aux exigences des détenteurs de capitaux, dʼune part, et à la pression du marché des biens dʼautre part, suppor- tent individuellement une forte pression (Coutrot, 1995 ; Chauchard et Hardy-Dubernet, 2003). Les innovations managériales visent en effet à relier directement le travail du salarié à ces deux marchés : dʼune part par la traçabilité des produits, dʼautre part par la construction dʼin- dicateurs individuels de performance. Cette individualisation de la rela- tion salariale connecte directement le salarié avec les exigences du marché des capitaux et du marché des biens, lʼobligeant ainsi à coopérer avec lʼentreprise, cʼest-à-dire à donner le meilleur de lui- même selon le modèle de la coopération forcée. Cette individualisation fragilise le salarié et fragilise encore davantage le salariat comme col- lectif institué et agissant. Dès lors, lʼégalité artificiellement construite entre le capital et le travail, ou plus exactement entre lʼentreprise et le salarié, est considérablement fragilisée. En perdant la dimension col- lective du salariat, le salarié est réexposé à lʼinégalité structurelle de la relation salariale15. Du point de vue de la stricte relation salariale à lʼintérieur de lʼentrepri- se, donc, il semble que peu dʼespace se soit ouvert qui permette lʼépa- nouissement dʼune discussion éthique. En guise de synthèse, on peut repérer les obstacles à une authentique démarche éthique. Tout dʼabord, lʼobjectif de la RSE est bien de définir ensemble ce que doi- vent être les fins de lʼaction de lʼaction économique de production. Il sʼagit dʼune démarche non instrumentale visant à établir des règles légitimes et collectives dʼaccumulation du capital. Les trois conditions dʼexercice de cette discussion concernent la diversité, qui est absente dans la mesure où, dans le cadre restreint de lʼentreprise, la discus- sion est conditionnée à la réalisation de lʼobjectif de profit, lʼégalité, qui a plutôt diminué ces vingt dernières années entre les salariés et la direction de lʼentreprise ou lʼactionnariat, et la temporalité, pour laquel- le on note que la gestion actionnariale ne privilégie pas spontanément le long terme. A lʼinverse, les entreprises souffrent de la versatilité de leur actionnariat et recourent à des formes dʼemploi flexibles pour y faire face. Cependant, dans le faisceau de relations que constituent les parties prenantes, on peut voir naître une forme de relégitimation du salariat, à condition que les salariés parviennent à faire porter leurs revendica- tions, en dehors de lʼentreprise ou à intégrer les syndicats représenta- tifs dans la discussion sur les critères de RSE. Ainsi, ce nʼest pas dans lʼentreprise stricto sensu que les salariés peuvent peser, mais autour dʼelle en mobilisant dʼautres parties prenantes. En ce sens, la RSE ne peut pas être seulement une forme dʼéthique dans lʼentreprise, ni même dʼéthique dʼentreprise, mais plus sûrement la recherche de règles et de discours communs à lʼensemble des par- ties prenantes. Nous cherchons dans la fin de cette contribution à pré- ciser la nature de cet espace institutionnel. LA RSE COMME RÈGLE CONVENTIONNELLE Si la RSE nʼest pas réductible à un simple agencement de contrats, il convient de cerner de quelle forme collective elle relève. Le vocabu- laire en la matière, bien que non stabilisé, met fréquemment en avant les normes de RSE. Cʼest là un usage malheureux, au plan théorique, puisque la RSE est à la fois plus quʼune simple norme technique, et moins, dʼune certaine manière, quʼune norme morale. Après avoir cla- rifié cette ambigüité, nous défendons lʼidée selon laquelle la RSE est une règle conventionnelle. Au plan moral, une norme désigne un dispositif déontique reposant sur des valeurs transcendantes (voir sur ce point Ullmann-Margalit, 1978). Une norme nʼest donc pas la description dʼun ensemble dʼactes à effec- tuer, elle comprend simplement les principes directeurs de toute action. Au plan technique, le mot norme désigne tout autre chose. Il est appli- qué en fait à des dispositifs techniques (norme SA 8000, ISO 9002, norme GRI, etc.). Cette fois donc le mot norme vise un dispositif, une procédure technique, un mode opératoire, mais pas véritablement un contenu. Derrière ce double sens, on perçoit cependant le rapport hié- rarchique