73Casanueva � Benoît Journé et Nathalie Raulet-Croset 2008 Le concept de situation : contribution à lʼanalyse de lʼactivité managériale dans un contexte dʼambiguïté et dʼincertitude, M@n@gement, 11: 1, 27-55. Accepted by Co-Editor Alain Desreumaux Copies of this article can be made free of charge and without securing permission, for purposes of teaching, research, or library reserve. Consent to other kinds of copying, such as that for creating new works, or for resale, must be obtained from both the journal editor(s) and the author(s). M@n@gement is a double-blind refereed journal where articles are published in their original language as soon as they have been accepted. For a free subscription to M@n@gement, and more information: http://www.management-aims.com © 2007 M@n@gement and the author(s). M@n@gement ISSN: 1286-4892 Editors: Alain Desreumaux, U. de Lille I Martin Evans, U. of Toronto Bernard Forgues, U. de Lille I Hugh Gunz, U. of Toronto Martina Menguzzato, U. de València M@n@gement est la revue officielle de lʼAIMS M@n@gement is the official journal of AIMS http://www.management-aims.com http://www.management-aims.com http://www.strategie-aims.com M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 27 Benoît Journé . Nathalie Raulet-Croset Université de NantesIEMN-IAE / CRGNA eMail: benoit.journe@univ-nantes.fr IAE de Paris et CRG Ecole Polytechnique eMail: raulet.croset.iae@univ-paris1.fr Le concept de situation : contribution à l’analyse de l’activité managériale en contextes d’ambiguïté et d’incertitude Après avoir exploré lʼutilisation du concept de situation en management dans la lignée du travail de Girin, nous montrons que ce concept permet dʼanalyser de manière perti- nente des activités managériales structurantes comme la construction du sens et la prise de décision. Le concept permet de comprendre comment sʼorganise la maîtrise de phénomènes dont lʼessence et les frontières sont mal définies, qui doivent être gérés sous contraintes de temps et de connaissances. Nous montrons que lʼenquête (dans la philosophie pragmatiste de Dewey), à travers une succession de cadrages (dans la sociologie interactionniste de Goffman), apparaît comme une composante essentielle de lʼactivité managériale. Deux études de cas illustrent le concept de situation : la pre- mière porte sur la protection dʼune nappe phréatique face à un risque de pollution et sur la construction progressive dʼune gestion de cette situation ; la deuxième porte sur la conduite dʼune salle de commande de centrale nucléaire ayant pour objectif de prévenir tout type dʼincident. Dans ces deux cas, la situation et lʼorganisation co-émergent dans une série dʼinteractions où lʼorganisation produit des situations qui en retour la modifient. Après une discussion théorique des apports du concept, nous proposons une analyse définissant des leviers de lʼaction managériale. INTRODUCTION La situation est omniprésente dans le vocabulaire quotidien des mana- gers. Ces derniers sont dʼailleurs souvent dépeints à travers leur capa- cité à “faire face à la situation”, dans tout ce quʼelle a de plus complexe et dʼinattendu. Ce constat empirique est relayé par des auteurs comme Morgan (1989: 1) pour qui « les gestionnaires et autres spécialistes qui se montrent efficaces dans leur domaine doivent apprendre lʼart de “décoder” les situations dans lesquelles ils interviennent ». Si la situation est bien une référence pour les managers, cela devrait en toute logique inciter les chercheurs en management à donner un statut théorique fort à cette notion ; cʼest-à-dire à en faire un concept pour les sciences du management —a minima pour la partie de ces sciences qui se penche sur lʼanalyse des activités managériales. Or, lʼanalyse de la littérature montre que la situation reste, sauf excep- tion, peu théorisée dans les sciences du management. Le constat fait en 1964 par Goffman sur la situation négligée peut aussi être fait aujourdʼhui dans les sciences du management1. 1. Dans son ouvrage, Morgan (1989) ne propose pas d’approfondir la réflexion sur la notion de situation : son effort théorique porte sur les métaphores de l’organisation. mailto:benoit.journe@univ-nantes.fr mailto:raulet.croset.iae@univ-paris1.fr M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 28 Benoît Journé et Nathalie Raulet-Croset Lʼobjectif de cet article est dʼexposer le potentiel théorique du concept de situation, en particulier dans lʼanalyse dʼactivités managériales aussi centrales et structurantes que la prise de décision et la création de sens (sensemaking) dans des contextes organisationnels où lʼin- détermination, lʼincertitude, lʼambiguïté et lʼimprévu dominent ; or ce sont précisément les caractéristiques qui posent le plus de problèmes aux organisations actuelles (Weick et Sutcliffe, 2001). Plus générale- ment, nous voulons montrer que la situation, prise comme concept, est susceptible de renouveler le regard que notre discipline porte sur la gestion des imprévus, les processus de structuration de lʼorganisation (organizing) et dʼélaboration de la stratégie (strategizing). La perspec- tive située portée par le concept de situation oriente lʼanalyse de lʼor- ganisation vers les pratiques des acteurs individuels et collectifs et ouvre une réflexion théorique sur les relations que lʼorganisation entre- tient avec les situations. Tels sont les points que cet article propose dʼapprofondir. Les principaux travaux en gestion qui en France utilisent et approfon- dissent ce concept du point de vue du management sont ceux de Girin (1990a). Ils constituent le point de départ de notre analyse. Nous pro- posons de les discuter dʼune part en remontant aux origines de la notion de situation, à travers la philosophie pragmatiste de Dewey et la sociologie interactionniste de Goffman et, dʼautre part en rendant compte des principaux courants théoriques actuels des sciences du management qui mobilisent la notion de situation. Les propositions théoriques de cet article sont directement enracinées dans lʼanalyse de deux cas très contrastés, issus de deux recherches de terrain qui sont présentées dans la deuxième partie de lʼarticle. Le premier cas montre comment une situation très peu structurée au départ produit de lʼorganisation à travers le processus dʼenquête lié à la protection dʼune nappe phréatique. Le deuxième cas montre com- ment une organisation aussi structurée quʼune centrale nucléaire, qui tend vers une totale prévisibilité technique et managériale des situa- tions, produit pourtant des situations problématiques qui échappent en partie au contrôle organisationnel, et qui engagent les acteurs dans une enquête qui sécrète transitoirement une nouvelle organisation. Lʼanalyse des deux cas montre ainsi que lʼorganisation et les situations entretiennent des relations complexes, à la fois problématiques et fécondes. Les deux co-émergent dans une série dʼinteractions où lʼor- ganisation produit des situations qui en retour modifient lʼorganisation. Il ressort également que situation et organisation sont reliées prati- quement et conceptuellement par un processus spécifique : lʼenquête sur le sens de ce qui se passe ici et maintenant. Lʼenquête apparait alors comme une composante essentielle de lʼactivité managériale. Dans un troisième temps, une discussion permet de comparer le concept de situation avec dʼautres concepts très largement mobilisés dans la littérature managériale, et plus particulièrement ceux de dia- gnostic, de problème (ou issue), de projet et de système. En effet, de nombreuses recherches ont exploré le rôle du manager dans lʼorgani- sation à travers la question de la prise de décision, et notamment de la formulation du problème (Smith, 1989) et du diagnostic préalable à M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 29 Le concept de situation une décision (Dutton et Jackson, 1987). Toutefois, cette conceptuali- sation de la prise de décision, même si elle peut apparaître comme un objectif théorique idéal, reste souvent éloignée de la réalité de lʼactivi- té managériale (Smith, 1989 ; Langley, Mintzberg, Pitcher, Posada et Saint-Macary, 1995). Lʼutilisation du concept de situation permet selon nous de caractériser au plus près lʼactivité managériale, dans une perspective proche de celle de Weick (1995), où lʼon montre que la pensée managériale se construit dans lʼaction. De même, les notions de système et de structure projet, si elles peuvent être mobilisées pour comprendre certaines formes dʼaction collective, sont construites indé- pendamment des processus de sensemaking et ne permettent pas toujours dʼaccéder à une compréhension fine de lʼactivité managéria- le. Enfin, nous proposons dʼouvrir une réflexion sur les leviers dʼaction managériale que la logique de situation met à jour, relativement au découpage temporel et spatial de lʼorganisation. ORIGINES ET UTILISATIONS ACTUELLES DU CONCEPT DE SITUATION DANS LES SCIENCES DU MANAGEMENT Le travail théorique mené ici sʼenracine dans plusieurs travaux de recherche, qui mobilisent, de façon plus ou moins centrale le concept de situation. Notre point de départ est la “situation de gestion” telle que définie par Girin (1990a). Nous remontons ensuite aux sources du concept à travers la philosophie pragmatiste et la sociologie interac- tionniste. Ce premier détour théorique permet dʼisoler trois attributs de la situation (lʼactivité, lʼémergence, les points de vue subjectifs) qui nous servent ensuite de grille de lecture pour présenter les principaux courants du management qui mobilisent la notion de situation. LA SITUATION DE GESTION Les travaux de Girin sont parmi les rares qui, en gestion, théorisent le concept de situation et en proposent une définition destinée à son uti- lisation dans le champ du management. Ils sont directement à la sour- ce de notre réflexion. Les travaux de Girin sur la situation sʼenracinent dans un questionnement portant sur la communication et le langage dans les organisations (Girin, 1990b). Pour lui, la situation est définie par trois éléments : « des participants, une extension spatiale (le lieu ou les lieux où elle se déroule, les objets physiques qui sʼy trouvent), une extension temporelle (un début, une fin, un déroulement, éven- tuellement une périodicité). » (Girin, 1990b : 59) Resserrant sa réflexion sur lʼorganisation, Girin (1990a :142) propose la notion de situation de gestion, qui se présente lorsque « des participants sont réunis et doivent accomplir, dans un temps déterminé, une action col- lective conduisant à un résultat soumis à un jugement externe ». Ainsi définie, la situation de gestion reprend les trois composantes de la définition générale de la situation (des participants, une extension spa- tiale et une extension temporelle) en leur associant les contraintes M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 30 Benoît Journé et Nathalie Raulet-Croset propres aux démarches gestionnaires : le temps est déterminé, les participants sont engagés dans une action collective quʼils nʼont pas nécessairement choisie et sont pour cela réunis (en des lieux spéci- fiques) à lʼinitiative dʼun projet gestionnaire. Lʼun des apports essen- tiels de Girin est ici de rapprocher le concept de situation de la ques- tion de la performance, et donc de le positionner dans le champ des questionnements managériaux. En effet, la situation de gestion nʼa de sens que par rapport à un résultat qui est soumis à un jugement exter- ne. Cela ouvre tout un champ dʼinvestigation sur la manière de définir le résultat et les modalités de jugement de la performance en prenant les situations comme référentiel dʼévaluation et non —comme cela se fait traditionnellement— lʼorganisation, le système ou le processus. Par ailleurs le fait que le temps soit déterminé révèle le caractère contraignant de la situation avec laquelle les acteurs doivent compo- ser. Girin (1990a :144) estime même que sous certains aspects, la situation « sʼimpose de lʼextérieur » et cela notamment dans le cadre dʼorganisations fortement structurées. Girin propose ainsi de délimiter un ensemble dʼéléments, créant une unité qui va être à la base de son analyse de lʼactivité de management. Avant de discuter plus avant de la situation de gestion, nous propo- sons dʼeffectuer un retour sur les origines théoriques de la notion de situation. AUX ORIGINES DU CONCEPT Si la notion de situation est présente dans de nombreuses disciplines des sciences humaines comme la linguistique, lʼergonomie ou lʼethno- méthodologie, cʼest du côté de la philosophie pragmatiste et de la sociologie interactionniste que nous nous tournons2. En effet, le croi- sement de ces deux disciplines permet dʼassocier au concept des caractéristiques essentielles dont on trouve des traces dans certains courants du management. La philosophie pragmatiste propose de relier la connaissance et lʼex- périence. La connaissance nʼexisterait pas indépendamment des réa- lités du monde, elle se construirait dans lʼexpérience, et viserait à étendre les capacités dʼaction du sujet; elle ne pourrait donc se res- treindre à un exercice de pure spéculation intellectuelle. Les pragma- tistes Peirce (1995) puis Dewey (1938), considèrent que la connais- sance se construit dans lʼaction, à travers un processus dʼenquête. Lʼenquête est rendue nécessaire par le caractère indéterminé de la situation, cʼest-à-dire par le fait que les éléments constitutifs de la situation ne tiennent pas ensemble. Lʼenquête est le processus qui permet de passer de cette indétermination initiale à une structuration suffisante pour faire émerger une unité cohérente et porteuse de sens. La situation se définit ainsi progressivement à travers le jeu de connexions entre objets, événements et individus, formant un tout contextuel (Dewey, 1993), et elle évolue au gré des actions de cha- cun : « Ce que désigne le mot “situation” nʼest pas un objet ou un évé- nement isolé ni un ensemble isolé dʼobjets ou dʼévénements. Car nous nʼexpériençons ni ne formons jamais de jugements à propos dʼobjets 2. Voir Ogien (1999) et Garetta (1999) pour une présentation détaillée des travaux de Dewey, Mead et Goffman sur la situa- tion, dans le domaine des sciences sociales et de la philosophie. M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 31 Le concept de situation et dʼévénements isolés, mais seulement en connexion avec un tout contextuel. Ce dernier est ce quʼon appelle une “situation”. […] Dans lʼexpérience réelle, il nʼexiste pas de ces objets ou événements singu- liers et isolés ; un objet ou un événement est toujours une portion, une phase ou un aspect particulier dʼun monde environnant expériencé — dʼune situation. » (Dewey, 1993 : 128-129). Dans la perspective pragmatiste, la situation est donc de nature émer- gente : elle est le produit de lʼenquête, en même temps quʼelle abrite le processus dʼenquête. Ce premier courant théorique permet de considérer que le processus de création de connaissances sur une situation vécue en temps réel se structure selon une logique dʼenquê- te ; et que cette enquête renvoie à une intrigue potentiellement por- teuse dʼinstabilités pour le corpus de connaissances mobilisé et déve- loppé par lʼacteur : toute nouvelle connaissance est susceptible de remettre en cause les interprétations précédentes. Tout comme les pragmatistes, la sociologie interactionniste aussi sʼin- téresse à la construction du sens en relation avec la pratique. La notion de situation y occupe une place centrale depuis les travaux de Goffman3 qui soulignait en 1964 à quel point la notion de situation était négligée (Goffman, 1988/1964). Dans cette perspective, la situation se construit dans lʼinteraction qui se noue entre différents acteurs. Goff- man (1987 : 91) propose la définition suivante : « Par situation, jʼen- tends toute zone matérielle en nʼimporte quel point de laquelle deux personnes ou plus se trouvent mutuellement à portée de regard et dʼoreille ». La situation est dʼemblée collective et met en jeu la com- munication (Goffman, 1987). La situation pousse les acteurs à se demander ce qui se passe ici et maintenant et à mobiliser des cadres dʼinterprétation (Goffman, 1991). La situation est porteuse dʼindices que les individus relèvent —ou non— pour élaborer le cadre à partir duquel ils pourront interpréter le sens de ce qui se dit et de ce qui se passe puis ajuster leurs actes en conséquence. Ce courant théorique permet dʼéclairer une partie des interactions entre les connaissances détenues a priori sur une situation, grâce à la mobilisation de cadres préexistants, et lʼirruption de connaissances nouvelles produites par les interactions entre acteurs, susceptible de produire de nouveaux cadres dʼinterprétation. Par ailleurs, pour Goffman la situation nʼa de sens que par rapport aux points de vue —toujours subjectifs— des acteurs. « Ma perspective est situationnelle, ce qui signifie que je mʼintéresse à ce dont un indi- vidu est conscient à un moment donné, que ce moment mobilise dʼautres individus, et quʼil ne se limite pas nécessairement à lʼarène co-pilotée de la rencontre de face-à-face. » (Goffman, 1991 : 16). Cette définition souligne le caractère subjectif de la situation. Pour lʼanalyse de lʼactivité de management, nous nous inscrivons égale- ment dans cette perspective car nous nous centrons sur le point de vue du manager (ou de celui qui va devoir maîtriser une situation). Ce responsable construit une situation et sʼappuie sur la situation quʼil définit pour guider son action. La perspective proposée par Goffman suppose lʼexistence de conflits dʼinterprétation et de cadrage entre acteurs : autour dʼun même problème, plusieurs points de vue diffé- 3. Goffman n’est pas le seul à avoir tra- vaillé cette notion, les interactionnistes symboliques, en particulier Blumer ont lar- gement creusé ce concept, comme le sou- ligne Koenig (2003 : 17) : « La notion de situation et surtout la question de la défini- tion des situations sont au cœur de l’ap- proche interactionniste ». M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 32 Benoît Journé et Nathalie Raulet-Croset rents se confrontent qui vont être à la source de situations de nature différente. Cʼest ce qui fait lʼintérêt de la sociologie interactionniste du point de vue du management. La pluralité des interprétations suppose des modalités dʼarticulation qui impliquent le plus souvent les acteurs concernés, leurs managers, mais aussi les outils de gestion, les règles et lʼorganisation en général. Les approches pragmatiste et interactionniste convergent donc sur le caractère émergent de la situation, qui est produite par un processus de construction du sens qui met en jeu la confrontation des interpréta- tions subjectives des différents acteurs qui sʼy trouvent activement engagés. Il en découle une conséquence soulignée par Koenig (2003 : 17) : « Ce ne sont pas tant les situations de routine qui intéressent les interactionnistes que les situations nouvelles et problématiques. Dans le même ordre dʼidée, ce ne sont pas les définitions stabilisées et consensuelles qui retiennent leur attention, mais les différences de définition et les possibilités ouvertes aux acteurs de reconstruire et dʼinfluencer les définitions des autres ». Trois attributs de la notion de situation ressortent spécifiquement de ce retour aux sources du concept : la situation est inscrite dans lʼactivité du manager, elle est continuellement en émergence, et elle renvoie à un point de vue subjectif. Certains de ces points ont été spécifique- ment étudiés par des courants théoriques qui prennent lʼactivité mana- gériale pour objet de recherche et qui mobilisent de façon plus ou moins explicite la notion de situation, cela en particulier dans des contextes où lʼimprévu et lʼindétermination dominent. Nous les pré- sentons dans le point suivant. LA SITUATION DANS LE CHAMP DU MANAGEMENT Il ne sʼagit pas ici de prétendre couvrir toutes les activités managé- riales, dans la suite des travaux pionniers de Mintzberg (1980) ; il sʼagit plutôt de centrer le propos sur les approches cognitives qui mettent lʼaccent sur les processus de décision et de construction du sens. Approches fondées sur lʼactivité en situation Certains courants théoriques font explicitement référence à la notion de situation, en particulier les théories de lʼaction située (Suchman, 1987), de la cognition distribuée (Hutchins, 1995) et plus récemment de la cognition située (Elsbach, Barr et Hargadon, 2005). Tous les trois proposent de considérer la situation comme unité dʼanalyse de lʼactivi- té en situation de travail. Suchman prend le contrepied de la théorie de Simon, qui envisage la prise de décision comme un phénomène dʼes- sence purement cognitive, qui ne fait pas de place à lʼaction ni à la situation dans laquelle le décideur est plongé. La théorie de lʼaction située propose de prendre en compte, au-delà des relations entre acteurs, le rôle structurant du contexte notamment matériel à travers le rôle des objets dans la dynamique des organisations. Lʼindividu pro- gresse dans la réflexion et dans la connaissance en prenant directe- ment appui sur les ressources que la situation met à sa disposition. Autrement dit, la réflexion progresse au travers de lʼaction, par mobili- M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 33 Le concept de situation sation de ressources qui prennent la forme de discussion avec des collègues (Heath et Luff, 1994 ; Hutchins, 1994 ; Theureau et Filippi, 1994), dʼactivation de dispositifs techniques ou de textes (procédure, documentation…). Dans cette perspective, lʼusage du terme “situation” renvoie au contexte très proche dans lequel lʼactivité est ancrée. La théorie de lʼaction située relativise la portée des plans dʼaction : ils sont pris en défaut par la nature évolutive et imprévisible de la situation. Le plan nʼest plus alors quʼune ressource parmi dʼautres ; le succès de lʼaction dépend de la capacité de lʼindividu à ajuster son comportement aux paramètres actualisés de la situation (Suchman, 1993). Les théo- ries de lʼaction située, de la cognition distribuée et de la cognition située entretiennent des relations étroites avec des courants de recherche portant sur les communautés de pratique (Lave et Wenger, 1990), ou les apprentissages ancrés dans la situation (Brown et Duguid, 1991 ; Cook et Brown, 1999). Dʼautres travaux, sans directement mobiliser la notion de situation, en sont très proches car ils sʼinscrivent dans la volonté dʼune analyse beaucoup plus micro des activités. En stratégie, le concept de strate- gizing (Whittington, 1996) veut ainsi offrir une vision de lʼémergence des stratégies à partir des pratiques quotidiennes des managers de tous niveaux dans lʼorganisation. De telles recherches offrent un regard où lʼanalyse de lʼorganisation et de ses dynamiques (lʼorgani- zing, au sens de Weick), et lʼétude des construits stratégiques se croi- sent et se nourrissent réciproquement. Ce changement de niveau dʼanalyse suggère lʼutilisation dʼautres unités de compréhension du travail managérial, comme lʼactivité (Blackler, Crump et McDonald, 2000 ; Engeström, 2005 ; Lorino et Peyrolle, 2005 ; Lorino et Teulier, 2005) ou les pratiques (Jarzabkowski, 2005 ; Rouleau, 2005) qui sont toujours situées. Une tendance similiaire se développe dans lʼanalyse de la prise de décision, à travers le courant de la naturalistic decision making4 (Lipshitz, Klein, Orasanu et Eduardo, 2001)qui sʼinscrit dʼem- blée dans une approche située des processus de prise décision, de sensemaking et dʼapprentissage et sʼintéresse à des prises de déci- sions à risque, souvent réalisées dans lʼurgence (cas de militaires, de pompiers), en se plaçant du point de vue de lʼindividu ou du petit grou- pe. Les théories qui analysent le caractère émergent de la situation Les travaux de Weick qui puisent aux sources de lʼinteractionnisme et du pragmatisme mettent également lʼaccent sur lʼémergence des situations (Koenig, 2003)5, en particulier à travers les notions de sen- semaking et dʼorganizing (Weick, 1995 ; Weick, Sutcliffe et Obstfeld, 2005). Weick, sʼil ne cherche pas à réellement définir la notion de situation, lʼutilise pour construire sa théorie du sensemaking : pour lui, la construction du sens est dʼautant plus importante que lʼon est face à une situation ambiguë et équivoque, une situation nouvelle et pro- blématique (Weick et al., 2005). Weick estime que les acteurs ne créent pas le sens des situations comme on interpréterait un texte déjà écrit, en sʼappuyant sur un contexte lui-même donné. Les acteurs seraient plutôt engagés dans lʼécriture du texte en même temps quʼils 4. Ce courant récent a fait l’objet d’un numéro spécial de la revue Organization Studies en 2006 (Vol 27, n°7). 