qui unit lʼaction à la norme : la norme préexiste et encadre lʼaction, elle nʼest en revanche pas susceptible dʼêtre modifiée en retour par lʼaction. Cette prégnance est sensible dans le cadre de la RSE, et gênante du fait de la nature ambigüe des normes de RSE qui oscillent entre sens technique et sens moral. Le double sens du mot norme appliqué aux dispositifs RSE appelle ainsi deux remarques : – on peut considérer en première analyse quʼune norme technique en matière de RSE est principalement procédurale et quelle ne présage RSE et éthique dʼentreprise : la nécessité des institutions 151 M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics Nicolas Postel et Sandrine Rousseau 152 M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics en rien du contenu effectif de la démarche. Cette distinction est cepen- dant fragile. La procédure suivie, comme lʼordre du jour dʼune réunion, fixe en général le contenu en balisant la discussion et en hiérarchisant les priorités. Les normes techniques ne sont jamais neutres lors- quʼelles prétendent encadrer une démarche éthique. Lʼambiguïté du terme est révélatrice dʼune ambiguïté effective sur le rôle normatif des normes techniques. Sans être transcendantes et malgré leur caractè- re technique, elles peuvent contribuer à plier la discussion avant quʼel- le nʼait lieu ; – cette ambiguïté sʼaccroît quand la production de normes est le fruit de procédures obscures et non validées par la communauté à laquel- le sʼadressent ces normes. En effet, à la question de la normativité des normes de RSE doit être associée la question de leur légitimité. Or, sur ce point, la multiplication des normes et leur modalité de production pose problème. Il existe une multiplication des procédures et une forte capacité des multinationales à imposer leurs propres standards à la communauté internationale, validant de fait un point de vue particulier en point de vue général (Caroll, 1999 ; Capron et Quairel Lanoizelée, 2004). Puisque le statut et les modalités de production des normes RSE fait problème, il serait sans doute utile, du point de vue théorique, de ne pas reprendre le concept de norme et de lui substituer celui de règle conventionnelle et interprétative, soulignant ainsi le caractère collectif, malléable et évolutif des processus de RSE. Une règle, au contraire dʼune norme, indique en effet lʼaction à mener. Une règle est discutable, et cette discussion se situe à lʼintérieur des normes en vigueur. On peut définir la règle par quatre caractéristiques (Postel, 2003: 6) : contingente (on a le choix des règles) ; nécessaire (la règle apparaît quand il y a nécessité de lʼaccord entre acteurs sur lʼaction à mener) ; signifiante (une règle porte un sens collectif, elle doit être légitime) ; contraignante (après sa mise en place, chacun suit la règle). Le concept de règle permet donc bien de souligner que la liber- té sʼexprime principalement dans la possibilité de choisir les règles communes qui vont guider lʼaction. Cette articulation du cadre collectif à lʼaction nous semble donc mieux adaptée à lʼobjet RSE que la notion de norme. Elle reste cependant floue, en particulier en ce qui concer- ne la manière dont lʼaction fait évoluer la règle, nous pouvons préciser ce point en proposant de qualifier les règles de RSE de convention- nelles et interprétatives. Les règles de RSE sont dʼune part très malléables et, dʼautre part, fon- dées sur le principe de la recherche dʼun avantage commun. Leur mal- léabilité tient à la nécessité dʼadapter des préceptes communs à des cas dʼentreprise différents. Le type de production, la taille de lʼentre- prise, son statut légal (publique, SA, PME familiale...), lʼimportance et lʼintensité de son recours à la sous-traitance, sont autant de critères qui nécessitent de disposer dʼune grille commune qui soit adaptable à chacun des cas de figure. Les parties prenantes sont ainsi amenées à interpréter les préceptes de RSE pour les adapter aux caractéristiques de leur entreprise. Pour cette raison, la RSE se caractérise bien par lʼapplication de règles interprétatives. Des règles interprétatives qui 16. Bien sûr, de la même manière que le concept de norme doit être distingué de l’expression courante de norme de qualité, il est clair que le concept de convention se distingue de l’emploi du terme de conven- tion pour désigner le principe de conven- tions collectives qui sont souvent des règles fortement institutionnalisées et explicitées. sont liées au déroulement même de lʼaction collective et qui, dʼune cer- taine manière, ne peuvent quʼêtre artificiellement disjointes de leur application concrète. Les règles de RSE forment ainsi un outil que les partenaires modulent en fonction des caractéristiques de leur action et en fonction de leur visée. Une démarche de RSE nʼest pas réductible aux règles qui lʼencadrent : celles-ci ne forment quʼun cadre interpré- tatif, un guide pour lʼaction collective. Cette interprétation nʼest pas principalement conflictuelle. Il sʼagirait plutôt dʼinteractions non coopératives, mais non strictement conflic- tuelles, dans lesquelles chacun a à gagner à lʼaction collective, mais où la possibilité de gains inégalitaires suscite le conflit (comme dans le cadre des jeux non coopératifs à somme non nulle étudiés en particu- lier par Schelling, 1960). La RSE vise, en effet, à faire émerger un accord favorable à lʼensemble des parties quant à la manière de pro- duire. Dans ce cadre, les engagements collectifs souscrits peuvent être qualifiés de conventionnels. Une convention est une forme parti- culière de règle (Batifoulier, 2001 ; Eymard-Duvernay, 2006). Les élé- ments avancés pour définir la règle valent donc pour la convention. Mais la règle conventionnelle se caractérise par le fait que la règle sui- vie repose en tous points sur lʼintérêt commun à la coopération. Autre- ment dit, personne nʼa intérêt à enfreindre une convention. Elle ne règle pas un différend ou un conflit dʼintérêts mais représente une solution mutuellement avantageuse (Lewis, 1969). Le concept de convention est donc un idéal qui nʼexiste pas ou peu de manière pure dans la relation salariale et, au-delà, au sein de lʼentre- prise. En revanche, la notion de convention indique quelque chose dʼimportant : il y a un élément dʼintérêt mutuel et dʼattentes tacites dans toute règle. En ce sens, la plupart des règles ont une dimension conventionnelle. Cʼest le cas des règles de RSE qui se caractérisent précisément par lʼabsence de négociation contractuelle et la recherche de lʼidentification dʼintérêts communs et dʼune meilleure coordination dans lʼidentification des objectifs recherchés dans lʼaction collective (efficacité, justice, durabilité...). La RSE fait lʼobjet dʼune interprétation commune, et donc dʼune inten- se coproduction entre les différents acteurs. La notion de convention permet de désigner cette co-production et dʼinsister sur son caractè- re contingent16. On peut ainsi, dans la lignée des travaux de Théve- not (1986) et de Favereau (1989), avancer que les règles RSE sont des investissements de formes permettant de disposer de dispositifs éthico-cognitifs collectifs. Ainsi lʼinvestissement de forme que repré- sente une démarche socialement responsable, et qui passe par un refus de la précarisation salariale, peut sʼavérer payant en terme dʼimage et donc de parts de marché conquises. Une fois cet investis- sement pérennisé, les entreprises concurrentes seront alors tentées dʼimiter la pionnière, selon un mécanisme conventionnel classique : la construction des attentes du client par une entreprise sert de point focal (Schelling, 1960) aux autres qui, contraints et forcés, doivent sʼy rallier. Cʼest là un mécanisme classique de diffusion conventionnelle (Sugden,1989 ; Peyton Young, 1993) qui peut servir de matrice à lʼinstitutionnalisation des processus RSE. En guise de synthèse, les RSE et éthique dʼentreprise : la nécessité des institutions 153 M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics Nicolas Postel et Sandrine Rousseau 154 M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics dispositifs de RSE peuvent être qualifiés de conventionnels en raison de : – lʼidentification dʼintérêts mutuels ; – une co-production entre les parties prenantes permettant dʼexploiter ses intérêts mutuels ; – leur caractère indispensable et leur nature contingente, puisque les règles RSE sont indispensables pour dépasser lʼantagonisme contrac- tuel et reposent sur un choix collectif ; – leur caractère autorenforçant qui fait quʼune bonne pratique peut, au- delà dʼun certain seuil