5. Discutant les travaux de Weick, Koenig (2003 : 17), relie ce dernier à l’approche interactionniste, et par conséquent à la notion de situation : « Même s’il n’est pas mentionné comme central par Weick, le concept de situation est au centre de ses recherches empiriques les plus récentes (1990, 1993) ». M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 34 Benoît Journé et Nathalie Raulet-Croset en créent le sens. Ce point fait écho au concept dʼenactment (Weick, 1979) qui caractérise la capacité des acteurs à décréter (selon la tra- duction proposée par Laroche [1996]) leur environnement. Lʼorganisa- tion apparait alors comme le résultat émergent du processus organi- sant (lʼorganizing). Dans cette perspective les situations et lʼorganisa- tion se co-construisent mutuellement. Dans un contexte différent, Schön (1994) prolonge lʼanalyse des prag- matistes quand il montre que les praticiens (ingénieurs ou managers de projet) développent une véritable discussion avec la situation lors- quʼils pilotent un processus dʼinnovation. Le praticien crée du sens en interrogeant la situation par une série dʼactions qui reçoivent une réponse en retour (la situation change en fonction des actions entre- prises). Finalement, la solution émerge progressivement de cette com- binaison dʼaction et de réflexion. Cette analyse a connu des prolonge- ments à travers la notion de “situation de conception” (Midler, 1996). Le concept de situation existe donc en management. Nous allons montrer dans la partie suivante en quoi lʼactivité managériale renvoie à une logique de situation et comment les situations entrent en réso- nance avec lʼorganisation. Nous présentons ci-après les deux cas qui sont au fondement de notre questionnement. La situation est mobili- sée dans chacun des cas pour révéler différentes facettes de lʼactivité managériale, et notamment lʼenquête et la progression dans lʼarticula- tion des connaissances liées à la situation. DEUX CAS CONTRASTÉS DONNÉES ET MÉTHODOLOGIE : RÉSULTATS DE PREMIER NIVEAU6 Deux études de cas, issues chacune dʼun travail de terrain de longue durée (2 à 3 ans) réalisé dans le cadre de thèses, sont au fondement de lʼanalyse du concept de situation réalisée dans ce papier. Pour cha- cun des cas, les auteurs ont eu une position dʼobservateur in situ, ren- dant compte de leurs observations et analyses à certaines des parties prenantes. Lʼun porte sur la protection dʼune nappe phréatique face à un risque de pollution (Raulet-Croset, 1995); lʼautre sur la conduite dʼune salle de commande de centrale nucléaire ayant pour objectif de prévenir tout type dʼincident (Journé, 1999). Dans les deux cas, le concept de situation sʼimpose ; cʼest lui qui permet de comprendre un problème central de gestion : comment sʼorganise la maîtrise de phé- nomènes dont lʼessence et les frontières sont mal définies (quelle est la nature du problème ? quels sont les acteurs concernés ?), et qui doi- vent être gérés sous contraintes spécifiques de temps (urgence et réactivité) et de connaissance (rationalité limitée, découverte progres- sive du phénomène à lʼoccasion du processus dʼenquête) ? Le premier cas (Encadré 1) montre comment le processus dʼenquê- te qui se déploie sur une situation initialement indeterminée dans laquelle les « éléments ne tiennent pas ensemble » (pour reprendre lʼexpression de Dewey, 1993 : 169) produit une forme dʼorganisation qui fédère des acteurs autour dʼun sens partagé. Dans ce sens, la 6. Le terme premier niveau fait référence aux écrits méthodologiques de van Maa- nen (1979) qui parle de first order findings et de second order findings. Les premiers renvoient à des éléments de terrain de nature descriptive ; les seconds renvoient aux construits conceptuels issus des élé- ments de terrains. M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 35 Le concept de situation Encadré 1. La protection de la nappe phréatique : négociation et construction commune du sens dʼune situation Lʼaugmentation du taux de nitrate dans une nappe phréatique exploitée par une entreprise dʼeau minérale, est un événement qui touche une série dʼacteurs, quʼils en soient à lʼorigine (les agriculteurs) ou au contraire victime (la société dʼeau minérale). Cette dernière risque de perdre lʼappellation eau minérale mais malgré lʼimportance de lʼenjeu, elle ne peut imposer une solution unilatérale aux agriculteurs car la concentra- tion en nitrate nʼest pas suffisante pour menacer la potabilité de lʼeau, qui seule autoris- erait lʼexercice dʼune contrainte juridique. La confrontation de définitions de la situation Au départ, une situation problématique (Dewey, 1938 ; Majone, 1980) apparaît. Lʼam- biguïté et lʼincertitude liées à cette situation rendent impossible que le problème et son diagnostic sʼimposent de manière immédiate et partagée. Cʼest à travers la construction de la situation, du point de vue notamment dʼun acteur clé, lʼentreprise dʼeau minérale, que va se produire une spécification progressive de cette situation. De nombreux acteurs locaux sont concernés par cette situation ou convoqués par dʼautres acteurs : acteurs politiques locaux comme les communes du territoire concerné, acteurs scien- tifiques du monde de lʼeau comme le Bureau de Recherche Géologique et Minière, acteurs du monde agricole (syndicats, chambre dʼagriculture…). Tous les acteurs expri- ment des définitions de la situation différentes et parfois incompatibles, chacune appelant des actions de nature différente. Au départ, le diagnostic de lʼentreprise dʼeau minérale sʼoppose à celui des agriculteurs : pour la société dʼeau minérale, il sʼagit dʼune pollution de la nappe phréatique orientant la résolution du problème vers des solutions dʼordre sanitaire et juridique ; alors que pour les agriculteurs il nʼy a pas de réel problème mais ils sont prêts à envisager, pour cer- tains dʼentre eux, des transactions financières (vente des terrains concernés). La dualité et la simplicité de ces premières définitions débouchent sur des conflits qui bloquent la résolution du problème et poussent au statu quo. Néanmoins lʼimportance de lʼenjeu et la pression temporelle incitent lʼentreprise dʼeau minérale à chercher une solution. Lʼémergence dʼun acteur central qui poursuit le processus dʼenquête Parmi les différents acteurs, celui qui apparaît prendre en charge la situation est donc lʼentreprise dʼeau minérale : elle est en effet directement menacée. Au-delà dʼune pre- mière détection et formulation du problème, elle construit une situation à travers un pro- cessus dʼenquête qui mêle analyse et actions. Elle complexifie les définitions de la sit- uation via lʼintroduction de nouveaux acteurs (lʼInstitut National de la Recherche Agronomique [INRA] et la Chambre dʼAgriculture) qui sʼintéressent à lʼévolution des pra- tiques agricoles dans lʼobjectif de concilier la rentabilité des exploitations et le respect de lʼenvironnement. Lʼentreprise signe ainsi avec une unité de lʼINRA un contrat de recherche de trois ans, portant sur la recherche de nouvelles pratiques agricoles com- patibles avec la protection de la nappe (pour une synthèse, voir Deffontaines, Benoît, Brossier, Chia, Gras et Roux [1993] et Deffontaines et Brossier [2000]). Les acteurs concernés ne sont plus les mêmes, les connaissances sur la situation progressent également, et lʼon aboutit à un nouveau cadrage de la situation. Le terme pollution en est banni, et lʼon sʼoriente vers une définition de la situation analysée comme un prob- lème de protection de la nappe phréatique. Avec ce nouveau cadrage, cʼest une réflex- ion sur lʼévolution des pratiques agricoles, moyennant des compensations financières, qui est engagée. Le cas fait apparaître la construction progressive de la situation pour lʼentreprise dʼeau minérale, qui prend implicitement la responsabilité de la situation. Le processus dʼen- quête quʼelle conduit, guidé par un souci de performance, veut aboutir à une définition du problème qui en permette certes sa résolution, mais qui vise également lʼémergence dʼun sens commun, capable dʼarticuler les différentes approches, sans imposer une représentation unique de la situation. En effet, personne ne formule le problème exacte- ment de la même manière mais personne ne rejette non plus la formulation des autres qui se trouve inscrite dans la formule commune portée par lʼentreprise dʼeau minérale. Source : Raulet-Croset (1995 ; 1998) M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 36 Benoît Journé et Nathalie Raulet-Croset situation fait émerger une organisation. Le cas suivant (Encadré 2) est le symétrique du premier : il montre une relation inverse entre la situation et lʼorganisation. Lʼorganisation crée des situations, aussi standardisées et prévisibles que possible, pour en conserver le contrô- le. Mais la logique de situation échappe au projet contrôleur de lʼorga- nisation. Lʼimprévu et lʼambiguïté surviennent et suscitent une enquê- Encadré 2. La salle de commande : les hommes de la situation Une salle de commande dans une centrale nucléaire est lʼorgane de pilotage dʼune tranche nucléaire qui comprend un réacteur et lʼensemble des organes nécessaires à la production dʼélectricité (groupe turbo-alternateur…). Des opérateurs sʼy relaient 24 heures sur 24 pour assurer la continuité de lʼexploitation. Ils assurent les tâches de surveillance et de pilotage des processus de production dʼélectricité comme, par exem- ple, la commande de variation de puissance du réacteur, des ouvertures et fermetures de vannes sur des circuits dʼeau, etc. Les opérateurs doivent sʼassurer en permanence du niveau de sûreté des installations. Une part très importante de leur activité consiste à établir un diagnostic de la situation. Pour les aider dans cette tâche, lʼindustrie nucléaire reconnaît deux catégories-types de situations : — les situations normales, dans lesquelles lʼexploitation de la centrale est parfaitement conforme aux hypothèses de conception et où tout se passe conformément aux attentes des opérateurs ; — les situations incidentelles ou accidentelles qui, comme leur nom lʼindique, corre- spondent à des situations dégradées du point de vue de la sûreté. Ces situations ont été identifiées aussi systématiquement que possible, et sont couvertes par des procé- dures spécifiques qui guident les opérateurs dans leurs actions de récupération. Mais ces deux catégories ne couvrent pas tous les cas de figures possibles. Il existe une troisième catégorie qui regroupe les situations que nous avons qualifiées de nor- malement perturbées : il sʼagit de situations associées à des événements imprévus qui ne sont pas couvertes par des procédures spécifiques et qui, sans être incidentelles, sont suffisamment perturbantes aux yeux des opérateurs pour appeler de leur part un travail de définition et dʼinterprétation de la situation. Une