sʼimposer spontanément à tous les acteurs par mimétisme. LA PLACE DE LA RSE DANS LES INSTITUTIONS DU CAPITALISME Notre proposition consistant à analyser la RSE comme règle conven- tionnelle interprétative permet de synthétiser les différentes caractéris- tiques de ce phénomène et de mettre en particulier en lumière le potentiel régulatoire et éthico-politique des démarches de RSE. Il reste cependant à comprendre, dʼune part comment ce potentiel pourrait être exploité, dʼautre part avec quelle autre forme de régulation il se combine. On peut, pour spécifier le régime capitaliste, proposer de distinguer trois niveaux de régulation, qui sʼimbriquent en un tout cohérent : – lʼinstitution fondamentale ; la propriété privée des moyens de pro- duction qui distingue le capitalisme parmi les modes de production possibles ; – les institutions structurelles qui portent cette institution fondamenta- le. Elles indiquent quelle forme particulière prend le capitalisme à un moment historique donné. Cette forme dépend de la manière dont sont conçues les institutions structurelles que sont le marché, lʼEtat, la mon- naie, le rapport salarial ; – les règles interprétatives (ou conventionnelles) qui assurent lʼadé- quation des institutions structurelles au terrain dʼaction. Ces règles sont de nature interprétative puisquʼelles ont pour fonction de faire vivre en pratique les formes institutionnelles conceptuelles et symbo- liques que sont les institutions structurelles. Ce sont, dʼune certaine manière, les seules règles visibles. Elles désignent des pratiques, des formes juridiques, etc. Bien sûr, ces manières dʼinterpréter une forme particulière que prend le capitalisme changent de manière continue, sʼadaptent en permanence jusquʼà ce que ces changements et adap- tations finissent par faire apparaître une distance trop grande entre lʼinstitution structurelle et sa traduction en pratique, ce qui fait alors apparaître une crise de régime. On peut ainsi se représenter le capitalisme comme tenu par un ensemble de règles. Cette représentation schématique peut être syn- thétisée par le Tableau 4. Dans ce tableau, nous plaçons la RSE au troisième niveau, celui des règles interprétatives ou conventionnelles, cʼest-à-dire dʼune forme de règle malléable qui porte une interprétation des modalités dʼinterven- tions des formes structurelles que sont, ici, le marché, lʼEtat, le rapport Tableau 4. Une représentation institutionnelle du capitalisme Institution fondamentale (rang 1) Institutions structurelles (rang 2) Institutions interprétatives : règles et conventions communes(rang 3) Institution Propriété privée des moyens de production Monnaie Marché Rapport salarial Etat Entreprise Syndicat Conventions collectives Forme de salaire Temps de travail Indicateur de bien-être Certification des produits Norme de développement durable Forme de lʼinstitution Macro sociale Macroéconomique Macroéconomique Macroéconomique Macroéconomique Conventionelle Conventionelle Conventionelle Convention Convention Convention Convention Convention Acteur / Institution I A I A I A I A I A I A I A I A I A I A I A I A I A salarial. Cʼest à ce niveau que le jeu des acteurs est le plus suscep- tible de faire évoluer les règles non pérennisées. Cʼest donc ce niveau de règle qui peut faire lʼobjet dʼune discussion éthique entre acteurs de lʼentreprise en vue de préciser les finalités du processus productif. La visibilité de lʼaccord ainsi conclu entre partenaires relativement égaux (clients, actionnaires, managers, ONG, syndicats...) engage lʼentrepri- se. Ce tableau synthétique appelle deux commentaires : – le critère de cette hiérarchisation nʼest pas le caractère macro ou micro des institutions, mais plutôt leur pérennité plus ou moins grande. Elles vont de la quasi-transcendance dʼune institution aussi solide, vaste et englobante que le capitalisme, à la nature extrêmement mal- léable des règles de temps de travail ou les règles de la RSE ; – la hiérarchisation des différentes institutions doit donc se lire dans un double sens. Les institutions fondamentales sont plus stables et pré- gnantes que les institutions interprétatives... mais cʼest à partir des modifications progressives de ces règles et conventions que les insti- tutions évoluent (en dehors dʼune révolution dʼensemble). CONCLUSION DYNAMIQUE INSTITUTIONNELLE DE LA RSE, QUELQUES SCÉNARIOS DE MOYEN TERME Lʼobjet de cet article était de montrer que la responsabilité sociale et environnementale des entreprises sʼinscrit dans une véritable démarche éthique, macro-sociale. Elle nʼest donc pas simplement de lʼéthique dʼentreprise et, en ce sens, elle revêt un caractère nouveau dans la régulation du capitalisme. En introduisant de nouvelles parties prenantes ayant voix au chapitre dans les décisions dʼentreprise, la RSE dilue le rapport salarial qui reste lʼélément fondateur du système de production capitaliste. De ce qui sortira de cette dilution dépend RSE et éthique dʼentreprise : la nécessité des institutions 155 M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics 156 Nicolas Postel et Sandrine Rousseau lʼavenir de la RSE. Dans le moyen terme, en effet, trois scenarii diffé- rents peuvent sʼimposer : – le premier scénario est celui du paternalisme planétaire. Cʼest le plus pessimiste. Il verrait la RSE en rester au stade exploratoire et superfi- ciel actuel et cumuler recul des acquis sociaux et progression des formes dʼendoctrinement éthique. La RSE servirait ainsi dʼalibi à lʼaf- faiblissement du salariat, ce qui, si lʼon suit Marx, Keynes ou Polanyi, pourrait aboutir à un effondrement social violent ; – le second scenario est celui de lʼextension du fordisme à lʼéchelle internationale. Il verrait la structuration, à lʼintérieur des processus RSE de contre-pouvoirs internationaux sous la forme de syndicats ou dʼaccession à lʼactionnariat salarié (thèse de Michel Aglietta, 1998). On verrait alors se reproduire au niveau international ce qui sʼest construit à lʼintérieur des frontières étatiques durant le fordisme. En quelque sorte, la RSE ne serait donc que la forme transitoire accom- pagnant lʼévolution du capitalisme fordiste national vers un capitalisme fordiste international. Bien que séduisant, ce scénario souffre toutefois de lʼabsence de puissances publiques régulatrices et de la persistan- ce, si ce nʼest de lʼaugmentation des inégalités mondiales qui empê- chent une prise en compte homogène du salariat ; – le troisième scénario est celui de lʼinstitutionnalisation de la RSE. Il suppose que les pressions de la clientèle gagnent en importance via les ONG sociales. Ces dernières imposeraient alors aux entreprises des pratiques sociales homogènes et respectueuses. Les confédéra- tions syndicales fondent un certain espoir sur cette possible pression qui pourrait ensuite être relayée par les actionnaires craignant pour la valeur de leurs actions. Il apparaît assez clairement que dans le cadre de la véritable lutte dʼinfluence que se livrent les stakeholders, et en particulier les actionnaires et les salariés, le client joue un rôle dʼar- bitre. De sa sensibilité aux aspects sociaux de la production dépendra la prise en compte ou pas de ces contraintes sociales dans le plan de développement de lʼentreprise17. Ce troisième scénario peut paraître un peu naïf. Il demande sans doute à être étayé. Mais nous voudrions souligner quʼil doit être pris au moins aussi au sérieux que les deux précédents, qui, parce quʼils sʼinscrivent dans des repères historiques (le fordisme et le paternalisme) bien établis, sont plus immédiatement lisibles et ont souvent, pour cette raison, les faveurs des pronostics. A lʼheure dʼun affaiblissement profond et sans doute durable du salariat, lʼidentification du pouvoir du client, et de sa proximité de fait avec le salariat est, en effet, un levier politique essentiel. Il est difficile de croire aujourdʼhui à une union rapide dʼun salariat que la mondialisation et le progrès technique rend très hétérogène. En revanche, la reconnaissance tacite par les clients de leur statut de sala- rié (90 % de la population active française) semble atteignable. Pour lʼheure, sa sensibilité aux aspects sociaux du mode de production est faible. Mais il nʼest pas impossible que cette sensibilité croisse sous la forme dʼune diffusion conventionnelle, à partir dʼune part de lʼémergence de bonnes pratiques dans le cadre de la différenciation concurrentielle, puis sous lʼeffet dʼautre part dʼune forme de sensibilisation sociale des consommateurs par les ONG. La question de lʼéthique est toutefois ici 17. Sur l’efficacité