situation normalement per- turbée se présente par exemple lorsque quʼun matériel tombe inopinément en panne (comme un ventilateur chargé de diluer les particules radioactives dans lʼair, par exem- ple) ou que les actions de conduite ne produisent pas lʼeffet escompté. On constate que dans un tel cas lʼéquipe cherche simultanément à comprendre ce qui sʼest passé, éval- ue le niveau de sûreté de la situation et envisage les actions à entreprendre pour retrou- ver une situation normale. Il est intéressant de constater que les trois types de situations ne sont pas gérés de la même manière. Dans les deux premiers cas extrêmes, cʼest-à-dire les situations nor- males et les situations incidentelles/accidentelles, le cadrage de la situation est préétabli : il est essentiellement porté par les dispositifs techniques (alarmes, déclenchement dʼautomatismes de sûreté…) et par les procédures (règles générales dʼexploitation, procédures incidentelles…). A lʼinverse, dans les situations intermédi- aires, cʼest-à-dire normalement perturbées, les opérateurs doivent construire collec- tivement le sens de la situation, afin dʼen conserver le contrôle. Ils organisent un véri- table processus dʼenquête par mobilisation et confrontation de ressources cognitives diverses. Les dispositifs techniques et les procédures nʼapparaissent plus alors que comme de simples ressources parmi dʼautres, le facteur humain jouant ici le rôle de ressource pivot. Les membres de lʼéquipe apparaissent comme les hommes de la situ- ation, non seulement parce quʼils apportent une réponse assurant le contrôle de la sit- uation mais encore parce quʼils ont participé au processus même de construction de la situation qui doit rester sous contrôle. Dans un tel cadre, la manière dont la respons- abilité se distribue au sein de lʼorganisation est essentielle à la progression de lʼaction : lʼacteur pivot était aussi celui qui portait la responsabilité de la sûreté. Source : Journé (1999) M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 37 Le concept de situation te sur le sens de ce qui est en train de se produire. Lʼenquête sʼappa- rente à un processus dʼorganizing : les acteurs reconstruisent locale- ment lʼorganisation en mobilisant des ressources dʼune manière non prescrite et non prévue par lʼorganisation de départ. La situation modi- fie donc lʼorganisation de départ, par le truchement de lʼenquête. CARACTÉRISTIQUES DE LʼACTIVITÉ MANAGÉRIALE À TRAVERS LE PRISME DE LA SITUATION : RÉSULTATS DE SECOND NIVEAU Lʼanalyse et la mise en regard des deux cas permet de faire des pre- mières constatations quant à lʼutilisation du concept de situation. En premier lieu, cʼest le rôle fondamental dʼun acteur pivot (le manager) et de la responsabilité quʼil porte qui est analysé. En second lieu, nous approfondissons les caractéristiques du processus dʼenquête, et en particulier la succession des différents cadrages de la situation. Enfin, nous nous intéressons à la différence de structuration préalable dans les deux cas et à la façon dont le poids des éléments organisationnels et institutionnels peut jouer sur la situation. Un acteur-pivot qui construit la situation Notre acception de la situation nous conduit à mettre en avant un point de vue subjectif : la situation est analysée du point de vue de lʼacteur en charge de la maîtrise de cette situation. Mais au-delà de cette construction du sens propre à lʼacteur, nous voulons souligner ici le fait que le processus dʼenquête sʼengagera si cet acteur exerce une res- ponsabilité (partielle ou totale) au regard de la situation. Le terme dʼac- teur-pivot que nous proposons ici veut insister sur cette double dimen- sion : une dimension à la fois de construction du sens et dʼexercice dʼune responsabilité au regard de la situation. Lʼexistence dʼune telle responsabilité est dʼailleurs présente dans la définition initiale des situations de gestion de Girin (1990a), à travers la composante “ins- tance de jugement”. Si cette instance de jugement peut apparaître comme surplombant dʼune certaine manière la situation de gestion dans la définition de Girin, sa traduction au niveau du manager renvoie à lʼexistence ou au partage dʼune responsabilité au regard de la situa- tion. Les deux cas soulignent cette importance de lʼintensité de lʼenjeu (risque ou opportunité perçue) qui conduit à désigner un acteur comme central, du fait de lʼexercice dʼune responsabilité au regard de la situation, que cette responsabilité soit instituée par lʼorganisation (cas de la salle de commande), ou revendiquée par un des acteurs (cas de lʼentreprise dʼeau minérale). Il est toutefois possible, comme dans le cas de lʼentreprise dʼeau minérale, que la responsabilité de la situation soit revendiquée à un moment donné par plusieurs acteurs, notamment quand il nʼexiste pas un responsable clairement identifié pour la situation. Dans le cas de conflits entre acteurs, il peut se pro- duire un blocage, et le processus dʼenquête pourra rarement être mené. On en restera à une phase de définition contradictoire de la situation. Nous estimons que cʼest au moment où une responsabilité est déclarée ou revendiquée que se produit une prise en main de la M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 38 Benoît Journé et Nathalie Raulet-Croset situation et que le processus dʼenquête peut sʼengager. Le processus dʼenquête associe ainsi selon nous une construction du sens (sense- making) mais également lʼexistence dʼune responsabilité qui permet que lʼenquête soit ancrée dans la situation (à travers des actions, la convocation dʼacteurs dans cette situation…). De fait, dans le cas de la pollution de la nappe phréatique, différents acteurs auraient pu à lʼorigine se saisir du problème. Lʼenquête a été initiée par lʼentreprise dʼeau minérale, suite aux mesures alarmantes concernant la qualité de lʼeau de la nappe. Toutefois, les représentants de lʼEtat, qui gèrent lʼeau et les aspects sanitaires, contactés à un moment donné, auraient pu prendre en charge le problème et mener le processus dʼenquête. On se trouve au départ face à des définitions contradictoires du problème (ou de la situation problématique). Mais la nature spécifique de lʼenjeu auquel lʼentreprise dʼeau minérale devait faire face lʼa naturellement conduit à prendre implicitement en charge la responsabilité de la situation, et à la faire évoluer en engageant un processus dʼenquête, mêlant action et réflexion. Il sʼest progressive- ment révélé que lʼenjeu était également important au regard du terri- toire local, du fait des emplois liés à la présence de lʼentreprise sur le secteur, et en particulier pour la survie de tout le complexe thermal. Cela lʼa conduit à conjuguer différentes dimensions dans la situation. Cela a dʼailleurs rejailli sur lʼidentité de lʼentreprise elle-même, et sur son inscription locale : elle a cherché à agir en mettant en avant sa bonne volonté dans la négociation avec les agriculteurs, et a accentué son image liée à la protection de lʼenvironnement (pratiques propres de désherbage sur le parc thermal, etc). Dans le cas de la salle de commande, la prise en charge du proces- sus dʼenquête consécutif à un événement imprévu, comme par exemple la panne dʼun ventilateur, est le fait de la personne potentiel- lement tenue pour responsable de la sûreté de la situation, c'est-à-dire le chef dʼexploitation. Cʼest lui qui mobilise les ressources susceptibles de lʼaider à construire le sens de la situation dans laquelle il est enga- gé. Cette capacité de mobilisation des ressources lui est donnée non seulement par sa position hiérarchique au sein de lʼorganisation mais aussi par sa capacité à exercer une vigilance à lʼégard des compo- santes de la situation. La responsabilité apparaît ici comme le ressort managérial et organisationnel du sensemaking, qui ne se résume donc pas à une activité à dimensions purement cognitives et psycho-socio- logiques. On peut voir, à partir des cas, comment lʼacteur en charge de la situation sʼappuie sur les ressources de la situation, mais aussi com- ment ces ressources rejaillissent sur son identité. Le processus dʼenquête Les cas éclairent en second lieu la manière dont le processus dʼen- quête se déploie : la réflexion sur la situation progresse par capillarité, selon une logique de réseau. Le recours au concept de situation conduit à considérer la pensée managériale dans lʼaction. La construc- tion nʼest pas linéaire. De nouveaux acteurs interviennent, qui propo- sent souvent dʼautres analyses, apportent des connaissances de natures différentes. Ils nourrissent le processus dʼenquête. La structu- M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 39 Le concept de situation ration des connaissances qui accompagne ce processus reste très instable. Nous utiliserons pour repérer différentes phases dans le pro- cessus dʼenquête la notion de cadre primaire telle quʼelle est proposée par Goffman (1991). Ces cadres permettent, « dans une situation don- née, dʼaccorder du sens à tel ou tel de ses aspects, lequel autrement, serait dépourvu de signification » (Goffman, 1991 : 30). Le cadre est dit primaire car il nʼest pas rapporté à une interprétation préalable ou originaire, mais est construit au regard de la situation, au travers dʼin- dices repérés par lʼacteur-pivot. Dans les cas analysés, ces cadres sont construits par les acteurs (dʼoù le terme parfois utilisé de cadra- ge, qui renvoie à cette idée de construction par lʼacteur). Les cadres peuvent changer brutalement, à la faveur dʼun nouvel événement ou de lʼintervention dʼun nouvel acteur ou encore dʼune réinterprétation de la situation suite à la prise en compte dʼautres indices. Mais ils peuvent également sʼenrichir progressivement. Le processus peut être conver- gent, mais ne lʼest pas nécessairement comme nous le montrons à partir des cas. Exemple à partir du cas de lʼentreprise dʼeau minérale Dans le cas de lʼentreprise dʼeau minérale, la situation est initialement peu structurée : il nʼexiste pas dʼhistoire construite en commun entre les différents acteurs, hors leur participation à leur histoire locale (les différents acteurs habitent à proximité les uns des autres, se rencon- trent parfois dans des instances de politique locale, des réunions, des fêtes de famille…). Mais ils nʼont pas été amenés pour lʼinstant à construire une gestion intégrée autour dʼun problème qui leur serait commun. Lorsque lʼévénement “hausse du taux de nitrate” est mis en scène, il nʼexiste pas de références communes, et le champ de réso- lution est très large. Plusieurs définitions vont se succéder, qui pour certaines vont correspondre à des phases de simplification : le moment où lʼon stoppe lʼenquête dans la progression vis-à-vis de la situation. Ces arrêts de lʼenquête peuvent correspondre à des défini- tions particulières de la situation, en termes de formulation de problè- me ou de diagnostic. Mais lʼacteur moteur peut reprendre le processus dʼenquête et poursuivre la construction de la situation si la définition nʼest pas satisfaisante. Les premières simplifications, comme le montre le Tableau 1, conduisent à un blocage et donnent lieu à une poursuite de lʼenquête à travers des phases de complexification. On aboutit in fine à une simplification, entendue comme lʼarrêt du proces- sus dʼenquête, qui va être à la base de la prise de décision. On voit, dans ce premier cas, quʼun changement brutal de cadre a lieu au début du processus (la définition de la situation comme problème de pollution est rejetée). Par la suite, le cadrage se complexifie au fur et à mesure du processus dʼenquête, par ajout progressif de nouvelles dimensions (économique, puis technique, puis environnementale). Exemple à partir du cas de la salle de commande La nature particulière des processus dʼenquête peut être illustrée, dans le cas de la salle de commande, à travers le problème posé