potentielle de la pres- sion de la clientèle, voir Monroe Friedman (1999). M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics 157 RSE et éthique dʼentreprise : la nécessité des institutions particulièrement sensible : quels sont les acteurs permettant dʼétablir une discussion entre égaux pour fonder cette éthique ? Toute discussion sʼétablissant en dehors des salariés comporte en son sein le risque dʼune mise en avant de lʼenvironnement au détriment des questions salariales. Lʼenjeu porte, dans ces conditions, sur les capacités des ONG à saisir les questions environnementales depuis un prisme social permettant de requalifier les différents acteurs du rapport salarial. A lʼheure dʼun affaiblissement profond et sans doute durable du salariat, lʼidentification du pouvoir du client et de sa proximité de fait avec le salariat est essentielle. Il est difficile de croire aujourdʼhui à une union rapide dʼun salariat que la mondialisation et le progrès technique ren- dent très hétérogène. En revanche, la reconnaissance tacite par les clients de leur statut de salarié (90 % de la population active française) semble atteignable. Or, cʼest là une des conditions objectives pour que la RSE porte effectivement une possibilité de ré-articulation de lʼéthique et de lʼefficace au sein du capitalisme. Lʼantienne marxiste « prolétaires de tous les pays unissez-vous ! » pourrait ainsi être recyclée en “clients et salariés de chaque zone monétaire, unissez-vous !”. Note. Une première version de cet article a été présentée aux colloques RIODD 2 “Mon- dialisation & développement durable : le rôle des organisations“ (Sup Agro Montpellier, 27-28 septembre 2007) et LEFI “Analyse(s) et transformation(s) de la firme : confronta- tion entre économistes, gestionnaires et juristes” (Lyon, 22-23 novembre 2007). Nous remercions lʼensemble des participants à ces deux colloques. Nous remercions enfin tout particulièrement les deux rapporteurs anonymes choisis par la revue dont les remarques ont permis dʼaméliorer considérablement le texte ainsi que M. Olivier Meier dont lʼac- compagnement éditorial précis et les nombreux et judicieux conseils ont été précieux. Nicolas Postel est maître de conférences en sciences économiques à lʼUniversité des sciences et technologies (Lille 1) et chercheur au Centre lillois dʼétudes et recherches sociologiques et économiques, URM 8019 (CLERSE) où il coordonne un groupe de recherche sur lʼhistoire de la pensée économique. Ses recherches portent sur la question de lʼaction économique et de lʼinstitution envisagées sous leurs dimensions éthiques et politiques. Il questionne cet objet depuis une double perspective, dʼépisté- mologie et de dʼhistoire des idées dʼune part, et dʼobservation empirique concrète des modifications institutionnelles dʼautre part. Le mouvement de la responsabilité sociale des entreprises se trouve précisément être au confluent de ces deux perspectives et constitue ainsi la pierre angulaire de ces recherches. Sandrine Rousseau est maître de conférences en sciences économiques à lʼUniver- sité des sciences et technologies (Lille 1) et chercheuse au Centre lillois dʼétudes et recherches sociologiques et économiques, URM 8019 (CLERSE). Ses recherches por- tent sur les questions de développement durable et particulièrement sur les aspects envi- ronnementaux dʼune part et les aspects sociaux dʼautre part. Elle étudie en ce sens les processus dʼinstitutionnalisation des pratiques et questionne particulièrement leur carac- tère éthique. La responsabilité sociale et environnementale des entreprises se trouve être par conséquent un terrain dʼétude particulièrement fécond. M@n@gement, Vol. 11, No. 2, 2008, 137-160 Special Issue: Corporate Governance and Ethics 158 Nicolas Postel et Sandrine Rousseau RÉFÉRENCES � Ackerman, R. W., et R. A. Bauer 1976 Corporate Social Responsiveness, Reston, VA : Reston Publishing. � Aglietta, M. 1998 Le capitalisme de demain, Notes de la Fondation Saint Simon, n° 101, Paris. � Aglietta, M., et A. Rebérioux 2004 Dérives du capitalisme financier, Paris : Albin Michel. � Arendt, H. 1988 La condition de lʼhomme moderne, Paris : Pocket. � Arrow, K. J. 1951 Social Choice and Individual Values, New York : Wiley. � Arrow, K. 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