par la panne dʼun ventilateur. Suite à cette panne, le chef dʼexploitation, M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 40 Benoît Journé et Nathalie Raulet-Croset Tableau 1. Processus d’enquête dans le cas de la nappe phréatique Cadre et connaissances Premier arrêt de lʼenquête qui correspond à une simplification selon une dimension de la situation : problème de pollution. Cette simplification aboutit à un échec ; cette définition initiale ne sera pas con- servée : le taux de nitrate dans la nappe est très inférieur au taux maximum autorisé pour lʼeau potable en général, donc les acteurs liés à lʼaspect pollution nʼont pas réellement compétence à inter- venir. Complexification : réflexion selon la dimension économique. Deuxième arrêt de lʼenquête : cadre problème économique. La dimension économique est conservée : lʼentreprise dʼeau minérale reste en veille pour un rachat de terres, et a intégré le fait que les agriculteurs peuvent réclamer des indemnisations. Mais elle considère que les agriculteurs ont une responsabilité et veut inciter à des pratiques moins polluantes. Les agriculteurs considèrent que les achats de terre ont conduit lʼentreprise dʼeau minérale à entrer sur une scène sociale locale (elle rachète des terres qui étaient plus ou moins destinées à des agriculteurs locaux). Nouvelle phase de complexification : ajout de la dimension technique et scientifique, réflexion sur les pratiques agricoles. La construction de la situation prend en compte les dimensions technique (pra- tiques agricoles), et économique (subven- tions versées par lʼentreprise dʼeau minérale). Arrêt de lʼenquête : la situation nʼest plus définie de manière aussi simplifiée que lors des premiers arrêts. Elle conjugue à la fois des dimensions économique, tech- nique, et de protection de lʼenvironnement local. LʼINRA a produit un cahier des charges de pratiques agricoles compatibles avec la protection de la nappe, à la demande de lʼentreprise dʼeau minérale Ce cahier des charges va être proposé aux agriculteurs en échange de subven- tion. Le contrôle du suivi du cahier des charges sera effectué par une petite entreprise, créée spécialement, filiale de lʼentreprise dʼeau minérale. Acteurs et actions Lʼentreprise dʼeau minérale fait appel à des acteurs en charge des aspects pollu- tion et juridique : DDASS*, Agence de lʼeau. Blocage de la négociation, discussion avec les agriculteurs qui mettent en avant lʼenjeu économique du problème. Nouveaux acteurs : Chambre dʼagricul- ture, syndicats agricoles. Achat de terres agricoles, prises de con- tacts avec les agriculteurs. Les achats de terre sont insuffisants pour réaliser une réelle protection. Acteurs participants : lʼentreprise dʼeau minérale —acteur moteur—, des agricul- teurs qui acceptent de tester les nouvelles pratiques, lʼINRA*, qui conduit les recherches en collaboration avec la Chambre dʼagriculture. Le rôle de lʼINRA est important, car cet organisme de recherche travaille habituellement au profit des agriculteurs ; il cherche donc des résultats qui permet- tent de concilier au mieux les différents intérêts. Temporalités et phases de lʼenquête Premier arrêt de lʼenquête. Reprise et approfondissement de lʼenquête. Arrêt de lʼenquête. Reprise et approfondissement de lʼenquête. Arrêt de lʼenquête. * : DDASS = Direction Départementale de lʼAction Sanitaire et Sociale ; INRA = Institut National de la Recherche Agronomique. M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 41 Le concept de situation qui est officiellement responsable de la sûreté des installations, multi- plie les contacts avec différents experts. Il sort du collectif traditionnel de travail (lʼéquipe constituée) pour construire, de manière ad-hoc, le réseau de compétences qui lui permettra de stabiliser un diagnostic et dʼenvisager différentes solutions. La situation sʼest construite à travers un processus dʼenquête qui impliquait cinq personnes extérieures à lʼéquipe et qui a donné lieu à sept cadres successifs différents sur une période de 5 heures environ. Dans ce cas, le registre des actions envi- sageables apparaît plus structuré que dans le cas de lʼentreprise dʼeau minérale car la réparation des ventilateurs appelle des réponses plus routinières sur la dimension technique. Toutefois, cʼest la nature du risque associé à chaque solution qui crée lʼambiguïté et lʼincertitude, et qui va déterminer les différents cadrages (Tableau 2). Ce deuxième cas contraste avec le premier dans lʼarticulation des rela- tions entre lʼorganisation et la situation. Lʼorganisation qui est ici très structurée a produit une situation initiale clairement délimitée dans ses dimensions temporelles et spatiales, comme dans les acteurs qui la composent. Le problème est défini sans ambiguïté et la solution cor- respondante lʼest également. Mais lʼirruption de nouveaux acteurs (lors de la relève) réintroduit de lʼincertitude et de lʼambiguïté et relan- ce le processus dʼenquête car le contrôle de la situation ne semble plus garanti. Une nouvelle situation émerge progressivement sous lʼef- fet de cadrages successifs qui modifient le problème et la solution associée. Parallèlement, le processus dʼenquête crée de lʼorganisation dans la mesure où il se déploie à travers les actions et les réflexions des acteurs qui mobilisent diverses ressources selon des modalités non prévues par lʼorganisation initiale. On assiste à une reconfigura- tion locale et temporaire de lʼorganisation sous lʼeffet de lʼenquête. Lʼorganisation émerge donc de lʼenquête qui vise à donner du sens à la situation. Ce cas montre donc comment lʼorganisation et la situation co-émergent du processus dʼenquête. Il renseigne de ce fait sur la nature de lʼorganizing et du sensemaking. La sûreté se crée à travers une activité de construction collective du sens de la situation. Le sens et la connaissance construits au cours du processus dʼenquête ont un caractère très instable. Les capacités dʼaction des acteurs évoluent en fonction des cadrages, soit dans le sens dʼune limitation (du fait de la découverte dʼune nouvelle complexité induisant des contraintes à caractère réglementaire ou technique) soit dans le sens dʼune aug- mentation (par lʼexploration dʼun moyen permettant de relâcher le jeu de certaines contraintes). La différence de structuration préalable Les cas présentés se différencient par la structuration préalable des situations qui est très forte au sein de la centrale nucléaire et quasi- inexistante autour de la question de la nappe phréatique. Alors que les acteurs de la centrale partagent une histoire commune et inscrivent leurs actions dans le cadre de routines organisationnelles, les acteurs concernés par la hausse du taux de nitrate, bien quʼayant des relations de proximité, ne partageaient pas dʼhistoire commune autour de ce pro- blème. On pourrait penser que lʼutilisation de la notion de situation sʼim- M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 42 Benoît Journé et Nathalie Raulet-Croset Tableau 2. Processus d’enquête dans le cas de la salle de commande Cadre et connaissances Cadre 1 : une activité normale Il faut réparer un ventilateur tombé en panne pendant la nuit. La situation nʼest pas jugée dangereuse mais il faut inter- venir pour ne pas laisser les installations dans une situation dégradée (principe de sûreté). Cadre 2 : Activité risquée du point de vue de la sûreté Le chef dʼexploitation de lʼaprès-midi estime que la réparation fait prendre un risque : il faudra arrêter les quatre ventila- teurs, ce qui enfreint les règles de sûreté et risque donc de constituer un incident significatif aux yeux de lʼAutorité de Sûreté. Cadre 3 : ne pas agir pour éviter de créer un incident Le chef dʼexploitation décide de bloquer la décision de réparation, au risque de créer une tension avec lʼéquipe de maintenance qui est prête à intervenir. Cadre 4 : agir conformément aux règles de Sûreté La réparation nécessite une demande de dérogation auprès de lʼAutorité de Sûreté pour arrêter volontairement tous les venti- lateurs. Cadre 5 : prise de risque vis-à-vis de lʼAu- torité de Sûreté Le temps estimé de réparation excède le délai imposé par les règles de Sûreté, ce qui fait courir le risque de voir la demande de dérogation rejetée par lʼAutorité de Sûreté. Cadre 6 : comment réparer sans deman- der de dérogation ? Cadre 7 : retour à une activité normale dʼexploitation Acteurs et actions Ce cadrage est porté par le chef dʼex- ploitation de lʼéquipe du matin. Il est partagé par lʼIngénieur Sûreté et lʼéquipe de maintenance (la décision de réparer lʼaprès-midi a été prise en réunion con- duite/maintenance du matin). Le chef dʼexploitation est le responsable de la sûreté des tranches placées sous son autorité. Il est considéré comme pro- priétaire des installations (lʼingénieur sûreté ne fait pas partie de lʼéquipe, il a un rôle de contrôle de lʼétat de sûreté de la tranche et de conseil auprès de lʼéquipe de conduite). Le chef dʼexploitation veut remettre la sit- uation à plat en allant chercher plus dʼin- formations et en confrontant ses interpré- tations avec lʼingénieur sûreté, lʼéquipe de maintenance et lʼingénieur chargé des relations avec lʼAutorité de Sûreté. Il prend contact avec chacun dʼeux. Ce cadrage, porté par le chef dʼexploita- tion, est partagé par lʼingénieur chargé des relations avec lʼAutorité de Sûreté ainsi que par lʼingénieur sûreté qui sʼen est entretenu avec son équipe de la Mis- sion Sûreté Qualité. Ce cadrage sʼappuie sur les informations que le chef dʼexploitation récupère auprès de la maintenance et des interprétation faites avec lʼingénieur chargé des rela- tions avec lʼAutorité de sûreté. Le responsable de la maintenance a trou- vé une solution pour réduire le temps dʼin- tervention et se donner plus de chance dʼobtenir la dérogation demandée mais le chef dʼexploitation et lʼingénieur chargé des relations avec lʼAutorité de Sûreté préfèrent chercher une solution qui ne nécessite pas de demande de dérogation. La décision est prise dʼattendre quelques jours pour effectuer la réparation à lʼocca- sion dʼune opération de maintenance préventive déjà programmée sur les venti- lateurs. Temporalités et phases de lʼenquête Un diagnostic, une solution et une action ont été définis : le sens est stabilisé. Le changement dʼacteurs (relève) ouvre une nouvelle phase de lʼenquête : le transfert du sens provoque une con- frontation dʼinterprétations. Lʼenquête sur le sens de la situation est relancée suite au nouveau cadrage. Le cadrage évolue en convoquant une nouvelle dimension : les relations avec lʼAutorité de Sûreté. Approfondissement de lʼenquête. Reformulation du problème en fonction des contraintes de la situation. Stabilisation du sens de la situation redevenue normale. pose plus dans des contextes peu structurés. Or nous voyons ici que la logique de situation est pertinente pour lʼanalyse de lʼactivité managé- riale dès lors quʼil y a nécessité de construction du sens de la situation et dʼaction au regard de cette situation, que la situation porte en elle un fort degré de structuration ou non. Toutefois, le contraste entre les deux cas permet de mieux identifier les éléments qui concourent à la struc- turation des situations : 1/lʼexpérience dʼune situation similaire que les acteurs projettent sur la situation actuelle ; 2/la présence de routines inscrites dans lʼorganisation ou issues dʼune histoire partagée ; 3/le M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 43 Le concept de situation périmètre des ressources et des acteurs plus ou moins fixé dans un cadre organisationnel prédéfini. Ainsi, la salle de commande a été conçue pour fonctionner sur la base de ressources clairement identi- fiées, comme les alarmes et les procédures de conduite. De plus les opérateurs travaillent en équipes constituées dans lesquelles les res- ponsabilités et les domaines de compétences et dʼaction sont claire- ment définis. Mais, même dans les centrales nucléaires qui semblent pousser le plus loin possible lʼambition bureaucratique de suppression systématique des imprévus, la logique des situations reste présente. Ainsi, dans lʼexemple de la réparation des ventilateurs, le chef dʼéquipe a réintroduit une logique de situation là où sʼétait préalablement impo- sée une logique de routine. Un degré élevé de structuration nʼempêche donc pas la situation de conserver un caractère émergent si le proces- sus dʼenquête reste ouvert à la surprise et à lʼimprévu. Toutefois dans ce cas, même si la logique de situation sʼimpose, lʼexistence de formes très structurées influence la construction du sens de la situation, ce que lʼon ne retrouve pas dans le cas de la nappe phréatique, où lʼeffort de construction des définitions porte sur un nombre plus important de dimensions de la situation. Si nous mettons lʼaccent quant à nous sur le caractère construit et émergent de la situation du point de vue du manager, nous constatons à travers les cas que les managers sélectionnent des indices, des res- sources au cours du processus dʼenquête, et que cette sélection est influencée par le degré de structuration préexistant. Le poids de la structure organisationnelle, de la hiérarchie, de la technique, dʼobjets, etc., joue un rôle, celui du tiers-absent pour reprendre lʼexpression de Mayer (1982), en pesant de manière implicite sur la situation. Cela donne à la situation une force (au moins momentanée) qui va au-delà de lʼengagement subjectif de lʼacteur. La force dont la situation est dotée demande dʼailleurs aux acteurs de sʼimpliquer dans un effort de renouvellement des connaissances propres à chaque situation problé- matique afin de conserver leurs capacités dʼaction sur cette dernière. DISCUSSION : LA LOGIQUE DE SITUATION AU FONDEMENT DE L’ACTIVITÉ MANAGÉRIALE Lʼexposé des deux terrains permet dʼengager une discussion plus approfondie sur lʼusage du concept de situation en management et dʼen identifier les implications théoriques et empiriques. En premier lieu, la discussion théorique porte sur le positionnement du concept de situation par rapport à des concepts qui au fil du temps ont acquis une forte légitimité dans le champ du management, comme le problème et le diagnostic, le système ou lʼorganisation par projet. Elle portera pour finir sur la situation de gestion qui fut le point de départ de notre réflexion. Le deuxième point développe un point de vue empirique, et nous montrons que la situation met en évidence dʼautres leviers de lʼactivité managériale. Analyser lʼactivité managériale selon une logique de situation signifie en effet mettre au centre lʼintelligence dʼen- quête du manager (ou du système de management), et la possibilité M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 44 Benoît Journé et Nathalie Raulet-Croset de jouer à la fois avec les ressources convoquées dans la situation (et notamment les autres acteurs) et avec les temporalités de la situation. SPÉCIFICITÉS DE LA LOGIQUE DE SITUATION : UN POSITIONNEMENT RELATIF À DʼAUTRES OUTILS DʼANALYSE Bien que de nombreux concepts et outils aient été utilisés pour décri- re lʼactivité des managers (Mintzberg, 1980), la logique de situation permet dʼéclairer encore différemment certaines facettes de lʼactivité managériale. Ce point sera discuté en comparant la situation à dʼautres concepts largement mobilisés dans lʼanalyse de lʼactivité managériale : le problème et le diagnostic en premier lieu, puis le pro- jet et enfin le système dʼaction. Du problème à la situation, du diagnostic à lʼenquête Le concept de situation, tel quʼil a été défini dans ce papier, est proche de la notion de problème. Dewey, déjà, faisait le rapprochement lors- quʼil associait lʼenquête à une situation problématique. Par la suite, la littérature managériale anglo-saxonne mobilisera le concept de pro- blem ou de issue, reléguant la situation au second plan : lʼaccent sera mis sur la formulation et lʼidentification du problème (Smith, 1989), ainsi que sur la catégorisation des problèmes stratégiques en oppor- tunités ou menaces (Dutton et Jackson, 1987 . Jackson et Dutton, 1988). Dans cette lignée, si Agre (1982) fait explicitement référence à la situation lorsquʼil définit un problème, lʼenjeu théorique porte sur le problème et non sur la situation : « un problème est une situation indé- sirable, qui est significative pour un agent et quʼil est susceptible de traiter, même si cʼest avec difficulté » (Agre, 1982, cité par Smith, 1989 : 965). Il en va de même de Majone (1980 : 10) lorsquʼil mobilise directement la situation pour définir le processus de problem setting comme « le processus intellectuel par lequel une situation probléma- tique est transformée en un problème spécifique ». Nous considérons donc que la situation ne peut se réduire au problem ou issue et quʼune approche en termes de situation peut contribuer à fournir une nouvelle interprétation de ces notions et, par voie de conséquence, de la prise de décision. En effet, pour ces différents auteurs, la définition dʼun problème conduit à spécifier une situation, en vue dʼengager ensuite un proces- sus de décision. Ils sʼinscrivent dans une vision séquentielle de la prise de décision (Langley et al., 1995), et la formulation du problème est considérée comme une des premières phases de ce processus. Si ces auteurs considèrent quʼune telle vision de la prise de décision est sou- vent académique et ne correspond que peu à la réalité de lʼactivité managériale (Smith, 1989 ; Langley et al., 1995), ils voient toutefois une utilité à un tel découpage séquentiel en faisant lʼhypothèse quʼune visée prescriptive de la prise de décision appuyée sur cette perspecti- ve pourrait améliorer lʼaction du manager. Le concept de situation tel que nous le définissons se différencie de la notion de problem ou dʼissue sur plusieurs points. En premier lieu, il renvoie à lʼanalyse de lʼactivité réelle du manager, et ne sʼinscrit pas M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 45 Le concept de situation dans une logique temporelle de séquentialité. La définition de la situa- tion ne correspond pas à une étape identifiée dans un processus linéaire de prise de décision, mais elle existe tout au long du proces- sus dʼenquête, jusquʼà la prise de décision (si prise de décision il y a). Il sʼagit en effet de porter un regard sur lʼactivité managériale de construction du sens face à des situations ambiguës et indéterminées, et non de suivre le fil dʼun processus de décision. Suivre le cours de la situation ne renvoie donc pas à un processus linéaire, mais met lʼac- cent sur la dimension temporelle (souvent circulaire, non linéaire) et collective de lʼactivité managériale. En second lieu, la définition de la situation nʼest pas un préalable à lʼaction comme le sont les notions de problem formulation (Smith, 1989), ou de strategic issue diagnosis (Dutton et Duncan, 1987). Au contraire, la situation est progressive- ment construite par le manager et la réflexion et lʼaction sont entremê- lées. Un autre concept qui peut paraître proche de la notion de définition de la situation, tout comme dʼailleurs de formulation du problème, est celui de diagnostic. La distinction entre formulation du problème et dia- gnostic est parfois faible pour certains auteurs, mais dʼautres mettent lʼaccent sur la différence entre les deux termes, arguant que la formu- lation du problème se différencie du diagnostic car elle ne comprend pas dʼorientation vers une résolution du problème (Smith, 1989). Le diagnostic est souvent présenté comme une phase fondamentale du processus de prise de décision, qui met en avant sa dimension inter- prétative : il est ainsi question de diagnostic stratégique (strategic issue diagnosis, [Dutton et Duncan, 1987]), qui consiste à identifier une opportunité, une question ou un problème de nature stratégique, et à le mettre à lʼagenda stratégique de lʼorganisation (Dutton, 1988). Les auteurs identifient alors différents facteurs influençant cette mise à lʼagenda, et montrent le rôle du contexte organisationnel qui va influencer le repérage par les décideurs de ce problème. La mise à lʼagenda nʼest pas séquentielle, le processus pouvant être itératif ou cyclique. Toutefois, on reste dans une vision classique de la décision qui consiste à découper une phase préalable de diagnostic, suivie dʼune phase de mise en œuvre. Depuis, lʼidée dʼune construction pro- gressive entre diagnostic et action sʼest peu à peu imposée. Par exemple, lʼidée dʼune planification qui serait préalable à lʼaction a été fortement questionnée, notamment par les travaux de Suchman (1987). Le concept de diagnostic reste toutefois très présent ; il renvoie à lʼidée dʼun questionnement à un moment donné sur un problème aux contours relativement stables, en termes dʼacteurs concernés et de données du problème. Lʼanalyse proposée selon la logique de situa- tion sʼinscrit elle dans une dynamique de construction, qui lui confère une logique temporelle différente de celle du diagnostic, en mettant au centre le processus dʼenquête mené par le manager. Les différents moments dʼarrêt du processus dʼenquête diffèrent dʼun diagnostic au sens classique du terme car ils contribuent à redélimiter les contours dʼune situation, contours qui varient tout au long du processus, à tra- vers une succession de cadrages de la situation. M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 46 Benoît Journé et Nathalie Raulet-Croset Le concept de situation nous conduit ainsi à approfondir une phase à la fois préalable et concomitante au diagnostic, la phase où lʼindividu progresse dans la réflexion et dans la connaissance en prenant direc- tement appui sur les ressources que la situation met à sa disposition. En outre, la construction dʼune situation nʼest pas une phase unique- ment cognitive, de réflexion et de diagnostic préalable à une décision. Elle mêle intrinsèquement connaissance et action. Elle prend égale- ment appui sur la communication entre acteurs et mobilise largement des procédés narratifs (Weick, 1995). De la convergence du projet à lʼinstabilité de la situation de projet Le concept de projet peut également être mis en regard de la notion de situation, en particulier dans le domaine de lʼinnovation. Cʼest ainsi que Midler (1996) estime que les projets innovants plongent les acteurs dans des situations de conception. La progression dʼun projet prend la forme dʼun processus de convergence marqué par lʼacquisi- tion de connaissances nouvelles et la réduction concomitante des capacités dʼaction (créée par les irréversibilités induites par les choix successifs précédents). Dans ce modèle, les acteurs projets passent dʼune situation où ils ne savent rien mais peuvent tout à une situation où ils finissent par tout savoir du projet mais ne peuvent plus rien modi- fier. Autrement dit, le processus dʼacquisition de connaissances sur le projet lui-même passe par des actions et des choix qui créent des irré- versibilités et qui limitent donc les possibilités dʼaction futures. Le rapprochement entre projet et situation est dʼautant plus grand que le phénomène de convergence sʼapparente à un processus dʼenquê- te. Mais nous estimons que définir la situation selon une logique prag- matiste et interactionniste revient à considérer la connaissance déve- loppée par les acteurs comme de nature plus instable que ne le laisse penser le processus de convergence décrit par Midler. Les deux ter- rains développés dans la partie précédente montrent que le sensema- king auquel se livrent les acteurs en situation ne se résume pas à une accumulation de connaissances mais bien à une recherche de cohé- rence du corpus des connaissances mobilisées ici et maintenant pour construire une interprétation porteuse de sens. Or toute connaissance nouvelle développée par les acteurs peut remettre en cause la cohé- rence du corpus et reposer la question du sens, tout en faisant varier les capacités dʼactions sans que lʼon puisse savoir par avance sʼil sʼagira dʼune réduction ou dʼune augmentation de ces dernières. Le système et la situation La situation et le système sont deux notions qui entretiennent des liens étroits. A lʼévidence, la situation sʼinscrit dans le prolongement du concept de système, au point que la situation peut se définir à partir de la notion de système : la situation est lʼétat pris par le système à un moment donné. De même, la succession des états pris par un systè- me dynamique peut se lire comme un flux de situations. Il nous semble pourtant que le concept de situation ne peut se laisser enfermer dans celui de système. Non seulement la situation déborde du système par son caractère imprévisible mais encore est-il possible M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 47 Le concept de situation de renverser la perspective en définissant le système comme le pro- duit de la situation. En effet, contrairement à la systémique qui fait de la complexité un attribut du système, avec lequel les acteurs doivent composer, la situation voit au contraire cette complexité comme un construit des acteurs. En fait la notion de situation ne renvoie pas au même type de complexité que la notion de système. La systémique estime la complexité dʼun système en termes de variété, c'est-à-dire en nombre dʼétats différents que le système est susceptible de prendre. La variété totale du système est directement fonction du nombre et de la diversité des composants, dʼune part ; et du nombre et de la diversité des relations entre les composants, dʼautre part. La cybernétique, qui travaille sur le contrôle du comportement des auto- mates, sʼappuie sur la loi de la variété requise qui stipule quʼun systè- me de variété N ne peut être piloté que par un système de contrôle de variété supérieure ou égale à N. Dans cette perspective, la complexi- té, que lʼon peut qualifier de complexité dʼabondance (Moisdon et Ton- neau, 1983), est définie comme un attribut du système. Le problème principal de cette approche est quʼelle suppose que le système pos- sède des frontières et des dimensions finies et connues. Cette pers- pective objectivante est largement reprise dans la définition des pro- cessus qui animent les organisations avec lʼobjectif de les cartogra- phier et de les optimiser. Cette hypothèse qui convient aux automates et aux processus sʼapplique avec plus de difficulté à la dimension sociale des organisations. Il nous semble que la notion de situation aborde la question de la complexité dʼun autre point de vue, dans la mesure où elle se présente sous la forme dʼun tout contextuel (Dewey, 1993 : 127-128) aux frontières potentiellement infinies. Ce caractère potentiellement infini qui pose un problème insurmontable à la com- plexité dʼabondance et à la loi de la variété requise, ne pose pas les mêmes problèmes à une approche en termes de situation. En effet, la situation met lʼaccent sur la perception subjective (donc différente pour chaque acteur) et la construction collective de la complexité par les acteurs engagés dans la situation. La complexité est une « complexi- té de sens » (Riveline, 1991 : 89), qui ne sʼimpose pas de lʼextérieur aux acteurs mais qui est construite pas les acteurs à travers lʼenquête quʼils mènent. Girin (2000 : 134) parle à ce sujet de « complexité de cadrage ». Lʼenquête nʼest pas la simple découverte progressive de la complexité du système mais bien une construction collective du phé- nomène à maitriser. Cʼest ce qui ressort clairement des exemples que nous avons présentés, quʼil sʼagisse de la protection de la nappe phréatique ou de la conduite dʼune centrale nucléaire. Donc, là où la systémique met lʼaccent sur la complexité dʼabondance comme attri- but du système (estimée par sa variété), lʼapproche par la situation met lʼaccent sur la construction subjective de la complexité de sens et de cadrage produite à travers la logique dʼenquête qui construit et modifie en permanence le périmètre spatial et temporel ainsi que le collectif des acteurs qui constituent le système pertinent —ici et main- tenant— pour agir dans le sens des objectifs des acteurs. Le caractè- re potentiellement infini de la situation qui se présente comme un tout contextuel nʼest gérable que parce que ses limites spatiales, tempo- M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 48 Benoît Journé et Nathalie Raulet-Croset relles et sociales se construisent à travers le processus dʼenquête pris en charge par un acteur pivot. La distinction que nous venons de faire entre système et situation prend cependant une forme différente si lʼon considère la notion de système dʼaction concret proposée par la sociologie des organisations (Crozier et Friedberg, 1977). Ici le système est formé par les capacités dʼaction dont les acteurs disposent réellement au sein dʼune organisa- tion donnée. Le système évolue alors en fonction des actions qui sʼy déploient. La différence principale vient du fait que le système dʼaction concret repose sur une dynamique dʼessence politique dans laquelle les acteurs agissent selon des stratégies censées améliorer leur posi- tion au milieu des jeux de pouvoir. Les stratégies définissent les actions des différents acteurs, ce qui suppose une certaine stabilité du système. Finalement, une fois encore la situation est la simple expres- sion du système à un moment donné. La logique de situation incite au contraire à considérer que les acteurs sont plongés dans un contexte beaucoup plus indéterminé qui suppose une enquête sur le sens de ce qui se passe. La situation substitue lʼintrigue à la rationalité straté- gique. Si lʼon considère la manière dont le système a été mobilisé dans les sciences du management, il apparaît clairement que le regard se diri- ge dʼabord sur lʼobjectivation du système quʼil sʼagit alors dʼoptimiser, dans le prolongement des démarches dʼingénierie managériale (sys- tèmes de production, système dʼinformation, systèmes de rémunéra- tion, système qualité…). Cette perspective objectivante sʼinscrit dʼailleurs dans le prolongement des perspectives holistiques ratta- chées aux approches systémiques et qui supposent la capacité de lʼobservateur à prendre le recul nécessaire pour avoir une vision englobante du phénomène étudié. Or, comme nous lʼavons souligné précédemment, les origines théoriques du concept de situation orien- tent le regard dʼabord vers la subjectivité des acteurs engagés dans la situation. La perspective privilégiée est plus micro que macro. De la situation de gestion à la situation en management Enfin, nous revenons au concept de situation de gestion, qui a été le point de départ de notre réflexion. Lʼeffort de théorisation proposé par Girin visait à introduire les contraintes gestionnaires dans la logique de la situation. Notre propos est de montrer en quoi lʼactivité managéria- le renvoie à une logique de situation. Nos exemples de terrain montrent en quoi les trois éléments constitu- tifs dʼune situation —les participants, lʼextension temporelle et lʼexten- sion spatiale— sont loin dʼêtre aussi contraints que le laisse penser la définition de Girin : les participants évoluent en permanence sous lʼef- fet du tour pris par lʼenquête (construction progressive dʼun collectif autour du problème à résoudre) ; les frontières spatiales et temporelles sont elles aussi largement construites et modifiées dans le processus dʼenquête. Nous proposons de passer de la situation de gestion à la situation en management pour mieux souligner le caractère émergent de la situation. Alors que Girin voit la situation comme une enveloppe qui soumet les acteurs au jugement externe, nous voulons montrer M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 49 Le concept de situation que la situation recèle également des leviers pour lʼaction managéria- le. Ce glissement de perspective permet de mieux comprendre com- ment la situation et lʼorganisation co-émergent à travers les activités organisantes des managers. Cʼest lʼobjet de la section suivante. LA LOGIQUE DE SITUATION RÉVÈLE DʼAUTRES LEVIERS DE LʼACTION MANAGÉRIALE Les différences constitutives du concept de situation que nous venons dʼanalyser nous conduisent à regarder autrement lʼactivité managériale, et notamment à réfléchir à des leviers de lʼaction mana- gériale sur lesquels les managers eux-mêmes pourraient être ame- nés à travailler. Nous retenons dans cet objectif trois tensions abritées par la notion de situation. Singulière par essence (elle est lʼétat du système à un moment donné), elle peut receler des éléments de reproduction et de régularité. Ephémère par nature (elle est liée à un instant et à un moment donné), elle peut durer et le manager, acteur pivot au centre de lʼenquête, peut jouer de son début et de sa fin. Individuelle car sub- jective, elle conduit le manager à jouer de la dimension collective en convoquant dʼautres acteurs dans la situation. Ces champs de tension —entre singularité et régularité, entre éphémérité et permanence, et entre individuel et collectif— révèlent des leviers de lʼaction managé- riale. De la singularité à la régularité Lorsque lʼon analyse lʼactivité managériale à travers une logique de situation, la singularité des situations sʼérige à la fois en problème et en opportunité pour les managers et leurs organisations. La logique de situation peut ainsi parfois se trouver en contradiction avec les logiques classiques de lʼorganisation. Les organisations ont souvent lʼambition de réduire la singularité, de mettre en place un cadre partagé et de prévoir un répertoire de réponses par rapport aux situations qui peuvent se présenter. Un manager pourra alors être amené à construire la situation de telle façon quʼelle soit en corres- pondance avec une des réponses de ce répertoire, et arrêter alors son enquête. Comme lʼexplique Girin (1990a : 146) : « la mise en place dʼune organisation apparaît comme une réponse donnée à une ou plu- sieurs situations de gestion possédant une certaine permanence, en même temps quʼune rigidification des moyens pour y faire face ». Il y a alors production de régularité là où une logique de situation suggère de sʼappuyer sur la singularité, et de ne pas la nier. On voit là poindre une première difficulté pour le manager : construire une situation en phase avec la logique classique de lʼorganisation peut conduire à per- pétuer des routines. Sʼinscrire dans une logique de situation signifie renoncer à ce répertoire de réponses prescrit et mettre au centre le processus dʼenquête et lʼarticulation avec de nouvelles connais- sances. On se trouve donc là dans une forme de rationalité qui est dif- férente de la rationalité procédurale, qui préconise quʼun ajout de connaissances permet constamment dʼaméliorer la prise de décision. M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 50 Benoît Journé et Nathalie Raulet-Croset La rationalité, dans la logique de situation, renvoie pour le manager au choix dʼarrêt de lʼenquête à un moment quʼil juge satisfaisant, en termes dʼarticulation de connaissances, pour prendre sa décision. Le fonctionnement selon la logique de situation a plusieurs implica- tions. Nous distinguons ici lʼimplication organisationnelle et lʼimplica- tion sur le comportement managérial. En termes organisationnels, fonctionner selon une logique de situation conduit à une organisation spécifique. Prenons le cas de la centrale nucléaire. Lʼorganisation de la salle de commande est en partie fondée sur la logique de situation. Dans le cas des situations dites normale- ment perturbées, lʼorganisation compte sur la construction du sens par le chef dʼexploitation, en sʼappuyant sur les opérateurs. Elle lui en lais- se la possibilité en termes de temps. On voit même, dans ce cas, que lʼorganisation est conçue de façon à favoriser la logique de situation. Ainsi, lʼorganisation de la relève (le changement dʼéquipe) organise une rupture, tout en cherchant bien sûr à préserver le plus possible la continuité de lʼexploitation. Cette rupture, organisée et programmée, contraint les équipes à effectuer un retour réflexif sur la situation en cours et à élaborer des conjectures sur ses évolutions possibles, autrement dit à sʼengager dans un processus de sensemaking. En termes de comportement managérial, une posture conforme à la logique de situation comporte, du point de vue du manager, des élé- ments qui peuvent être vécus positivement mais aussi négativement : si elle conduit à progresser dans la connaissance au regard du pro- blème traité, elle peut aussi être porteuse de stress et parfois condui- re à paralyser lʼaction. En effet, en progressant dans lʼenquête, le manager prend le risque quʼune connaissance supplémentaire remet- te en question toute la construction préalablement réalisée. Appréhender la gestion en termes de situation consiste aussi à se pré- parer psychologiquement à ce que la situation change, plus ou moins brutalement. Et cʼest être conscient de ce qui se passe et de ce qui risque de se passer dans un futur proche ; cʼest aussi réactualiser en permanence cet état de conscience, faire preuve de vigilance. Dans le cas de la salle de commande, les opérateurs identifient les événe- ments à lʼorigine des situations normalement perturbées. Le repérage de ces évolutions est une condition pour espérer conserver la maîtrise de la situation. Toutefois, le manager peut aussi chercher à se positionner dans un entre-deux : ne pas nier la singularité propre à chaque situation, mais profiter de certaines régularités quʼil entrevoie entre différentes situa- tions, pour utiliser son expérience et son apprentissage quant à des situations qui peuvent être relativement récurrentes. Au-delà de lʼéphémérité : les choix de début et de fin Si la situation se distingue par son caractère éphémère et fugace, elle recèle aussi certains éléments de permanence et de continuité. En effet, les acteurs doivent construire la temporalité de la situation pour en maîtriser le cours. Ils procèdent à des découpages en début et fin, et peuvent choisir de faire durer la situation pour mieux approfondir une phase de diagnostic ou agir avec plus de pertinence ; ils dilatent M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 51 Le concept de situation ou contractent des séquences temporelles qui donnent du sens à la situation. Les acteurs cherchent à organiser le temps de la situation autour de continuités et de ruptures, dʼaccélérations et de stabilisa- tions, de début et de fin. Le concept de situation fait de lʼincertitude sur la durée une donnée fondamentale de lʼorganisation. Plongé dans la situation, le manager ne sait pas par avance combien de temps celle- ci va durer. Ainsi, dans le cas de lʼentreprise dʼeau minérale, la déci- sion est prise à un moment donné, mais sans quʼon lʼait planifié au départ, dʼarrêter « le cours de la situation », et de sʼen tenir à une base stabilisée qui va permettre lʼaction : le choix dʼune protection de la nappe, avec paiement des agriculteurs en échange du suivi dʼun cahier des charges de pratiques agricoles compatibles avec cette pro- tection (cahier des charges construit sur la base de propositions de lʼINRA [Institut National de la Recherche Agronomique]). Les moments de rupture, dʼarrêt de lʼenquête peuvent être de diffé- rentes natures. Les deux cas donnent accès chacun à une structure temporelle du processus de construction du sens de la situation. Le temps est à la fois une ressource et une contrainte structurante. Les acteurs en font usage pour alterner 1/des phases de relâchement de la contrainte temporelle afin de se donner le temps de la réflexion et de convoquer dʼautres acteurs et dʼautres ressources et 2/des phases de contraction du temps où se crée un sentiment dʼurgence propice à la formulation dʼun diagnostic ou à une prise de décision. La réflexion ne progresse donc pas de manière linéaire, mais elle prend appui sur des phases de contraction et de dilatation temporelle. Dans le cas de lʼentreprise dʼeau minérale, les phases de contraction du temps renvoient au départ à des simplifications de la définition de la situation, qui ouvrent ensuite à des phases de relâchement. La pre- mière étape de simplification avait conduit à un blocage tant les défi- nitions étaient incompatibles. Ce blocage a amené lʼentreprise dʼeau minérale à convoquer de nouveaux acteurs, repoussant lʼhorizon de résolution du problème à trois ans. Un contrat de recherche sur lʼévo- lution des pratiques agricoles est signé et sert de support à la nouvel- le étape de réflexion. Dans le cas du nucléaire (Journé, 1998), le chef dʼéquipe de lʼaprès- midi peut revenir sur une décision prise par lʼéquipe du matin, il relâche la pression temporelle en suspendant lʼaction et demandant à de nouveaux acteurs de redéfinir la situation. Dans ce cas, les arrêts de lʼenquête correspondent à des catégories de situation identifiées en termes de risque. Lors des phases de relâchement, le chef dʼéquipe sʼappuie sur un système plus large de ressources, en mobilisant de nouvelles sources documentaires susceptibles dʼéclairer différemment le problème. Lʼengagement du chef dʼéquipe dans ce processus est lié au fait quʼil sera responsable des éventuelles conséquences négatives liées à lʼexécution de la décision du matin. Action collective et situation Les acteurs centraux, ceux qui prédominent au regard du contrôle et de la maîtrise dʼune situation, et que nous avons appelés ici les mana- M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 52 Benoît Journé et Nathalie Raulet-Croset gers, endossent la responsabilité (objectivement ou subjectivement) de la situation. Ils ont une possibilité dʼaction au regard de cette situa- tion et vont amener dʼautres participants à entrer dans la situation, ou ils profitent du fait quʼeux aussi sont concernés par le problème. Il sʼagit en quelque sorte dʼenrôler (Callon, 1986) dʼautres acteurs en fai- sant en sorte quʼils deviennent concernés, ou en profitant du fait quʼils sont concernés par lʼévénement ou le problème qui sʼest posé, et de pouvoir tisser des liens avec eux. Cʼest ce quʼa fait par exemple lʼen- treprise dʼeau minérale : elle a amené des acteurs, notamment les scientifiques de lʼINRA, à construire une situation de leur point de vue au regard de la protection de la nappe. Lʼaction collective peut alors être analysée comme un tissage entre ces situations, à partir des diverses ressources qui peuvent être convoquées et qui sont com- munes aux acteurs (personnes, objets, savoirs). Ces ressources peu- vent avoir, comme dans le cas de la centrale nucléaire, la particularité de renvoyer à des expériences et connaissances communes ; dans ce cas, la proximité entre les situations vécues par les acteurs concernés existe déjà. Au contraire, dans le cas de lʼeau minérale, les situations se rapprochent progressivement et deviennent compatibles avec la situation centrale de lʼacteur pivot, lʼentreprise dʼeau minérale. Ces différentes tensions inhérentes à la situation peuvent ainsi offrir au manager des leviers dʼaction, notamment dans la conduite de lʼen- quête qui est au cœur de la construction de la situation. Ils constituent en même temps les leviers des processus qui produisent lʼorganisation (organizing). Comprendre les leviers de lʼaction managériale en situa- tion constitue une clé dʼentrée théorique dans lʼorganizing. CONCLUSION Il apparait finalement que le concept de situation porte des enjeux théoriques, méthodologiques et épistémologiques qui méritent dʼêtre inscrits à lʼagenda des chercheurs en management. Les prolongements théoriques du concept de situation se situent dans les courants de lʼorganizing, du sensemaking, du strategizing et de la naturalistic decision making. Tous partagent une approche fondée sur lʼactivité caractérisée par lʼincertitude, lʼambiguïté et lʼindétermination des situations. Le concept de situation apparait comme lʼun des chai- nons théoriques manquants susceptible de renforcer la cohérence théorique des approches fondées sur lʼactivité et de tisser des liens plus étroits entre ces différents courants théoriques. Les prolongements de lʼanalyse sont également pratiques : lʼutilisation du concept conduit à proposer une réflexion sur dʼautres leviers de lʼaction managériale et à mettre en lumière des réalités de lʼactivité managériale qui sont habituellement masquées comme la nature du processus dʼenquête, le type de rationalité, et le risque individuel pris par le manager. Ces éléments sont dʼautant plus visibles que les situa- tions auxquelles sont confrontés les acteurs que nous avons observés sont ambiguës et incertaines : le processus dʼenquête est pour eux tout à fait central. Plus fondamentalement encore, cette perspective M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 53 Le concept de situation conduit à mettre au centre de lʼactivité et de la responsabilité mana- gériale lʼorganisation du processus dʼenquête. Le travail sur le concept de situation nʼest pas sans conséquence non plus sur le plan méthodologique. Comment appréhender concrète- ment les situations dans lesquelles évoluent les managers et leurs organisations ? Comment saisir et rendre compte de ce qui par natu- re est éphémère, se joue dans le temps réel, dont le périmètre évolue en permanence ? Lʼune des difficultés majeures réside dans la mise en place de dispositifs dʼobservation capables de saisir des situations imprévues en temps réel (Journé, 2005). Le concept de situation incite également à reprendre certaines ques- tions épistémologiques relatives à la nature de ce qui constitue la réa- lité des managers et des organisations. Sʼagit-il de croiser et dʼintégrer des points de vue différents sur une même réalité accessible au cher- cheur ou plutôt dʼune construction-destruction dʼune entité insaisis- sable, nichée dans les représentations et les discours des acteurs ? La situation nʼéteint pas le débat épistémologique mais vient lʼalimenter. Note. Nous devons à Jacques Girin, qui dirigea nos thèses respectives, lʼintérêt que nous portons à la notion de situation et nous lui dédions ce travail. Nous remercions aussi chaleureusement tous les autres membres du Centre de Recherche en Gestion (CRG) de lʼEcole Polytechnique et en particulier Denis Bayart, Pierre-Jean Benghozi, Anni Borzeix, Hervé Dumez, Paul Mayer qui nous ont fait bénéficier de leurs remarques sur des versions précédentes de ce texte. Nos remerciements vont également aux trois évaluateurs de la revue M@n@gement dont les commentaires nous ont grandement aidés. Benoît Journé est maître de conférences en sciences de gestion à lʼUniversité de Nantes (IEMN-IAE). Il étudie lʼactivité managériale située (processus de décision, de communication et de sensemaking), en particulier dans les industries à risque (nucléai- re). Ses travaux portent sur la fiabilité organisationnelle, les outils de gestion et les méthodologies qualitatives de terrain, en particulier les techniques dʼobservation. Nathalie Raulet-Croset est maître de conférences en sciences de gestion à lʼIAE de Paris, Université Paris 1, et chercheur au Centre de Recherche en Gestion de lʼEco- le Polytechnique. Ses travaux de recherche portent en particulier sur lʼémergence et les conditions dʼefficacité de coopérations multi-acteurs et multi-institutions autour de situa- tions de gestion territorialement ancrées (problèmes dʼenvironnement, problèmes urbains,…). M@n@gement, Vol. 11, No. 1, 2008, 27-55 54 Benoît Journé et Nathalie Raulet-Croset REFERENCES � Agre, G. 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